De gros défis en perspective
Avec la venue de la crise financière, le Luxembourg est plus que jamais pointé du doigt pour son secret bancaire, ce qui détériore considérablement son image de marque à l’étranger. Nous avons questionné Fernand Grulms, directeur de Luxembourg for Finance, sur cette délicate question, sa projection de la place financière luxembourgeoise et sur les défis internationaux qui attendent ce secteur sous les feux des projecteurs.
Secret bancaire, lutte acharnée des grands pays contre l’évasion fiscale, possible introduction d’une taxe bancaire internationale, augmentation des charges pour les entreprises et donc également pour les instituts bancaires au Luxembourg, la place financière luxembourgeoise, notamment, semble réellement menacée. Quelle est votre analyse et quelles seraient selon vous les mesures pour assurer la pérennité de la place financière ?
En ce qui concerne la confidentialité des données des clients tout d’abord : il s’agit là d’un dossier qui concerne le Luxembourg depuis un certain nombre d’années et qui évolue avec le temps selon le contexte international. Le Luxembourg a récemment accepté et transposé les principes de l’article 26 de l’OCDE qui prévoit les circonstances dans lesquelles il doit y avoir échange de renseignements entre administrations fiscales. Il y a également un dossier européen dans les cartons qui prévoit deux mesures parallèles, à savoir d’une part la retenue à la source et d’autre part l’échange automatique de renseignements. Nous considérons que l’augmentation du taux de retenue à la source qui va passer à 35% en 2011 (ndlr : pour les placements à l’étranger) est une réelle discrimination puisqu’il est nettement inférieur en droit interne. La conséquence logique pourrait être une perte d’intérêt pour les banques luxembourgeoises, véritable défi qu’elles devront surmonter en proposant une meilleure offre de produits, de services et de conseil.
La pression exercée sur le Luxembourg pour qu’il procède à l’avenir à l’échange automatique de renseignements est une autre forme de discrimination dans la mesure où il n’existe pas non plus dans les autres pays. Nous avons toujours accepté de jouer le jeu mais ne voulons pas être discriminés.
Que la réglementation aille dans le sens d’un durcissement ne fait aucun doute, et cela est quelque peu préoccupant pour une place financière comme la nôtre qui est constituée d’une multitude de petits acteurs. Car qui dit durcissement de la réglementation dit sophistication de la charge de reporting et des règles prudentielles, ce qui implique la mise en place de systèmes informatiques encore plus performants synonymes d’accroissement des coûts.
Pour résumer, les instituts bancaires devront trouver des solutions pour garder leurs coûts sous contrôle étant donné la concurrence sur le marché qui aura bien évidemment pour conséquence un rétrécissement des marges bénéficiaires.
Nous ne sommes en revanche pas très préoccupés par la taxe internationale qui n’a de sens que si elle est appliquée à l’échelle internationale, or il y a désaccord aussi bien au niveau européen que celui du G20. Et même si elle venait à voir le jour, elle ne concernerait pas plus le Luxembourg qu’un autre pays.
Les libéraux-démocrates (DP) préconisent des mesures visant à améliorer son image détériorée à l’extérieur qui la rendrait moins attrayante pour les investisseurs. Or, votre mission principale est précisément de promouvoir l’image de marque de la place financière luxembourgeoise à l’étranger. Comment redorer son blason ?
Et bien nous sommes très contents que le parti démocratique se saisisse de ce dossier [sourires]. L’image se construit sur des années sinon des décennies et peut-être détruite en quelques jours. L’image de la place luxembourgeoise a effectivement été ternie ces deux dernières années, c’est incontestable. Notre entreprise a été lancée en 2008, et une de nos missions consiste précisément à promouvoir cette image à l’extérieur de nos frontières. Il faut beaucoup et bien communiquer et nous menons donc des campagnes en continu. Cela dit, tous les acteurs du secteur doivent apporter leur pierre à l’édifice : tous ont leur part de responsabilité, y compris les politiques. Nous essayons par exemple de faire passer le message comme quoi le Luxembourg est actif dans la finance durable, la micro-finance ou encore la finance islamique. C’est un exercice de longue haleine.
