De la pointe de l’épée
Dans la vie comme sur les pistes d’escrime, Colette Flesch s‘est battue. Parce que la vie n’offre pas toujours de cadeaux, parce que «l’on pardonne moins facilement aux femmes», ou tout simplement pour la beauté du sport. Et si certains se servent de son statut de première femme bourgmestre de Luxembourg pour la qualifier de féministe, il suffit de l’écouter retracer le fil de sa vie pour se rendre compte que les coïncidences sont à la base de la plupart de ses choix, preuve que le hasard fait parfois bien les choses.
Si l’on compare sa vie à une rencontre d’escrime, il est clair que le premier assaut (les “manches“ qui composent un duel) fut donné en 1940. Née le 16 avril 1937 à Dudelange, Colette Flesch n’a que deux ans lorsqu’elle quitte son pays avec ses parents et le reste des habitants du sud luxembourgeois pour fuir le nazisme. Son père, alors ingénieur métallurgiste à l’ARBED, conduit sa femme et sa fille sur les terres françaises libres. Epuisé par cette échappée, son état de santé, déjà affecté par une récente hospitalisation, se dégrade sans que les médecins de l’hôpital de Clairvivre ne puissent faire quoi que ce soit. En juillet, soit trois mois après avoir mis sa famille à l’abri de la folie nazie, le père de Colette s’éteint.
Colette et sa mère ne sont, heureusement, pas seules pour autant, puisqu’elles vivent avec une tante et des cousins à Brive-la-Gaillarde, en Corrèze. «Je suis fille unique, mais j’ai été élevée avec mes cousins. Ils étaient comme mes frères». C’est donc en France que la petite Colette fait ses premières classes avant de retourner au Luxembourg en 1945. «Nous voulions déjà rentrer en 1944, mais l’offensive des Ardennes nous a retenu à Paris», se souvient-elle.
La fin de ce premier assaut marque leur retour au Grand-Duché. Pour recommencer une vie à deux, en temps de paix, la mère de Colette Flesch choisit de s’installer à Luxembourg, sa ville natale. Elle y occupe plusieurs fonctions tandis que la petite Colette prend les chemins de l’école primaire de Belair, puis du «Lycée de Jeunes Filles, plus connu aujourd’hui sous le nom de lycée Robert-Schuman», indique-t-elle en souriant.
En 1948, Mme Flesch envoie sa fille suivre des cours de ballet qui ont lieu dans la salle d’armes où s’entraînent les escrimeurs. «Ma mère m’avait inscrite à la danse pour la discipline et la rigueur que ce sport inculque, malheureusement, je n’étais pas très douée pour le ballet», s’esclaffe-t-elle, comme si sa mémoire lui rejouait des scènes amusantes du temps passé devant la barre d’exercices. «Par contre, l’escrime, ça, ça avait l’air beaucoup plus marrant», conclut-elle avec un air malicieux. L’escrime est un sport qui impose maintien, souplesse et acquisition de réflexes, sans parler du respect de l’autre et de la maîtrise de soi. Autant de valeurs similaires aux danseuses et qui parviennent à convaincre Mme Flesch, permettant alors à Colette Flesch de troquer les chaussons de danse contre des sabres.
Malgré cette passion pour l’épée, Colette Flesch ne néglige pas pour autant sa scolarité pendant laquelle elle part un an aux Etats-Unis dans le cadre d’une bourse d’échange. Si elle en revient, ce n’est que le temps de terminer son lycée car elle y retourne ensuite pour quatre ans, le temps de décrocher un Bachelor et Master en relations internationales avec composantes en sciences politiques, en droit international public et en économie. Un cycle d’études qui la mène tout droit vers les différentes professions qu’elle occupera plus tard. D’ailleurs, elle l’avoue elle-même: «Au fond, j’ai toujours voulu être fonctionnaire européen». Une vocation suscitée par sa place de témoin privilégiée de la naissance des institutions européennes à Luxembourg.
