L’exception… qui confirme la règle
«Marie-Hélène Massard», un nom peu connu au Luxembourg. Pourtant, depuis deux ans, la Bretonne de 41 ans seulement qui a grandi en région parisienne a pris les rênes de la filiale luxembourgeoise du grand groupe international Axa. Interview d’une des rares femmes nommées au poste de directeur général et d’administrateur-délégué dans une multinationale au Grand-Duché.
Madame Massard, en guise d’introduction, quelques mots sur vous-même et votre parcours scolaire ?
J’ai 41 ans, je suis mariée et ai un garçon âgé de 12 ans. Originaire de Bretagne, j’ai néanmoins passé toute mon enfance dans la région parisienne.
Après l’obtention de mon baccalauréat orienté mathématique en 1991 dans une école catholique de filles, j’ai entamé mes classes préparatoires, hypokhâgne S et khâgne S, sans avoir de métier particulier en tête. Désireuse de poursuivre ma formation dans l’économie, j’ai passé une année à la faculté de Paris X Nanterre où je me suis consacrée en particulier aux disciplines de la statistique et de l’économétrie, avant d’intégrer l’école de statistique de l’INSEE en 1994.
Pourquoi ces disciplines très particulières ?
La collecte puis l’analyse de données en masse permettent d’en tirer de la connaissance et ainsi de la valeur ajoutée, et ce, dans des domaines très divers tels que le marketing, l’évaluation des risques ou encore la bio-statistique, pour ne citer que ces quelques exemples, ce que j’ai trouvé très tôt fort intéressant. Cela reflète d’ailleurs parfaitement mon tempérament, puisque j’aime découvrir, apprendre par l’expérience. L’approche de cette école était très avant-gardiste à une époque où l’on ne parlait pas encore de Big Data.
Préférant le concret et le terrain, j’ai fait une césure active en juillet 1996 en arrêtant l’école 14 mois pour intégrer le monde de l’entreprise, avant d’obtenir mon diplôme en 1998. Ce sont présentées à moi deux opportunités, l’UAP (ndlr : Union des Assurances de Paris), le numéro un de l’assurance en France à l’époque, et Axa. J’ai porté mon choix sur Axa, qui n’était pourtant pas le grand groupe que l’on connaît aujourd’hui, et qui, pour l’anecdote, a racheté l’UAP quelques mois plus tard.
Vous avez donc vécu la fusion de l’intérieur en tant que stagiaire ?
Absolument. J’ai vécu là une période formidable n’ayant pas à supporter la pression induite par la fusion et me retrouvant à un poste d’ «observateur» extraordinaire. Je me souviens que les collaborateurs de l’UAP ne parvenaient d’ailleurs pas à croire au départ que le «petit» avait absorbé le «grand», qui, ironie du sort, avait pour slogan «Numéro un oblige». Je pense m’être liée à cette société émotionnellement à ce moment-là, de laquelle se dégageait une énergie incroyable.
Mon expérience en entreprise m’a fait prendre conscience de l’importance de tout ce qui a trait aux systèmes d’information et au contrôle de gestion. Ainsi, en parallèle de ma dernière année d’étude à l’INSEE, j’ai intégré un troisième cycle à l’université et décroché un DESS systèmes d’information et de contrôle de gestion.
Vous intégrez Axa Investment Managers en 1998, filiale de gestion d’actifs…
Effectivement. J’ai été en charge des systèmes d’information, plus concrètement des volets bases de connaissances et gestion de la relation clients, au sein de l’équipe marketing et commerciale, poste que j’ai quitté en octobre 2001 pour rejoindre le siège du groupe Axa. J’ai eu pour mission les sujets de fidélisation client et de performance de la distribution.
En quoi l’approche de l’assurance est-elle différente selon les pays, et comment cela se traduit-il au niveau de la stratégie produits ?
Le premier élément est celui du niveau de développement économique d’un pays. En effet, selon le degré de développement économique, l’expression des besoins est différente. Nous adaptons donc nos solutions d’assurance en conséquence.
Ensuite, les mentalités jouent un rôle déterminant. En matière d’assurance automobile, par exemple, si le principe de la franchise est tout ce qu’il y a de plus standard en France, en Allemagne ou en Belgique au niveau du produit tous risques, ce n’est pas dans les mœurs luxembourgeoises, raison pour laquelle la structure des produits n’est pas la même, malgré la proximité avec nos voisins.
Pour finir, une autre composante, tout aussi importante, le système législatif mis en place par les Etats, notamment au niveau de la couverture sociale. Pour reprendre l’exemple du Luxembourg, les prestations sociales étant très généreuses, le besoin en assurance complémentaire est moins important que dans d’autres pays où cette couverture est plus faible.
