Une forte corrélation entre les éléments objectifs du bien-être et le bien-être subjectif
Le Conseil économique et social et le Conseil supérieur pour un développement durable ont été chargés par le gouvernement d’élaborer la structure et le contenu d’un système d’indicateurs destinés à donner une vue d’ensemble des conditions de vie au Luxembourg, autrement dit à mesurer le ‘PIBien-être’. Le CES, dont la tâche se concentre plus particulièrement sur la notion de bien-être immédiat, a publié, le 22 janvier dernier, les résultats de son travail sur ce sujet.
Dans sa déclaration sur le programme gouvernemental en juillet 2009, le Premier Ministre, Jean-Claude Juncker, donnait mandat au CES et au CSDD d’élaborer un indicateur de bien-être complétant celui du PIB et ce, en se basant sur les données officielles fournies par le Statec.
Le CES et le CSDD ayant décidé de soumettre un avis coordonné, ils ont, dans un premier temps, défini une méthode de travail et un calendrier communs. Pour cela, les deux institutions ont repris le découpage de l’OCDE et du rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi, qui distingue le bien-être actuel du bien-être futur, lequel ajoute la notion de la soutenabilité à celle de bien-être. Sur cette base, elles se sont ensuite réparti les tâches: il a été décidé que le CES se concentre sur le bien-être actuel, à travers une sélection d’indicateurs dans une optique ‘ménages’ et que le CSDD axe ses réflexions sur le bien-être futur.
Un groupe technique composé de membres du CES, du CSDD, de l’Observatoire de la Compétitivité, du STATEC et du ministère du Développement Durable et des Infrastructures a élaboré deux rapports compilant les données existantes et dressant le relevé des données manquantes. Ce groupe technique était responsable aussi bien du travail au jour le jour que de l’organisation et de la gestion pratique du projet. Toutes ses propositions et rapports étaient soumis à un groupe conjoint CES-CSDD, dont le rôle était de valider la démarche.
Au niveau de la méthode de travail, des réunions entre le CES et le CSDD ont régulièrement été organisées pour débattre de l'avancée des travaux et des approches retenues de part et d'autre. Un observateur de chacune des institutions a participé, en outre, à chaque réunion afférente de l'autre, afin de garantir la cohérence des travaux.
Le premier volet du travail du CES, destinée à mesurer le bien-être actuel et davantage axée sur le court terme vient d’être publié sous forme d’avis. Après finalisation des travaux du CSDD couvrant le volet ‘long terme’, le groupe conjoint CES-CSDD dégagera des positions communes pour présenter un ensemble cohérent d'indicateurs en matière de bien-être.
Les origines du renouveau de la mesure du bien-être
L’objet de la saisine gouvernementale est la mise en place d’un nouveau système d’indicateurs, plus proche des préoccupations citoyennes et mesurant l’évolution globale de la société. Cette idée s’appuie sur des travaux qui remontent au premier forum mondial de l’OCDE à Palerme en 2004, où les participants du monde entier ont réaffirmé l’apport important des statistiques publiques à la vie démocratique. Afin de poursuivre ces réflexions, l’OCDE a par la suite organisé d’autres forums d’envergure internationale, à Istanbul en 2007, à Busan en 2009 et à New Delhi en 2012. Ces forums, qui se sont traduits par la déclaration d’Istanbul et le développement du ‘Global Project’, ont été les éléments moteurs d’une réflexion sur les mesures de bien-être. Ils ont abouti à la publication, en 2011, d’un premier jeu d’indicateurs du progrès au niveau international: le compendium d’indicateurs de bien-être de l’OCDE, le site Internet ‘Your Better Life Index’ et le rapport ‘Comment va la vie ?’.