En 1964, après avoir disputé son premier championnat du monde d’escrime (en 1963) et alors qu’elle s’apprête à s’envoler pour Tokyo pour ses seconds Jeux Olympiques (les premiers ayant eu lieu en 1960 à Rome), son vœu est exaucé. Elle entre dans la fonction publique européenne en tant qu’administrateur au secrétariat du Conseil des Communautés européennes à Bruxelles. «A ma grande surprise, j’ai dû m’occuper d’agriculture, un domaine auquel je ne m’étais jamais vraiment intéressé», admet-elle, rieuse, tel un enfant avouant une bêtise. Pour autant, elle ne prend pas ce premier poste à la légère. «Nous travaillions jour et nuit».
Par la suite, le hasard jette ses dés et provoque un duel dans la majorité du gouvernement luxembourgeois accouchant alors d’élections anticipées en décembre 1968 au lieu de juin 1969 comme prévu. En parallèle, un autre évènement se prépare: les cinquante ans de l’accord du droit de vote des femmes. Pour l’occasion, tous les partis politiques mettent un point d’honneur à voir des figures féminines s’afficher sur leurs listes. Sur celle de Gaston Thorn, qui la connaît pour son engagement politique et son inscription à la Jeunesse démocratique, c’est celle de Colette Flesch qui se dessine.
A peine rentrée des JO de Mexico, Colette Flesch est alors élue seconde suppléante derrière Gaston Thorn qui, après de nombreuses tractations, entre finalement au gouvernement. Une entrée qui la propulse finalement, en janvier 1969, à la Chambre des députés, «non sans difficultés». « A l’époque, les députés étaient très très mal payés alors que j’avais dû abandonner mon poste à Bruxelles». Il lui faut donc trouver un emploi qui lui permette de travailler à temps partiel, ce que lui propose l’Automobile Club. Un mois plus tard et «compte tenu de mon expérience européenne acquise à Bruxelles», ses collègues députés décident de l’envoyer au Parlement européen à Strasbourg.
Au-delà du féminisme
En octobre de la même année, Colette Flesch devient la première femme à être élue bourgmestre de la Ville de Luxembourg.
Autre fait prouvant la toute puissance masculine sur le champ politique de l’époque: elles ne sont que deux, avec Astrid Lulling à Schifflange, cette année-là, à accéder aux premiers fauteuils de leur commune.
Mais cette victoire n’est qu’une bataille de gagnée. Le combat, lui, n’est pas remporté pour autant puisque Colette Flesch l’affirme, sans se poser comme féministe, mais comme simple retour d’expérience, «il faut beaucoup travailler et mieux connaître ses dossiers, car on pardonne moins facilement aux femmes».
Il en ira de même lorsqu’elle accèdera, en 1980, aux fonctions ministérielles en devenant notamment vice-présidente du gouvernement, ministre des Affaires étrangères, du Commerce extérieur et de la Coopération, ministre de l’Economie nationale et des Classes moyennes et ministre de la Justice. Autant de portefeuilles occupés alors que la grande crise sidérurgique bat son plein.
Elle quitte finalement le gouvernement en 1984 pour «retrouver les joies de l’opposition», explique-t-elle avec ironie. En 1979 et 1989, elle reprend sa place au Parlement européen avant d’abandonner ses différents mandats de 1990 à 1999 pour devenir directrice générale de la Commission européenne. Elle passe les dix années suivantes au Parlement luxembourgeois.
Aujourd’hui présidente de l’Office communal de Luxembourg, Colette Flesch a quitté le conseil communal pour «laisser une chance aux plus jeunes» et ne fait plus de politique… «pour l’instant».
Loin de se sentir désœuvrée pour autant, elle jette son regard bleu sur ses années passées, avec sourire, avouant sa chance d’avoir pu faire tout ce qu’elle aimait.
Contrairement aux autres éditions, cette année, elle n’accompagnera pas les athlètes sélectionnés aux JO de Londres, mais elle leur souhaite bon courage et leur conseille de «profiter pleinement de l’incroyable expérience qu’ils s’apprêtent à vivre», au-delà des possibles victoires ou échecs.
De ses années en fonction, elle retient «beaucoup de travail, mais également beaucoup de plaisir» ainsi qu’une vie politique dévorante, au détriment de sa vie personnelle. Mais cela, «tout politicien, qu’il soit une femme ou un homme, vous le dira». FC