Vers un transfert de prérogatives

Le mécanisme de surveillance unique (MSU) pointe son nez. L’objectif recherché par les instances européennes par ce biais est d’éviter tout nouveau séisme financier susceptible de replonger l’économie dans une crise majeure. Dès lors, comme nous l’explique Jean Guill, directeur général de la Commission de Surveillance du Secteur Financier (CSSF), les autorités de surveillance nationales auront pour vocation d’être avant tout des agences d’exécution de la BCE. Interview.
Le mécanisme de surveillance unique (MSU) a été adopté par le Parlement européen en septembre 2013. Que prévoit-il ?
Le mécanisme de surveillance unique, qui entrera en vigueur le 4 novembre 2014, est un des principaux piliers de l’Union bancaire en Europe. Celui-ci prévoit que toutes les banques dans la zone euro feront l’objet d’une surveillance de la part de la Banque centrale européenne, surveillance qui s’appliquera directement sur les grands établissements bancaires et indirectement – soit via les autorités nationales – pour les établissements de plus petite taille.
En d’autres termes, la surveillance passera désormais par l’échelon européen, ce qui signifie que les autorités de surveillance nationales se mueront quelque part en agences d’exécution de la BCE.
Autrement dit, les autorités de surveillance nationale telles que la CSSF perdront en pouvoir…
On peut le voir ainsi. Néanmoins, notre charge de travail, quant à elle, augmentera sensiblement, puisque nous aurons entre autres des obligations de reporting vis-à-vis de la BCE et devrons être représentés sur place.
Quelles sont concrètement les implications sur la place financière luxembourgeoise ?
Le fait de se voir confronter à davantage de régulation, de reporting, de contrôles sur place dans les banques et de procédures signifie de facto une augmentation des coûts de la régulation bancaire. N’oublions pas que le MSU n’est qu’un pilier de l’Union bancaire, celui-ci prévoyant également la réorganisation complète de la garantie des dépôts tout comme la résolution des banques en difficulté. Cette dernière mesure consiste dans un pot commun de 55 milliards d’euros répartis sur l’ensemble de la zone euro, auquel le Luxembourg devra participer à hauteur de 1,3 à 1,7 milliard.
Ce coût, qui est très difficilement quantifiable, est double. Il y a d’une part l’augmentation des coûts de fonctionnement des autorités de régulation – et il est important de savoir que ce sont les banques qui subventionnent la CSSF, et, d’autre part, l’augmentation des coûts de l’avalanche réglementaire au sein des établissements bancaires.
En résumé, les marges bénéficiaires des établissements bancaires seront très sérieusement entamées.
Ne doit-on pas voir dans ce nouveau mécanisme également une façon de redorer le blason des acteurs du monde de la finance ?
Non, ce mécanisme a tout ce qu’il y a de plus concret, comme je l’expliquais. Il s’avère que la crise économique et financière a montré que certaines banques n’avaient pas suffisamment pris en compte tous les risques que le métier comporte. Il était donc nécessaire que les autorités prennent des mesures de façon à ce qu’en cas d’ «accident» le navire ne chavire plus.
Par voie de conséquence, quelles sont les implications concrètes de ce mécanisme sur le travail au quotidien de la CSSF ?
Nos méthodes de travail vont changer et nos ressources doivent encore être revues à la hausse. Déjà très impliqués dans les collèges internationaux de superviseurs, nos collaborateurs, dans tous les groupes de travail, verront leur implication se renforcer dans les équipes sur place à la BCE.
Quant aux ressources humaines, de 540 employés à l’heure actuelle contre 300 en 2009, nous allons encore grossir nos effectifs et déménager dans un nouveau bâtiment plus grand.
La CSSF a prononcé des sanctions sévères en 2014 à l’encontre de certains acteurs, notamment d’un grand cabinet de conseil, dont la presse s’est fait l’écho. Selon cette dernière, ce sont des pressions externes exercées sur l’institution qui auraient conduit celle-ci à «serrer la vis». Que répondez-vous à ces allégations ?
