Baisser les dépenses de fonctionnement

Au même titre que Pierre Gramegna, Carlo Thelen, économiste en chef de la Chambre de Commerce, pointe l’attentisme et l’immobilisme des autorités luxembourgeoises à l’heure où la conjoncture économique se dégrade durablement et que des mesures courageuses s’imposent, à commencer par le freinage de l’évolution des dépenses publiques. Un vœu pieu dans un pays où le sujet semble tabou. Interview.

La situation économique du Grand-Duché n’est guère flatteuse, comparée à il y a quelques années encore -chômage en hausse, multiplication des plans sociaux, creusement du déficit public-, et les dernières nouvelles sont inquiétantes – levée du secret bancaire, perte de recettes à venir dans le domaine du commerce électronique, possible disparition du tourisme à la pompe en raison d’une harmonisation fiscale prochaine au niveau européen, le Luxembourg a-t-il véritablement du souci à se faire ?

Oui, incontestablement. Lorsque l’on sait que le Luxembourg n’a, en moyenne, pas connu de croissance économique depuis plus de cinq ans, lui qui a toujours tablé sur la croissance pour assurer son modèle social généreux, il y a matière à s’inquiéter. De plus, comme vous le signalez, le pays devra composer avec moins de recettes à l’avenir, alors que le chômage a explosé, l’inflation est plus élevée que chez nos principaux partenaires commerciaux, le déficit se creuse et la dette publique a carrément quadruplé depuis l’avènement de la crise. Plus inquiétant encore sont l’attentisme et l’immobilisme qui règnent au niveau des pouvoirs publics. Bref, force est de constater que seul un changement de mentalité permettra au Luxembourg de relever ces gros défis.
En ce qui concerne la levée du secret bancaire, qui semble tourmenter beaucoup de monde, je suis moins pessimiste dans la mesure où je pense que les acteurs concernés y sont relativement bien préparés, et que le secteur repose encore sur d’autres activités et piliers importants, comme les fonds d’investissements, les assurances, les produits structurés ou encore les crédits internationaux. Les compétences et l’expérience dans le secteur généreront de nouvelles activités autour de la micro-finance, la finance islamique, les family offices, etc.  En outre, nous nous sommes enfin débarrassés de l’étiquette de «paradis fiscal», ce qui nous permettra de décrocher de nouveaux marchés dans des régions jusqu’ici frileuses.

Comment le pays va-t-il pouvoir faire face aux difficultés qu’il rencontre et aux nouvelles auxquelles il se verra confronté?

Le manque à gagner, notamment sur la TVA au niveau du commerce électronique – qui pourrait à terme s’élever à 700 millions d’euros, ne pourra pas être compensé par une hausse des impôts, si l’on veut que le pays reste compétitif et attrayant pour les investisseurs.
Cette donne étant connue depuis longtemps, le gouvernement aurait dû réagir dès lors en jouant avant tout sur un freinage du côté des dépenses publiques, dont notamment les dépenses de fonctionnement et les transferts sociaux, à travers plus d’efficience et un meilleur ciblage. Nous avons donc perdu beaucoup de temps, et nous risquons d’en perdre encore, puisque le gouvernement n’est probablement pas prêt à prendre des mesures impopulaires à moins d’un an des élections. En attendant, la dette se creuse, et la pilule sera plus difficile à avaler lorsqu’on n’aura plus d’autre choix que de prendre des mesures plus drastiques pour sortir du rouge. Sachez qu’au Grand-Duché, la dépense publique annuelle moyenne par habitant est plus de deux fois supérieure à celle de la moyenne européenne, ce qui signifie qu’il y a beaucoup de marge en termes de réduction des dépenses ou de gains d’efficience. Il faut donc apprendre à dépenser mieux et à augmenter l’efficacité des services publics tout comme au niveau du fonctionnement des structures étatiques et administratives. Ici aussi, l’attentisme et l’immobilisme prévalent.
L’alternative est bien sûr de développer de nouvelles activités suffisamment prometteuses pour générer une manne de recettes conséquente, mais c’est beaucoup moins évident.

Précisément, la diversification économique voulue par le gouvernement, qui se met petit à petit en place, sera-t-elle suffisante pour combler la baisse des recettes?

Nous ne pouvons pas exceller dans tous les domaines, et il faudra être attentif à ne pas se disperser, car nous n’en avons pas les moyens. Pour un pays dont la taille est exigüe, nous pouvons nous targuer d’avoir sur notre sol le plus grand producteur d’acier au monde, le plus grand opérateur de satellites, un des plus grands acteurs des médias, des opérateurs industriels de grande envergure et d’autres ‘global players’, notamment dans les domaines du fret aérien, du commerce électronique et des équipementiers automobile, ce qui est déjà considérable. La présence et le succès de ces opérateurs sont souvent liés à l’exploitation de niches de souveraineté qui ont tendance à disparaître. Pour cela, il faut désormais miser sur les niches de compétences. En cela, le Luxembourg Free Port, par exemple, une zone franche que les autorités sont en train de réaliser à l’aéroport où les activités de stockage de biens de grande valeur seront exemptées de TVA, en est une parfaite illustration. Nous avons su associer nos compétences dans la logistique avec celles de l’activité financière et notre stabilité juridique reconnue.
Nous devons concentrer nos efforts là où nous possédons un grand savoir-faire et un avantage compétitif, et faire mieux, plus rapidement et être plus astucieux que les autres. Nous devons faire de sorte que nos ‘global players’ exportent un maximum de biens ou de services. Pour cela il faut que les conditions dans lesquelles ils évoluent soient optimales et compétitives. Par ailleurs, l’attraction de nouvelles activités, de nouvelles idées, de nouveaux collaborateurs hautement qualifiés et de nouveaux investisseurs est l’essence même de notre business model. Aussi, l’environnement luxembourgeois doit être stable, attractif, innovant et accueillant.
 

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