De même, des travaux plus académiques ont été entrepris en France par la Commission sur la Mesure de la Performance Économique et du Progrès Social, créée début 2008 sur l’initiative du gouvernement français et présidée par les économistes Joseph Stiglitz, Amartya Sen et Jean-Paul Fitoussi. Le rapport qui en est issu est devenu la référence mondiale sur le sujet. Dans la foulée, la Commission européenne a diffusé, en août 2009, une communication intitulée ‘Le PIB et au-delà – Mesurer le progrès dans un monde en mutation’, qui propose une feuille de route pour améliorer les indicateurs de mesure du progrès d'une manière qui réponde aux préoccupations des citoyens et qui permette d'exploiter au mieux les récentes avancées techniques et politiques.
C’est dans ce contexte que le gouvernement luxembourgeois a inscrit le PIBien-être dans son programme de gouvernement pour la période 2009-2014. Contrairement aux autres pays, où la thématique était entre les mains des pouvoirs publics et des experts, la mission a été confiée à deux institutions de la société civile.
Une définition pragmatique du bien-être
Les ateliers de travail, la consultation de la société civile et les discussions au sein du groupe conjoint CES-CSDD ont mis en évidence le besoin de réfléchir sur les évolutions souhaitables du modèle sociétal et de prendre en compte plus directement les aspirations des citoyens.
En effet, alors que la phase de forte croissance économique des ‘Trente Glorieuses’ a permis l’accès à la consommation de masse à des couches qui en étaient exclues auparavant, dès les années 50, les préoccupations des citoyens se sont tournées davantage vers la qualité de vie sous toutes ses formes.
Le CES est d’avis que le présent tableau de bord doit également refléter l'évolution au niveau du bien-être en cette période de crise économique et financière. La réflexion sur la nature du bien-être et les éléments constitutifs d’une définition opérationnelle ont amené le CES à tirer une ligne de partage avec le concept polysémique de bonheur -tantôt plaisir hédoniste, tantôt sagesse vertueuse- longuement discuté en philosophie. La définition pragmatique du bien-être consiste en une liste d’indicateurs retenue par le CES dans son avis. Si le bien-être n'y est pas défini explicitement, cette question a cependant été abordée au cours de plusieurs conférences, comme celle de Patrick Viveret lors de l’atelier de travail portant sur le développement durable.
À la suite des discussions dans la commission de travail, une éventuelle définition du bien-être pourrait consister pour le CES dans le fait de chercher à assurer aux générations présentes et futures un environnement naturel, social, économique et culturel qui permette le libre développement des individualités et l’amélioration continue des conditions de vie, dans le cadre d’une société qui met au centre des valeurs humanistes et des principes démocratiques.
Les conditions matérielles du bien-être peuvent varier d’un individu ou d’un ménage à l’autre. Il en va de même de la perception qu’ils ont de leurs conditions matérielles de bien-être au cours de leur cycle de vie et dans des conditions sociales et économiques très variées et changeantes. Les aspects subjectifs, jusque-là négligés, ont été très intensément étudiés au cours des dernières années et montrent une forte corrélation entre les éléments objectifs du bien-être (revenu, patrimoine, éducation) et le bien-être subjectif.
Certains auteurs proposent de réexaminer le lien entre la croissance économique, et le bien-être objectif et subjectif. Cependant, ces essais restent à l’état d’ébauche et, quoiqu’ils soulèvent de nombreuses questions difficiles, surtout en temps de crise, ils n’apportent pas de réponses définitives.
Le bien-être de tous et des générations futures relève aussi des missions primordiales qui incombent à l’Etat, au gouvernement et aux élus. Le CES rappelle, dans ce contexte, son avis sur le rôle de l’Etat (2001). Le bien-être objectif et subjectif et la mesure statistique de ce dernier devraient par conséquent devenir l’enjeu d’un débat public informé.
Le rapport technique du projet PIBien-être n’a pas proposé de définition générale du bien-être. Il en est de même pour l’ensemble des autres initiatives relatives à la mesure du progrès, du développement et du bien-être de par le monde.
Une question importante concerne la liberté, la responsabilité, les droits et devoirs de l’individu dans la recherche de son bien-être individuel (objectif et subjectif), mais aussi par rapport au bien-être de la collectivité. De toute évidence, le bien-être individuel ne peut se considérer que dans le contexte de la société, il résulte du partage et il est –dans ce sens– le produit d’interactions.
