Un message (quelque peu) schizophrène

«Nous avons estimé qu’il pouvait être intéressant de montrer à Bruxelles au moyen de données concrètes et chiffrées combien la réglementation bancaire coûtait cher à notre industrie», explique Benoît Sauvage, Senior Adviser au service de la régulation des marchés financiers de l’ABBL, qui constate une dégradation de la communication entre le monde bancaire et les instances européennes. Interview.
 
 
EY Luxembourg et l’ABBL ont réalisé une enquête sur le coût de la réglementation auprès de plusieurs dizaines de banques de la Place. Comment est née l’initiative ? Comment l’enquête a-t-elle été réalisée ?
 
Devant le nombre de mesures prises par les autorités européennes dans le domaine financier depuis les années 2000 et les problèmes de communication qui se sont installées entre les deux parties ces dernières années, nous avons estimé qu’il pouvait être intéressant de montrer à Bruxelles au moyen de données concrètes et chiffrées combien la réglementation bancaire coûtait cher à notre industrie.
 
De fait, il est intéressant de souligner que si la Commission européenne a pour habitude de réaliser des études d’impact préalables lorsqu’elle prévoit de nouvelles réglementations, elle ne conçoit en revanche que très peu d’études post-réglementations. L’ABBL a donc fait appel à EY pour mener une enquête auprès de l’ensemble des établissements bancaires au Luxembourg, sur base d’un questionnaire très extensif.
 
 
Quels sont les principaux enseignements que l’on peut tirer de cette enquête ?
 
Il y en a plusieurs. En premier lieu, comme évoqué, il faut retenir que la réglementation bancaire est de plus en plus coûteuse, et que celle-ci correspond au stade actuel des choses à l’équivalent d’un pour cent du PIB du pays, et ce, juste pour les établissements bancaires !
 
En deuxième lieu, force est de constater que nos membres estiment qu’un certain nombre de mesures sont susceptibles à terme d’améliorer la qualité du travail, la gestion des risques et l’image de l’établissement, ce qui aura pour corollaire le développement de nouvelles activités commerciales. Aussi, comme vous le voyez, le message est quelque peu schizophrène.
 
En dernier lieu, l’on note que certaines mesures sont détestées car très peu compréhensives, à l’instar de FATCA ou d’EMIR.
 
 
Doit-on selon vous désormais s’attendre à une stagnation des coûts en matière de réglementation, ou bien le régulateur sera-t-il encore amené à serrer la vis ?
 
On peut pressentir de façon quasi-certaine une augmentation encore assez importante des coûts pour les deux prochaines années, après quoi l’on devrait connaître une phase de répit entre 2017 et 2019, étant donné que la plupart des mesures devraient avoir été mises en œuvre d’ici là.
 
 
Si les grands établissements semblent pouvoir absorber les coûts supplémentaires que l’augmentation de la réglementation engendre, les plus petites structures paraissent en souffrir. Cette augmentation des coûts ne risque-t-elle pas de pousser les plus petits acteurs vers la sortie ?
 
Il est indéniable que la réglementation est devenue un véritable critère de réflexion stratégique, et ce, pour tous les établissements bancaires, quelle que soit leur taille.
 
Or même s’il est évident que les plus grandes banques ont davantage de capacité d’absorption des coûts grandissants induits par le durcissement de la réglementation, il n’empêche que l’avalanche réglementaire, qui concerne avant tout certains services spécifiques, met à mal aussi les plus grandes structures.
 
Quant à savoir si les plus petites structures sont directement menacées dans leur existence, cela dépendera d’abord de leur secteur d’activité, ensuite de leur politique d’entreprise. L’externalisation, par exemple, ou la signature de partenariats avec d’autres banques sont amenées à jouer un rôle de premier plan dans ce contexte.
 
 
Vous soulignez dans votre rapport qu’il est frappant de constater que «L’initiative la plus coûteuse pour la place est le résultat d’une mesure fiscale américaine sans impact positif pour le secteur financier européen, ni pour ses clients». Pouvez-vous préciser ?
 
Vous l’aurez compris, il s’agit de la loi américaine FATCA, qui s’avère un exercice extraordinairement compliqué pour tous les acteurs de la banque, ceci pour deux raisons.
 
Premièrement, parce que les établissements bancaires n’ont pas forcément les bonnes connaissances en la matière, et se voient confrontées de façon brutale à cette problématique contre laquelle ils ont relativement peu de recours.
 
Deuxièmement, car il est très difficile d’identifier la clientèle concernée, compte tenu du fait que les critères d’éligibilité sont extrêmement vastes.
 
En définitive, FATCA implique de mettre en œuvre des moyens importants pour, in fine, très peu de résultats.
 
 
Cette étude a également permis de recueillir l’opinion des banques sur les bénéfices retirés de la réglementation. Autrement dit, « réglementation » ne signifie pas uniquement coûts et contraintes. Pouvez-vous préciser ?
 
Pour pouvoir répondre à ces obligations de réglementation, les banques ont dû embaucher du personnel qualifié pour ces tâches, ce qui a donc eu un effet positif sur l’emploi. Toutefois, il convient de considérer que ces fonctions, essentiellement axées sur le support, sont très sensibles à la stratégie commerciale des établissements bancaires.
 
D’autres bénéfices indirects issus de certaines réglementations sont également à signaler tels qu’une meilleure connaissance des clients. C’est particulièrement le cas de la directive MIF, dont l’objectif est de participer à la construction d’un marché de capitaux plus profond, plus intégré et plus efficace.   PhR
 

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