Vous êtes propulsée directrice générale de l’entité luxembourgeoise en août 2012. Quel regard portez-vous sur le Luxembourg à votre arrivée ?
Je suis arrivée avec ma famille par un magnifique jour de mai. J’y ai découvert un beau pays, très vert, propre et où les citoyens sont courtois. Par ailleurs, contrairement à ce qui m’avait été rapporté, j’ai trouvé un pays animé et dynamique de par les manifestations qui s’y déroulent, à quoi s’ajoute une excellente qualité de vie. J’aime à l’envie à répéter que l’on ne peut pas rêver mieux que le Luxembourg pour y mener une vie de famille. Mon fils m’a d’ailleurs dit : «Maman, la prochaine fois, tu vas travailler dans le pays que tu veux, mais moi, cette fois, je reste ici».
En revanche, il n’y a pas au Luxembourg la flexibilité au niveau de certaines commodités, les plages horaire des magasins et centres commerciaux n’étant pas aussi larges qu’ailleurs et le dimanche n’offrant que peu de possibilités de faire des achats… si ce n’est dans les stations essence aux allures de superette, une autre découverte que j’ai faite ici. Mais c’est un mal pour un bien, car depuis mon arrivée, j’ai réappris à apprécier le calme du dimanche.
Avant de venir au Grand-Duché, j’ai travaillé quatre ans en Pologne où j’ai occupé chez Axa les fonctions de directrice marketing et directrice de la distribution. J’y ai côtoyé une population faisant preuve d’une forte volonté entrepreneuriale. Les jeunes dans mes équipes se battaient pour avoir un projet et faire leurs preuves A mon arrivée au Luxembourg, j’ai ressenti un décalage au niveau de l’esprit d’entreprise, qui me semble moins développé, surtout chez les jeunes.
On a l’impression d’assister à un véritable acharnement contre le Luxembourg depuis l’éclatement de l’affaire LuxLeaks, comme en témoignent les attaques personnelles de plus en plus féroces dirigées contre l’ancien Premier ministre Jean-Claude Juncker…
L’image et la réputation du Luxembourg sont souvent attaquées, et le risque que l’on court est celui du repli sur soi, comme on l’a trop souvent vécu dans l’histoire européenne. L’ouverture et la capacité d’intégration sont une des grandes forces du Luxembourg, et il convient d’être très vigilent afin de conserver cette force.
A ce titre, devant les bouleversements réglementaires auquel le Luxembourg doit et devra encore faire face, la gestion du changement est à prendre très au sérieux. Le gouvernement et les entreprises en ont conscience et s’y préparent déjà depuis un certain temps, mais en est-il de même au sein de la population ? Je n’en suis pas certaine. Or c’est lorsque les choses vont encore bien qu’il faut agir.
Une dernière question, celle de l’égalité homme/femme au travail. Vous faites part de ces très rares femmes – jeune et non-Luxembourgeoise qui plus est – à être à la tête de la filiale d’une multinationale au Luxembourg. Selon vous, le fait d’être une femme vous confère-t-il certains désavantages ou, au contraire, certains avantages à occuper le poste qui est le vôtre ?
Tout d’abord, je pense que si j’ai été nommée au poste de directrice générale d’Axa Luxembourg, c’est parce qu’on a estimé que j’avais le profil recherché. Il est vrai qu’au conseil d’administration de l’ACA (Association des Compagnies d’Assurances), je suis la seule femme, mais, en revanche, il y a une forte présence internationale.
Je dois dire que l’accueil a été chaleureux, fidèle à ce que je considère comme «l’esprit luxembourgeois» d’ouverture et de bienveillance.
La question de la présence des femmes dans les hautes sphères de l’entreprise ne doit pas être un tabou, il faut encourager les dirigeants d’entreprise, souvent des hommes, à nommer des femmes. Sans vouloir faire dans la caricature, tandis qu’un homme lève la main lorsqu’un poste à responsabilité se créé ou se libère, une femme a trop souvent tendance à se demander si elle sera à la hauteur des responsabilités qui pourraient être les siennes. Il faut donc avoir une démarche proactive, aller chercher les femmes.
Ce que je dis d’ailleurs à mes collègues dirigeants d’entreprise qui ont des filles sur le point d’entrer sur le marché du travail, c’est qu’ils ont la responsabilité de créer l’entreprise dans laquelle leurs filles travailleront. De cette façon, petit à petit, les choses évolueront. PhR