Le CES s'est placé du point de vue des ménages, de manière à être en cohérence avec la position adoptée par le rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi et repris par les organisations internationales comme, par exemple, l’OCDE dans ‘Comment va la vie ?’.
Cette démarche propose également de distinguer le bien-être ici et maintenant du bien-être global futur. Or, dans l’état actuel des travaux et des données disponibles, le bien-être global futur ne peut pas être pleinement pris en compte.
Les différentes approches du bien-être convergent néanmoins en ce qu'elles mettent en évidence l’importance des multiples dimensions de l’individu, qui ne se réduit pas seulement à son rôle de producteur/travailleur et de consommateur, mais qui est pleinement un citoyen et une personne aspirant à l’actualisation de ses capacités et à la réalisation de ses projets.
C'est dans cette optique que s'est inscrit le travail du CES. Afin d’éviter les doublons et de ne pas ajouter à la confusion, le tableau ‘PIBien-être’ qui en résulte devra être complémentaire au tableau de bord sur la compétitivité de l’économie luxembourgeoise.
Par conséquent, le CES plaide pour une révision du système d’indicateurs du Luxembourg qui devra se spécialiser autour de ces deux tableaux de bord, étant entendu qu’ils tiennent compte des critères du développement durable.
Les indicateurs
Pour établir son tableau de bord, le CES a utilisé la catégorisation et les listes d’indicateurs du rapport de l’OCDE ‘Comment va la vie ?’, notamment en raison de leur pertinence, de leur disponibilité, de leur lisibilité, de leur comparabilité internationale et de leur méthodologie reconnues au niveau international. Pour mieux rendre compte d'éventuelles particularités luxembourgeoises, le CES a retenu toute une série d'indicateurs additionnels proposés par le groupe technique. Néanmoins, il s'est avéré nécessaire d’introduire des indicateurs contextuels autour d’éléments davantage macroéconomiques dont l’impact, fût-il indirect, sur le bien-être des ménages, ne peut pas être ignoré. D'autre part, le CES a préféré compléter, le cas échéant, certains indicateurs par des sous-indicateurs directement liés aux indicateurs primaires, au lieu d'en faire des indicateurs séparés, dans le but de faciliter la lecture du tableau.
La disponibilité des données constituait évidemment un critère essentiel. Les indicateurs non disponibles à ce jour, mais jugés utiles pour mesurer le bien-être des ménages, ont été repris dans une liste à part, suivie de commentaires et de propositions du CES les concernant. Le CES considère qu'ils devront être retenus parmi les indicateurs à développer en priorité par le Statec, pour qu’ils soient disponibles dans les meilleurs délais.
Au total, le CES a retenu 54 indicateurs répartis sur 11 domaines différents: revenu et patrimoine, emploi, logement, santé, équilibre entre vie professionnelle et vie privée, éducation et compétences, liens sociaux, gouvernance et citoyenneté, environnement, sécurité physique et bien-être subjectif.
Le CES propose que le gouvernement le charge de revoir la liste des indicateurs retenus tous les deux ans sur la base de la qualité des statistiques disponibles, des questions méthodologiques en suspens, ainsi que de la pertinence et de la fiabilité des indicateurs. Il se propose d'évaluer le système d’indicateurs à chaque nouvelle publication de données et de le présenter de manière détaillée, ainsi que de communiquer son appréciation sur l’évolution des indicateurs. Le cas échéant, il fera des propositions pour améliorer le tableau de bord. Finalement, il recommande également que les organismes de recherche soient chargés de procéder à une analyse fouillée des liens entre les indicateurs retenus, les déterminants du bien-être subjectif et finalement, la relation entre croissance économique et bien-être.
Les autorités publiques disposeront ainsi d’une batterie d’indicateurs permettant de mieux cibler l’action publique et d’en évaluer les effets.