Regard sur l’infiniment petit

C’est suite à l’essor des technologies de la micro-électronique que le domaine des nanomatériaux a connu un intérêt grandissant. Les nanomatériaux sont aujourd’hui présents dans une multitude de produits, leur conférant le degré de sophistication et ainsi de performance qu’on leur connaît.
Mais nous sommes loin d’avoir tout vu, si l’on en croit Damien Lenoble, chef du département de recherche en nanomatériaux au Centre de Recherche – Gabriel Lippmann. Interview.

 

Monsieur Lenoble, qu’est-ce qu’un «nanomatériau»?

Stricto sensu, on parle de «nanomatériau» dès lors qu’une des trois dimensions de mesure d’un matériau quel qu’il soit est inférieur à 100 nanomètres. On est donc dans l’infiniment petit.
Ce domaine, très vaste, s’est fortement développé ces vingt dernières années suite à l’essor des technologies de la micro-électronique – c’est-à-dire la technologie de la fabrication des puces des circuits intégrés – qui a permis de maîtriser la synthèse de la science des matériaux à l’échelle du nanomètre.  

 

Comment cette science a-t-elle évolué, et à quel stade en sommes-nous aujourd’hui?

Nous en étions il n’y a pas si longtemps encore «seulement» au stade du micromètre. Il y a eu, depuis, des avancées notables au niveau des processus d’élaboration de la matière qui ont permis de réduire ces dimensions caractéristiques en deça de 100 nm.
Tous ces savoir-faire en termes d’élaboration des matériaux peuvent être utilisés pour des applications autres que celles de l’industrie des circuits intégrés.

 

Quelles sont ces applications?

Beaucoup de matériaux sont composites et intègrent des nanostructures que l’on définit comme des nano-objets isolés que l’on insère dans des matrices organiques et non organiques afin de modifier les propriétés macroscopiques de ces matériaux.

Prenons le cas concret des pneumatiques. Ils contiennent aujourd’hui des nano-charges, plus précisément des nano-billes de silice qui servent à renforcer mécaniquement le caoutchouc, ce qui permet d’assurer la dureté des pneus.  
Cela dit, ces nano-objets là existent depuis nombre d’années et ne présentent plus aucune complexité particulière. Ce que nous recherchons au CRP – Gabriel Lippmann, dans le cadre de nos études, c’est de réaliser une synthèse de nano-objets bien plus complexe.

 

Quels sont les grands piliers d’activité de recherche du CRP – Gabriel Lippmann dans ce domaine?

Nous avons deux grands piliers de recherche dans ce domaine. Le premier s’articule autour de la synthèse de nano-objets complexes, le deuxième autour des nanomatériaux transparents et conducteurs.

Dans le cas de nano-objets dits complexes, c’est-à-dire isolés (ndlr : soit utilisés en tant que tel), nous utilisons des nanomatériaux existants, comme les nano-billes de silice, si nous reprenons cet exemple, pour les modifier à l’échelle nanométrique et ainsi synthétiser de nouveaux nano-objets plus complexes, et ce, pour augmenter encore davantage le renfort mécanique.

Le deuxième grand domaine d’application des nano-objets isolés est la nano-médecine, une discipline dans laquelle nous concentrons avant tout nos efforts sur les nano-objets permettant de faire de la délivrance in vivo de médicaments ciblés.

 

Qu’entend-on par «nanomatériau transparent et conducteur», et quels sont vos axes de recherche ?

Nous avons recours à des substrats de grande dimension – souvent des verres – sur lesquels nous faisons croître ces nano-couches qui ont la particularité d’être transparentes et conductrices (ndlr : en électricité).
Vous avez dans la vie de tous les jours un certain nombre d’applications qui utilisent ce type de nanomatériaux, typiquement dans les panneaux solaires ou les pare-brises de voitures des dernières générations.

Une des grandes ruptures technologiques dans ce contexte est de développer un nouveau type de nanomatériau qui est conducteur et transparent, dont la conductivité s’effectue par les trous et non plus par les électrons. C’est un de nos chevaux de bataille au CRP.

Grâce à la combinaison de la conductivité par électrons et par trous, vous pouvez intégrer de la fonction intelligente sur toutes les surfaces sans modifier son aspect. Vous pourrez ainsi dans le futur intégrer un écran ou des panneaux solaires dans n’importe quelle vitre.   

 

En tant que centre de recherche public, vous avez également pour mission d’apporter votre expertise aux industriels au Luxembourg. Quels sont vos projets collaboratifs dans ce cadre?

Nous sommes en phase de finalisation d’un projet avec un fabriquant de pneumatiques au Luxembourg de même qu’un autre avec l’entreprise allemande AIXTRON, spécialisée dans la fabrication d’équipements de haute technologie pour l’industrie électronique, et notamment les LEDs.
Nous sommes également en pourparlers avancés avec la société AGILIS Engineering pour la mise sur pied d’un projet très spécifique, parfaitement adapté à leurs besoins.

Nous avons en parallèle, avec notre département de recherche EVA, une activité qui relève elle plus de la responsabilité environnementale, liée précisément à l’impact des nanomatériaux sur l’environnement. Nous avons pour habitude de réaliser assez rapidement une évaluation de l’éventuelle toxicité des nanomatériaux que nous développons.