Renforcer la visibilité et les compétences numériques du pays

En juillet dernier, six fédérations professionnelles de l’ICT lançaient ICTluxembourg, une plateforme de coordination dédiée à la promotion et au développement du secteur. Pour son président, Gérard Hoffmann, par ailleurs CEO de Telindus, le pays doit avant tout investir dans la formation continue, pour développer la main d’œuvre qui lui fait défaut.
 
Gérard Hoffmann, quel bilan tirez-vous de ces six premiers mois de fonctionnement d’ICTluxembourg ?
 
Pour rappel, l’asbl a trois missions : parler d’une seule voix et exercer une fonction de lobbying auprès des institutions nationales et internationales ; promouvoir et positionner le Grand-Duché à l’international dans ce secteur ; mener une réflexion et des actions pour développer les compétences ICT et former et attirer la main d’œuvre qualifiée dont le pays a besoin. S’il est certes trop tôt pour tirer un premier bilan, nous avons néanmoins mis en route un certain nombre d’initiatives.
 
Quelles actions concrètes avez-vous déjà entamé ?
 
Concernant la première mission, nous élaborons un avis sur la réforme en cours de la réglementation européenne sur la protection des données des consommateurs. A ce sujet, nous défendons le principe du pays d’origine de la société ; celle-ci n’aurait plus comme interlocutrice qu’une seule autorité nationale chargée de la protection des données : celle du pays de l’UE où elle a son siège. Les consommateurs pourraient alors directement s’adresser à l’autorité chargée de la protection des données de leur pays, même lorsque ces données sont traitées par une entreprise établie en dehors de ce pays ou du territoire de l’UE. Nous préparons également une série de recommandations en matière de cybersécurité, sur la base d’un benchmark de ce qui se fait en la matière à l’étranger. En outre, pour ce qui est de la promotion du secteur, nous participons aux actions et missions organisées par le gouvernement à l’étranger.
 
Enfin sur le volet des compétences ICT (e-skills), nous planchons ensemble avec le gouvernement, et préparons des propositions très concrètes pour la mise en place d’actions de formation continue. Concrètement, nous souhaitons mutualiser la formation continue dans les entreprises, élever le niveau des compétences, mais surtout donner aux acteurs du secteur les moyens de recruter, puis de former les talents dont ils ont besoin.
 
Nous n’arrivons en effet pas à recruter suffisamment d’ingénieurs, de techniciens ou de project managers de haut niveau. Malheureusement, ces professions n’attirent pas encore beaucoup de femmes. Nous essayons donc de sensibiliser les gens à ces métiers, et à mettre en place des structures de formations plus poussées.
 
Sur ces sujets, comment s’effectue la collaboration de l’asbl avec la plateforme «Digital Lëtzebuerg» ?
 
«Digital Lëtzebuerg» est une initiative gouvernementale visant à élaborer et à déployer une stratégie numérique globale pour le pays. Il s’agit de rassembler et de canaliser tous les efforts publics en la matière, de mieux coordonner les approches et les actions, et de trouver des synergies. Il s’agit également de promouvoir le secteur et de lui donner une plus grande visibilité à l’étranger.
Nos démarches sont donc identiques. L’une émane du secteur public, l’autre du privé. De fait, nous collaborons à trois des six groupes de travail mis en place par «Digital Lëtzebuerg», notamment le développement des e-skills, domaine dans lequel nous avons actuellement le plus avancé.
 
Nous travaillons par ailleurs conjointement sur la thématique des start-ups ; dans nos métiers en effet, ce ne sont pas nécessairement les grandes entreprises qui changent les paradigmes. Aussi, nous aimerions attirer au Luxembourg des entrepreneurs qui ont créé des start-ups à l’étranger. Troisième groupe de travail, FinTech : l’industrie financière a besoin de solutions technologiques toujours plus innovantes. Et le mouvement s’accélère dans ce secteur ; il s’agit donc ici de définir et de développer de nouvelles niches.
 
A quel horizon travaillez-vous ?
 
Sur certains chantiers comme la question des e-skills et de la formation continue, les premières décisions seront présentées cet été. Ici, il s’agit moins d’argent que de mise en commun de moyens existants.
 
Et comment se positionne Telindus par rapport à ces initiatives ?
 
Au niveau européen, il faut savoir que dans le domaine de l’ICT, le Luxembourg reste un marché très exceptionnel. En dix ans, le marché a doublé. Il réalise aujourd’hui un volume de 1 à 2 milliards d’euros, avec un taux de croissance de 5%, contre 2 à 3% dans les autres pays.
 