Je tiens quand même à préciser que c’est le grand public étranger qui a une mauvaise image du Luxembourg dans ce domaine et non pas les professionnels. Pour finir, sachez que ce sont toujours les mêmes pays – que je ne citerai pas – qui pointent du doigt le Grand-Duché…
Le Luxembourg n’est pas plus un paradis fiscal en Europe que ne l’est la Belgique, la city de Londres, Monaco… sans parler de Jersey ou Guernesey. Pourquoi s’acharner sur lui ?
Nous sommes un pays membre de l’Union européenne avec les avantages et les contraintes que cela implique et un pays à part entière contrairement à certaines enclaves territoriales qui ont la chance de bénéficier d’un grand protecteur. D’ailleurs la Suisse et le Liechtenstein sont tout aussi malmenés. C’est aussi simple que ça.
Doit-on imaginer un Luxembourg «après-bancaire»… on entend constamment parler de «diversification économique» ?
La place financière luxembourgeoise représente 46% du PIB… et encore ces chiffres sont très vraisemblablement sous-estimés. Ce que l’on a tendance à oublier, c’est que la finance elle-même au Grand-Duché est très diversifiée. Entre corporate finance, fonds d’investissement, banques privées, assurance-réassurance, private equity, etc. nous n’avons pas à nous inquiéter. Le Luxembourg, de par les coûts élevés de la main d’œuvre, n’a d’autre choix que de se concentrer sur des activités à haute valeur ajoutée dont la finance fait partie.
Cela dit, nous n’avons rien contre la venue d’autres activités économiques de pointe, bien au contraire. Toutes les tentatives sont les bienvenues et dans l’intérêt du secteur bancaire lui-même.
Tout le monde s’accorde à dire que les banques américaines et européennes sont à l’origine de la crise économique et financière mondiale. La réponse des décideurs des grandes puissances qui consiste à vouloir durcir la réglementation est-elle la bonne ? Le Luxembourg n’en pâtirait-il pas ?
La crise économique et financière mondiale nous vient tout droit des Etats-Unis, comme tout le monde le sait, et résulte d’un manque de gouvernance et d’une politique monétaire bien trop généreuse qui a contribué au financement des bulles spéculatives. La banque centrale américaine a, de connivence avec les responsables politiques, cherché par là à stimuler la croissance économique. Et aujourd’hui, ce sont les boni des banquiers qui sont mis au pilori. Certes, les financiers ont commis des erreurs mais les responsabilités doivent être partagées.
Quoi qu’il en soit, le manque de gouvernance au niveau politique laisse dubitatif ; on peut vraiment se demander si l’on a tiré les bonnes leçons de cette crise. La preuve en image avec la cacophonie en matière de réglementation qui règne depuis trois mois en Europe. Le manque de concertation politique est un problème. J’estime ainsi qu’aussi bien les acteurs financiers que le monde politique doivent adopter une attitude plus modeste.
En ce qui concerne le Luxembourg, comme évoqué tout à l’heure, un durcissement de la réglementation serait au détriment des acteurs financiers, sa particularité étant d’avoir une multitude de petites structures qui verraient leurs coûts augmenter. Cependant, il se dégage également des avantages : un certain nombre de produits dont certaines classes d’investissement alternatif pourraient se délocaliser de centres off-shore vers des centres on-shore, et le Luxembourg a là une carte à jouer qu’il soit absolument saisir. Cela permettrait de compenser les coûts additionnels dont je vous parlais.
N’est-ce pas là plutôt un nouveau tour habile de communication de nos décideurs destiné à montrer à l’opinion publique qu’ils prennent le problème à coeur ?
Lorsque le monde de la finance était au bord de l’abyme voilà près de deux ans et qu’on a parlé de mesures, on s’est d’abord attaqué au boni des traders et aux paradis fiscaux. On avait en fait déjà décelé les mesures à adopter pour avoir l’opinion publique derrière soit. Oui, c’est tout à fait ça.
PhR