La fin d’une époque?

Les pressions s’accumulent sur l’activité de banque privée. Elles sont de plusieurs ordres: réglementaires, fiscales et concurrentielles. Dans ces conditions difficiles, certains prédisent la fin de ce secteur qui a fait les belles heures de l’économie luxembourgeoise.
Doit-on parler au passé du «private banking» et de la gestion de fortune à Luxembourg, ou reste-t-il encore des leviers de croissance à activer ?
A l’occasion de l’événement Private Banker, lors duquel il intervient en tant que modérateur, Olivier Maréchal, partner et banking industry leader chez Deloitte Luxembourg, nous donne son point de vue sur ces évolutions.

 

En quoi la concurrence a-t-elle changé dans le métier de banque privée ?

Par le passé, le Luxembourg percevait principalement les autres places off-shore, telles que la Suisse, Monaco ou Singapour comme des concurrentes. Aujourd’hui, le monde a bien changé, la pression pour une plus grande transparence fiscale fait que beaucoup de clients s’interrogent sur les raisons pour lesquelles ils devraient faire plusieurs centaines de kilomètres afin d’aller voir leur banquier, alors que leur banque domestique, qui traite leurs opérations courantes, prétend aujourd’hui aussi offrir des services de «banque privée». Dans ce contexte, les plus petits clients peuvent parfois vouloir partir.

 

Finalement, n’est-ce pas une bonne chose si certains clients partent. Ne faut-il pas renouveler la clientèle ?

On entend de temps à autre des banquiers dire que les clients les plus petits ne sont pas intéressants et doivent partir. La réponse n’est pourtant pas aussi évidente, et ce, pour plusieurs raisons.

D’une part, attirer une clientèle différente prend du temps et nécessite des investissements. D’autant que dans l’intervalle, les revenus doivent être préservés.

D’autre part, même de petits clients peuvent être rentables s’ils sont servis avec les bons outils et selon un modèle industriel bien pensé.

Enfin, modifier le profil de sa clientèle nécessite une réflexion stratégique approfondie. Que cherchent vraiment les clients ? Qu’attendent-ils de leur banquier ?

C’est d’ailleurs dans ce contexte que le Private Banking Group Luxembourg de l’ABBL lance une étude visant à interroger directement des clients récents ou anciens de la place, pour mieux comprendre ce qui les a fait venir et ce qui les retient au Luxembourg.

Les banquiers privés doivent en tout cas se poser sérieusement la question de leur différenciation.

 

Justement, quels peuvent être les arguments différenciateurs des banques privées Luxembourgeoises?

Ils sont, heureusement pour le Luxembourg, multiples. La difficulté est qu’il n’y en a pas un seul qui fonctionne pour toutes les institutions.

Chaque banque doit donc faire l’effort de définir ce qui a le plus de sens pour elle, et c’est évidemment beaucoup plus difficile que par le passé.

Il est très clair que le cadre fiscal et juridique luxembourgeois reste très attrayant. Les possibilités de structuration de fortune sont importantes, mais elles ne fonctionnent pas pour tous les clients, quel que soit leur niveau de fortune ou pays de résidence.

L’ouverture internationale des possibilités d’investissements offertes aux clients est un point fort. Alors que les banques domestiques se contentent souvent de «pousser» les produits maison, l’architecture ouverte est la règle au Luxembourg.

 

S’il n’y a plus «d’unique selling point» lié au pays, que doit faire une institution financière pour se développer ?

Se poser les bonnes questions sur son ADN propre et définir la stratégie qui lui convient. Certaines banques vont jouer sur les synergies avec leur banque d’investissement pour capter au mieux les entrepreneurs qui vendent leur affaire. D’autres peuvent utiliser leur réseau international et se positionner comme centre de compétence, en mettant en place les mécanismes d’intéressement qui inciteront leurs collègues étrangers à leur référer des clients.

L’expansion internationale est clairement une voie à explorer. Cela peut passer par l’ouverture de succursales à l’étranger pour capter une clientèle intéressée par le label «Luxembourg».

Les possibilités offertes par la Libre Prestation de Services ne sont pas non plus à sous-estimer. Certaines compagnies d’assurance ont connu un développement fulgurant grâce à ce mécanisme européen.

Le développement vers des régions plus lointaines est aussi une option. Même si l’Europe continue à rassembler une large part des millionnaires, le potentiel présenté par l’Asie, le Moyen Orient ou l’Amérique latine est énorme.

Une chose est sûre, tout cela nécessite un haut niveau de compétence et de technicité.

 

Comment faire quand on est une petite banque sans les moyens financiers et humains des très grandes institutions?

Il est certain que le coût de l’activité banque privée a augmenté, et qu’avoir une surface financière importante est un atout pour faire face aux besoins accrus en matière de compliance, de reporting, de systèmes informatiques. Nous allons vivre une phase de concentration.

Maintenant, et c’est relativement nouveau, il existe des possibilités pour des institutions plus petites de maîtriser leurs coûts. On peut de plus en plus avoir recours à l’outsourcing pour compléter son offre ou rendre variable des frais fixes.

Deloitte se positionne d’ailleurs de plus en plus comme partenaire des professionnels de la gestion de fortune en leur fournissant des services d’ingénierie de patrimoine ou de reporting fiscal, par exemple. Nos clients profitent de notre réseau international et sont en mesure d’offrir des services à haute valeur ajoutée, sans nécessairement avoir toutes les compétences chez eux.

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