L’amorce de la tolérance zéro

L’annonce de la levée du secret bancaire qui prendra effet en 2015 n’a guère surpris les établissements bancaires qui s’y préparent depuis une décennie. Aussi, même si certains «clients de petite taille» ont déjà rapatrié leurs fonds, les multiples atouts de la place financière qui subsistent, et notamment ses produits sophistiqués, devraient pouvoir convaincre les investisseurs de s’y installer. Au Luxembourg de saisir la balle au bond. Interview de Murielle Filipucci, associée, Banking Tax Leader, et de Pierre Kirsch, directeur chez PwC Luxembourg.
La directive européenne sur la fiscalité de l’épargne est entrée en vigueur en juillet 2005, mais le Luxembourg, la Belgique et l’Autriche refusent alors l’application de l’échange automatique y préférant l’instauration d’un régime transitoire avec une taxation progressive des revenus de l’épargne. En quoi consiste concrètement ce régime transitoire?
PK: Celui-ci prévoyait que les Européens détenteurs de comptes bancaires en Belgique, Luxembourg et Autriche, mais non-résidents, peuvent soit opter pour l’échange d’informations avec l’autorité fiscale de leur pays de résidence respectif, soit opter pour le secret bancaire, auquel cas ces revenus d’intérêts sont taxés au Luxembourg de façon anonyme à hauteur de 35%. Ceci exclut donc le résident luxembourgeois qui paie ses impôts au Grand-Duché.
MF: Dès 2015, tous les contribuables européens verront ainsi leurs informations bancaires transmises au fisc de leur pays respectif, à l’exception donc du résident luxembourgeois, qui continuera lui à s’acquitter d’une retenue à la source de 10%.
 
Les informations délivrées par les banques au fisc étranger sont-elles fiables?
MF: Il faut avouer qu’aucun contrôle n’est effectué sur les établissements bancaires sur la question de la taxation à 35% des revenus d’intérêts des clients étrangers, et il y a certainement des dysfonctionnements. Les établissements bancaires gèrent leurs propres processus de calcul.
Dès 2015, en revanche, avec la disparition de ce régime et l’entrée en vigueur de l’échange automatique d’informations, les banques devront faire preuve d’une grande rigueur, sans quoi les clients risqueront de se retrouver avec des informations divergentes.


Le Conseil d’Etat a remis un avis début juin dans lequel il émet des réserves sur la formule «contenu minimal des informations», qui, selon lui, «laisse entrevoir la possibilité d’une communication plus étendue». Le Luxembourg ne joue-t-il pas une nouvelle fois la montre?
MF: Le raccourci est vite établi, j’ose espérer que tel n’est pas le cas. Aller vers l’échange d’informations et plus de transparence est non seulement inéluctable mais aussi primordial pour l’image du pays. Maintenant, s’il s’avère que le texte n’est pas parfait, il est de la responsabilité du Conseil d’Etat de le faire savoir, sans quoi cela le lui serait reproché. Autrement dit, ne tirons pas trop vite de conclusions.
Précisons par ailleurs qu’une initiative au niveau de l’OCDE vise à implémenter un système d’échange d’informations mondial, bref que nous assistons à l’émergence d’un mouvement global tendant vers la transparence absolue.
 
En d’autres mots, tout le monde jouera le jeu, même certains micro-états «exotiques», la «City» au Royaume-Uni ou encore le Delaware aux Etats-Unis, pour ne citer qu’eux ?
PK : C’est précisément le point qu’a soulevé le Luxembourg, qui ne souhaitait en aucun cas une forme de distorsion de concurrence, à juste titre. On devrait donc atteindre un ‘Level Playing Field’ dès 2017, avec l’échange d’informations que nous venons de citer, à savoir sur les revenus de l’épargne, mais également sur tous les autres types de revenus: intérêts, dividendes, plus-values, balances des comptes, etc. Et les pays qui se soustrairaient à ces nouveaux standards courraient le risque d’être cloués au pilori.
 
Le Luxembourg s’est-il suffisamment préparé à la levée du secret bancaire, mesure potentiellement lourde de conséquences pour l’économie nationale?
MF: Le Luxembourg se prépare à la levée du secret bancaire depuis le jour où il a adhéré à la première version de la directive sur l’épargne, à savoir en 2003. Certes, les pays récalcitrants ont joué la montre, aidés par l’arrivée de la crise financière, qui a relégué le dossier au second plan.
PK: Ceci étant, la crise a renforcé la détermination des Etats à vouloir lutter contre l’évasion fiscale, ceux-ci ayant besoin de fonds pour juguler leur dette grandissante.
Quant au gouvernement luxembourgeois, dans les coulisses, il a fait preuve de beaucoup de bon sens en prévenant les établissements bancaires des dangers qu’ils encouraient s’ils ne changeaient pas de business model. Ces derniers ont bien saisi le message et ont repensé leur stratégie durant ces dix dernières années.
 
Comment s’y sont-elles prises? En ciblant une nouvelle clientèle?
MF: Il a d’abord fallu gérer le passé en analysant le portefeuille de clients existants et en anticipant ce changement auprès de ces derniers. Les banques se sont efforcées d’informer leurs clients sur base régulière de l’ «avancée des travaux» et, surtout, ont accompagné ceux qui ont choisi la voie de la régularisation dans cette démarche. Pour les nouveaux clients, il s’est agi de revoir les offres de services.
PK: Parallèlement, PwC Luxembourg, comme d’autres acteurs, a effectivement sensibilisé les banques sur la nécessité de s’orienter vers une nouvelle clientèle, à savoir les grandes fortunes, qui s’installent et ont besoin de produits plus sophistiqués en toute transparence. Aussi, si les clients de plus petite taille tendent à quitter les établissements luxembourgeois, d’autres s’y intéressent de près. Au Luxembourg de mener une politique proactive, de démarcher cette clientèle qui ne connaît souvent pas bien les nombreux atouts que revêt la place financière luxembourgeoise et plus globalement le pays, entre autres son grand savoir-faire en la matière, son multiculturalisme, sa stabilité fiscale, politique et juridique.  PhR
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