Cette situation se reflète chez Telindus également. Notre progression sur les dernières années a en effet été très importante et même plus rapide que celle du marché. L’année dernière, nous avons même enregistré des résultats exceptionnels et dépassé le cap des 100 millions de chiffre d’affaires, Nous comptons aujourd’hui presque 400 collaborateurs.
 
Pour nous, c’est vraiment une belle période. Aussi, nous essayons de bénéficier de la situation actuelle pour nous positionner sur des niches, et plus spécifiquement celle du FinTech. Et notre stratégie rejoint donc celle du gouvernement. Comme nous sommes déjà un sous-traitant de la Place financière, nous comptons à ce titre renforcer notre position, en créant entre autres une plateforme qui lui permette de se différencier des autres centres financiers étrangers, par son efficacité et son innovation. Nous sommes un acteur important et un des moteurs de la place financière, avec une compétence respectable dans ce domaine.
 
Cela signifie-t-il que sans l’ICT, le secteur financier n’a plus d’avenir ?
 
Non, car les deux secteurs travaillent en symbiose et se nourrissent l’un l’autre. Si nous bénéficions des développements de la place financière, celle-ci profite également des innovations que nous apportons en termes de productivité et de solutions. A Luxembourg nous sommes très compétitifs dans les deux secteurs. Dans leurs domaines respectifs, chacun a des spécificités qui n’existent nulle part ailleurs et qui s’exportent très bien. Il s’agit là d’un co-développement assez unique en son genre.
 
Retrouve-t-on selon vous une symbiose ICT-Finance équivalente dans les autres centres financiers ?
 
Nulle part, je n’ai vu une telle proximité des acteurs comme au Luxembourg, ni une législation et un cadre réglementaire aussi complémentaires l’une de l’autre. Notre secteur financier est très régulé, c’est là un élément différenciateur. Le statut PSF est unique. Nous avons en outre des approches singulières sur la protection des données, issues du secret bancaire. Ce sont là des synergies très fortes, qu’on trouve dans une moindre mesure ailleurs.
 
Comment les deux plateformes privée (ICTluxembourg) et publique («Digital Lëtzebuerg») intègrent-elles le Big Data et le cloud computing dans leurs stratégies respectives et communes ?
 
Ce sont des termes très vagues et très larges auxquels on peut associer beaucoup de choses. Le Big Data concerne plutôt le côté applicatif, alors que le cloud relève de l’infrastructure et de la couche au-dessus.
 
Et dans ces domaines, en quoi le Luxembourg peut-il donc se différencier ?
 
Le Big Data représente un potentiel pour le pays. Cependant, peu d’acteurs se sont lancés dans ce segment, et nous sommes moins visibles qu’avec le cloud, où Telindus est à mon avis l’un des leaders du marché luxembourgeois… Le segment n’est pas encore aussi mature ; il le sera certainement dans trois ans…
 
Comment Telindus s’y prépare-t-il ?
 
Nous n’avons pas encore de solutions Big Data pour nos clients. Nous disposons en interne de nos propres données, pour nos propres besoins d’analyse et d’innovation notamment. Nous avons mis en place un groupe de réflexion à ce sujet, mais rien de concret n’a été arrêté aujourd’hui. Néanmoins, je pense que nous serons parmi les premiers à proposer des applications dans ce domaine d’ici deux voire trois ans.
 
D’ici-là quelles sont donc les perspectives de Telindus pour 2015 ?
 
Je n’ai pas de craintes, ni de raisons de penser que la croissance du secteur et de notre groupe connaîtra un ralentissement. Pour l’année en cours, je pense que le marché luxembourgeois offre des opportunités de croissance. Nos prévisions pour 2015 sont donc à la hausse.
 
Quel message fort souhaitez-vous faire passer aux pouvoirs publics et plus spécifiquement aux communes ?
 
Malgré les groupes de travail initiés par «Digital Lëtzebuerg», je pense qu’il n’existe pas de réelle concertation entre les communes, ni de véritables actions d’ensemble, de la part des services publics, pour restructurer et accélérer leur informatisation. Nous sommes d’avis que les pouvoirs publics doivent renforcer la visibilité de la réforme e-gouvernementale. En effet, l’outil informatique s’est à ce point démocratisé, que chacun peut désormais l’utiliser de façon individuelle et décentralisée. Nous voyons donc là un potentiel d’amélioration important du service aux citoyens et aux entreprises.
Communiquer sur la digitalisation de l’État, c’est aussi raconter ce qui a déjà été réalisé. Dans ce domaine, les services publics et communaux se vendent mal. Et le fait de mettre en avant les bonnes pratiques instaurées dans certains ministères pourrait, je pense, créer une plus forte émulation au sein des autres institutions publiques.
 
MA

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