Syrie : « Nous ne devons pas baisser les bras »
Le 15 mars prochain marquera le quatrième anniversaire du conflit syrien. Plus de 191.000 personnes ont été tuées, un million de personnes ont été blessées et le bilan ne cesse de s’aggraver. C’est dans ce contexte que Handicap International Luxembourg a organisé ce jeudi 12 mars 2015 une conférence de presse pour faire le point de la situation après 4 années de conflit dévastateur. Martin Lagneau, directeur, Patrick Le Folcalvez, référent technique réadaptation et Philippe Houliat, expert en déminage humanitaire pour Handicap International sont revenus sur les enjeux majeurs de ce conflit.
« Un anniversaire terrible »
Si les 4 années du conflit en Syrie ont été particulièrement dévastatrices, l’année 2014 marque sans doute un point noir avec une véritable escalade du degré de violence qui s’exerce sur les populations civiles. Sur 28 millions d’habitants en Syrie au début de la crise, on dénombre plus de 191.000 morts depuis 4 ans avec plus de 76.000 morts sur l’année 2014 et plus d’un million de blessés. Avec 12,2 millions de personnes affectées dont 7,6 millions de déplacés internes et 3,8 millions de réfugiés dans cinq pays, le conflit syrien représente une des pires crises humanitaires de ces 30 dernières années. « Cinq pays : la Turquie, l’Irak, la Jordanie, le Liban et l’Egypte, portent à 95% le fardeau de l’accueil des réfugiés. Au Liban plus de 20% de la population est réfugiée », précise Martin Lagneau, directeur de Handicap International Luxembourg.
L’effroyable impact des armes explosives sur les civils, des effets dévastateurs
S’ajoute à ces constats alarmants, la problématique de l’usage intensif des armes explosives en zones peuplées.
« Les engins explosifs improvisés provoquent non seulement d’énormes dégâts sur les infrastructures mais touchent très lourdement les populations civiles, précise Philippe Houliat, expert en déminage humanitaire pour Handicap International Luxembourg. L’utilisation avérée de bombes à sous-munitions (BASM) et de « Barrel Bombs » (engins explosifs improvisés de 250 à 1000 kg) larguées par hélicoptère sur les zones habitées ont des effets dévastateurs. Ces armes tuent ou blessent les civils et provoquent des handicaps physiques et des traumatismes psychologiques souvent très lourds. On peut également déplorer qu’aucune opération de déminage d’urgence ne puisse être engagée sur les sites contaminés par les restes explosifs de guerre tant que le conflit continue, ce qui rend encore plus vulnérables les populations civiles qui souhaitent rentrer chez elles. »
Des conséquences terribles : des générations de personnes mutilées
Des dizaines de milliers de personnes ont besoin de prothèses, d’orthèses et de séances de rééducation ainsi que de soutien psychologique pour surmonter les traumatismes. « On estime entre 50.000 et 80.000 le nombre de personnes nouvellement amputées qui vont avoir besoin d’appareillage. Cela signifie également des soins et des prises en charge nécessaires tout au long de la vie », précise Martin Lagneau.
Pour faire face à cette situation, plus de 600 professionnels sont mobilisés sur le terrain, plus de 360.000 personnes ont été aidées par Handicap International, 2.700 ont déjà été appareillées. 190 volontaires sillonnent les camps et les quartiers pour identifier les plus vulnérables, en particulier les personnes handicapées, afin de déterminer leurs besoins et de favoriser leur accès aux services et aux infrastructures. « L’important est de prendre en charge le plus tôt possible les blessés pour éviter les handicaps à long terme », explique Patrick Le Folcalvez, référent technique réadaptation pour Handicap International. « Outre l’appareillage de personnes handicapées et amputées, nous menons des sessions de rééducation physique, soignons les blessés, organisons des distributions de produits de première nécessité et avons des actions de soutien psychosocial pour prendre en compte les « blessures invisibles » des victimes. C’est l’opération d’urgence la plus complexe jamais mise en place par l’association ». Afin de protéger les populations civiles des dangers des armes, de séances de sensibilisation aux risques liés à la présence de restes explosifs de guerre sont également organisées. Mises en œuvre dans les camps de réfugiés situés dans les pays frontaliers, voire sur le territoire syrien via des partenaires locaux, elles ont permis de sensibiliser plus de 76.000 personnes à ce jour.
« Le droit international humanitaire est bafoué constamment »
« Le déroulement du conflit syrien est tel qu’à chaque instant nous constatons que le droit international humanitaire est bafoué », explique Martin Lagneau. Les principes de protection des civils sont constamment violés, l’accès aux soins pour les blessés est entravé, on déplore un manque de services médicaux, 5 millions de personnes se trouvent dans des zones d’accès difficiles, soit des zones de combats. C’est deux fois plus qu’en 2014 ! La capacité des populations à fuir les combats est elle aussi constamment entravée, les populations ont de plus en plus de mal à franchir les frontières ; et aujourd’hui personne n’est en mesure d’être dans une zone sécurisée en Syrie !
« Face à cette réalité, il ne faut surtout pas baisser les bras »
Face à ces terribles constats, 21 organisations humanitaires, de développement et de défense des droits humains ont décidé de dénoncer la non-application des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU par les parties belligérantes et la communauté internationale dans un rapport publié aujourd’hui, jeudi 12 mars 2015, intitulé « Echec coupable en Syrie ».
Malgré trois résolutions du Conseil de sécurité adoptées en 2014 (2139, 2165, 2191), notamment soutenues par le Luxembourg, exigeant la mise en place de mesures pour assurer la protection des civils et leur porter assistance, l’accès humanitaire s’est détérioré dans une grande partie de la Syrie. Les statistiques, affligeantes, révèlent que les résolutions ont été ignorées ou minimisées par les parties au conflit, les membres du Conseil de sécurité et les autres États membres de l’ONU, ce qui a conduit à l’année la plus sombre de la crise syrienne pour la population civile. « Nous devons saluer le rôle du Luxembourg comme exemplaire pour avoir soutenu ces résolutions, néanmoins nous sommes aujourd’hui obligés de constater que le bilan est catastrophique et que la situation est hors de contrôle », déplore Martin Lagneau. En effet la population n’est pas protégée, l’accès humanitaire ne s’est pas amélioré, les besoins humanitaires ont augmenté, les processus politiques pour mettre fin au conflit ne se sont pas améliorés et le financement des opérations humanitaires a diminué par rapport aux besoins » dénonce Martin Lagneau. En 2013, 71 % des fonds nécessaires pour porter assistance aux civils sur le territoire syrien et aux réfugiés dans les pays voisins avaient été réunis. En 2014, seuls 57 % des financements nécessaires ont été reçus.
« Aujourd’hui nous faisons face à une situation d’urgence mais nous voulons surtout attirer l’attention sur la nécessité d’une présence à long terme des travailleurs humanitaires en Syrie et dans les pays limitrophes », ajoute en duplex depuis le terrain Anne Garella, coordinatrice régionale de la mission d’urgence de Handicap International au Moyen-Orient.
« Face à cette réalité, nous avons donc décidé de lancer une campagne d’information et de sensibilisation ainsi qu’un appel aux dons au Luxembourg afin de lever la souffrance de la population syrienne. Il ne faut surtout pas baisser les bras », conclut Martin Lagneau.