Une université double face
La politique de diversification de l’économie du pays a permis un développement considérable dans la recherche, notamment en biomédecine et en biotechnologie. Rencontre avec Claude Haas, chargé de cours en sociologie à l’Université du Luxembourg.
Pouvez-vous présenter une brève historicité de l’évolution économique du pays?
Contrairement aux pays limitrophes, le Luxembourg a connu après la crise sidérurgique des années 70, une deuxième phase de croissance qui est indispensable à la compréhension de l’évolution des dix dernières années. Les Trente Glorieuses sont à la majorité des pays développés, ce que la période de 1985 aux années 2000 est au Luxembourg; la plus forte croissance économique jamais vue par notre pays. C’est à ce moment-là que s’est développé le phénomène du marché du travail transfrontalier.
La crise actuelle doit être située dans ce contexte de croissance fulgurante que nous avons connue et même si elle induit une croissance moins rapide de notre PIB et un ralentissement du marché du travail, le Luxembourg continue de créer beaucoup d’emplois. Elle ne peut être comparée à celle de nos voisins car notre crise reste toujours la normalité dans d’autres pays.
Le Luxembourg s’est alors développé en dépendance de la Grande-Région car le réservoir des travailleurs résidents n’aurait pas permis la fulgurante croissance des années 80. Quels sont, selon vous, les secteurs porteurs?
Les plus importants sont toujours les secteurs financier et banquier; les chiffres montrent que malgré un ralentissement, il y a toujours de la création d’emploi. Tout comme le secteur des services, mais nous cherchons de nouvelles niches comme celle des nouvelles technologies. Je prends pour exemple la présence d’Amazon au Luxembourg qui représente plus de mille emplois. Le secteur socio-médical connaît aussi une forte progression et recrute beaucoup de main d’œuvre; certains réseaux comme Hëllef Doheem ou Help sont parmi les plus grands employeurs du pays.
Dans la foulée du secteur banquier, d’autres niches ont été créées comme celle de la biotechnologie ou de la biomédecine. Le secteur économique de la connaissance nécessite une main-d’œuvre hautement qualifiée et l’Université du Luxembourg s’inscrit dans cette volonté politique.
Cette diversification de l’économie mise en place par le précédent gouvernement est-elle une manière pour le Luxembourg de se racheter une nouvelle virginité et de faire oublier l’étiquette de paradis fiscal?
Un glissement s’est effectué; de l’activité sidérurgique ou plus largement de l’activité industrielle, nous sommes passés à une activité financière. Aujourd’hui, nous avons davantage pénétré dans le marché des nouvelles technologies et on retrouve dans la politique de recherche de l’enseignement supérieur, la volonté de trouver de nouvelles niches.
L’un des deux instituts de recherche interdisciplinaire de l’Uni travaille notamment sur la biomédecine alors que l’autre s’occupe des nouvelles technologies et plus spécifiquement des systèmes de sécurisation des opérations bancaires, du traitement de données personnelles qui sont des enjeux cruciaux dans une société dite ”connectée”.
La crise financière de 2008 n’est pas la seule raison de cette mutation. Le secret bancaire est critiqué depuis plus longtemps et les fonds d’investissements ne sont pas exempts de l’immoralité qui a été dénoncée jadis.
Cette diversification de l’économie qui implique d’énormes investissements notamment dans l’Université mais aussi dans le fond national de la recherche, est-elle judicieuse?
On a beaucoup investi dans la société de la connaissance car les centres de recherche publique se sont beaucoup développés. L’université occupe aujourd’hui plus de 1.000 personnes avec un corps académique considérable, ce qui n’a plus rien à voir avec 2003, date de sa création. Jusqu’en 2013,
sa croissance était de 15 ou 20% par an, d’où l’importance de son budget. Il y a eu un vrai investissement dans la recherche et dans les technologies de pointe en très peu de temps.
L’avantage d’un petit pays, c’est la capacité d’avoir des processus décisionnels très courts. Tout comme le secteur bancaire, la recherche s’est très rapidement développée. L’Uni.lu répond-elle aux besoins de formation de haute qualification?
Il faut savoir que l’idée de base n’a jamais été d’en faire une université généraliste mais de créer un lieu de spécialisation. Il s’agissait de faire une université de pointe dans certains domaines d’excellence. Pour cela, l’Uni a fortement investi dans le niveau Master et avec plus de temps dans la recherche doctorale mais elle a aussi repris des formations comme celles des enseignants, des ingénieurs, des travailleurs sociaux, etc. Avec des frais d’inscription à bas coûts, elle a permis à une grande partie de la population d’accéder à des formations universitaires telles que les “bachelors” en culture européenne, en droit, en économie ou en gestion.
Une université a toujours ses logiques propres qui sont relativement indépendantes de la volonté des gouvernements, l’université a notamment gagné dans sa diversité de
formations mais ce n’est pas comparable à une université traditionnelle. Pour vous donner un ordre de grandeur, notre faculté des lettres, des sciences humaines, des arts et des sciences de l’éducation est de la taille du département d’anthropologie de Cambridge. Pour être concurrentiel à un niveau international, il aurait fallu des moyens énormes.
Dans ce contexte, la création d’une faculté de médecine est-elle envisageable?
Les facultés de médecine sont les plus chères car elles nécessitent de gros investissements en technologies. La recherche médicale implique une masse critique en termes de grandeur et de taille. Si on voulait construire une faculté de médecine, cela nécessiterait la plus large partie de l’actuel budget de l’université. JuB