Je récuse ces allégations.
En revanche, il est vrai que nous avons pris des sanctions de façon plus systématique ces dernières années, des sanctions sous forme d’amendes, de suspension d’activité ou de retrait d’honorabilité. Par ailleurs, nous avons fait le choix de communiquer davantage sur ces sanctions. C’est sans doute là l’explication à ces assertions.
La hausse du nombre de sanctions ces dernières années sont avant tout la conséquence de la crise et du durcissement de la réglementation. Cette tendance est générale et non pas spécifique au Luxembourg.
Le travail de la presse est en outre facilité par une nouvelle loi de 2009 nous obligeant à communiquer le nom de l’entité ou de la personne sanctionnée.
Quelles sont les principales infractions constatées ?
Dans la plupart des cas, nous avons affaire à des défaillances dans la communication des reportings, des défaillances qui sont sanctionnées par des amendes. Il en va de même dans la surveillance des marchés financiers où nous constatons parfois des manquements, lesquels sont également sanctionnés. Pour finir, nous notons également lors de nos contrôles sur place des défaillances dans l’organisation, dans les procédures anti-blanchiment, par exemple.
Il est vrai qu’il nous arrive cependant parfois de constater des infractions qui relèvent du droit pénal, que nous communiquons immédiatement au parquet.
Autrement dit, les infractions les plus graves sont marginales ?
Non, je n’irai pas jusqu’à dire qu’il s’agit là d’un phénomène marginal.
Les sanctions prononcées sont-elles dissuasives ?
Non, je n’hésiterais pas à affirmer que les sanctions que nous somme habilités à prononcer ne sont pas suffisamment dissuasives, et que les procédures de sanctionnement devraient être plus efficaces.
Cela ne veut pas dire qu’il faut prendre des sanctions disproportionnées, tel que cela se pratique dans certains pays, des sanctions qui sont d’ailleurs très souvent plus politiques qu’économiques, soit dit en passant.
Par contre, la loi que j’évoquais, qui nous oblige à communiquer les noms des personnes incriminées, revêt un caractère très dissuasif et permet de protéger la clientèle. Nous ne pouvons que nous en féliciter.
Le Luxembourg a pris la lutte contre le blanchiment très au sérieux depuis 2011, en renforçant le cadre réglementaire en la matière. Quelles sont les variables de risques que les professionnels doivent prendre en compte ? Comment évaluer ces risques ? Où en est-on aujourd’hui ?
La lutte contre le blanchiment d’argent au Grand-Duché ne date pas de 2011. La première législation anti-blanchiment dans le secteur financier remonte à 1989 ; le Luxembourg peut se targuer de faire partie des premiers pays à s’être doté d’une telle législation. Depuis, le Luxembourg n’a cessé d’étendre le champ d’application de cette législation.
J’aimerais ouvrir une autre parenthèse pour signifier que compte tenu du degré de surveillance du secteur financier, les blanchisseurs se sont tournés vers d’autres secteurs que je ne citerai pas…
…Il n’empêche que les acteurs de ces «autres secteurs» travaillent inéluctablement avec les banques…
C’est évident, et c’est la raison pour laquelle tous les acteurs financiers qui risquent d’être utilisés par les criminels en col blanc se doivent d’être avertis et très vigilants pour ne pas se faire complice malgré eux. Le mot d’ordre est donc de rester sur le qui-vive.
Pour cela, une banque doit connaître son client et la provenance de ses fonds. Cela implique un travail laborieux mais essentiel, qui consiste tout bonnement à suivre en continu les affaires du client. Au moindre soupçon de blanchiment, le parquet doit être saisi.
Notre mission consiste précisément à nous assurer que les établissements bancaires fassent ce travail, et devons pour cela vérifier que toutes les entités sous notre surveillance ont les bons mécanismes et procédures permettant de détecter d’éventuels cas de blanchiment.  PhR

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