A l’aube d’un renouveau de la finance?
La crise financière de 2008 a plus que jamais soulevé la problématique de l’éthique dans la finance. Même s’il ne faut pas espérer d’aussi tôt une révolution des pratiques dans ce secteur, force est de constater que les choses bougent et que le contribuable est de plus en plus attentif à ce qui est fait de son argent. Interview de Jean-Sébastien Zippert et Ekkehart Schmidt-Fink, respectivement Coordinateur et chargé des relations publiques de l’asbl Etika.
Etika est une association sans but lucratif qui a pour objet de promouvoir les financements alternatifs, soit les financements ayant trait au développement durable au sens large. Comment est née l’idée ?
Il y a eu tout un travail en amont conduit par des fondations et des asbl qui se sont mobilisées dès le début des années 90 pour étudier dans quelle mesure le Luxembourg pouvait profiter d’un mécanisme d’investissement répondant à des critères de responsabilité, de transparence et de solidarité.
L’objectif consistait à soutenir via l’investissement des secteurs d’activité qui non seulement ne constituent pas une menace pour l’environnement ou pour l’être humain mais qui au contraire proposent une plus-value socio-environnementale. Tout aussi important était de fournir une transparence totale aux investisseurs qui connaissent l’identité des porteurs de projets soutenus, leur localisation et les informations liées au prêt, c’est-à-dire au montant et à la durée des crédits accordés. Quant au volet “solidarité”, il s’agissait d’alléger la charge financière des porteurs de projets par une participation financière des investisseurs.
Nous situons notre produit, le compte Epargne Alternative, crée en coopération avec la BCEE, avant tout comme un produit de proximité, dans la mesure où tous les crédits sont accordés à des acteurs présents au Luxembourg, y compris dans le cadre de projets de coopération internationale soutenus par les ONG de développement luxembourgeoises. Par rapport aux autres produits d’épargne et de placement responsables, chez nous, les épargnants savent que s’ils désirent visiter les projets, ils ne devront pas faire des milliers de kilomètres, et nous laissons les coordonnées du preneur de crédits. De ce fait, la transparence est totale.
Nous nous sommes inspirés des modèles qui existent dans les pays voisins tels que la GLS Bank en Allemagne, la Triodos en Belgique ou encore le Crédit coopératif en France.
Comme les fondateurs d’etika n’avaient ni les moyens humains ni financiers pour fonder un organisme bancaire autonome qui réaliserait l’ensemble du travail, ils sont entrés en contact avec toutes les banques disposant d’un réseau d’agences de la place financière luxembourgeoise, et seule la Banque et Caisse d’Epargne de l’Etat avait donné une suite favorable. Précisons que nous n’avons pas de relation d’exclusivité avec la BCEE et que nous n’avons pour l’instant pas eu l’occasion de travailler avec d’autres organismes financiers.
C’est ainsi qu’Etika a été créée en décembre 96 et a débuté son activité dès le mois de janvier 97.
Vous évoquez la promotion de projets qui ne “constituent pas une menace pour l’environnement ou pour l’être humain”. Pouvez-vous développer?
Nous nous concentrons sur trois secteurs, l’environnement au sens large du terme – comprenant les volets énergies renouvelables, protection de l’environnement et efficience énergétique-, le social – avec notamment la réinsertion professionnelle des personnes en difficulté – et la coopération internationale.
Les trois quarts des crédits sont alloués au secteur de l’environnement et l’autre quart aux projets ayant trait au social. Cela s’explique par le fait que la BCEE ne peut financer que les ONG situées sur territoire luxembourgeois qui – dans leur engagement au sud – sont très largement financées par le ministère de la Coopération et par des dons privés. Nous avons dès lors décidé d’allouer une partie des fonds propres de l’asbl en soutien au financement des projets de coopération, comme par exemple l’investissement dans le Luxembourg Microfinance and Development Fund, fondé entre autres par l’asbl ADA, également membre de etika.
Quelle a été l’évolution de vos activités depuis le commencement ?
Nous avons toujours connu une progression constante de nos activités de dépôt et de crédit depuis nos débuts il y quinze ans. La crise financière de 2008 a cependant créé un précédent.
Contrairement à la majorité des promoteurs de placements financiers, nous avons connu une très forte croissance des dépôts depuis octobre 2008. Nombre de nos clients existants ont décidé d’augmenter la part de l’épargne qu’ils détenaient auprès d’Etika et de nombreux nouveaux épargnants nous ont rejoints. La tendance ne s’est pas démentie depuis et ce n’est pas là une caractéristique propre au Luxembourg, puisque les autres acteurs de la finance sociale européenne ont également constaté la même tendance.
Il faut voir par là certainement deux types de motivations : d’une part une forme de condamnation de pratiques que les épargnants ne veulent plus soutenir et d’autre part la double exigence de placer son argent dans des activités considérées comme d’intérêt général, et de savoir comment travaille l’argent placé.
Ces bons résultats sont également imputables au gros travail de sensibilisation que nous avons mené sur le terrain pour promouvoir l’investissement socialement responsable et de manière générale l’éthique dans la finance. Nous avons pour cela mené entre autres des actions sensibilisation du grand public telles que les ‘vélotours’ qui sont des excursions d’une journée à vélo, organisées par la société Vélosophie – également bénéficiaire d’un crédit alternatif – , consistant à visiter de projets soutenus par etika sur tout le pays.
Sachez que le volet de sensibilisation, qui a pris toujours plus d’ampleur, fait partie des deux grandes missions que s’était fixées etika dès le départ, l’autre étant bien évidemment le financement de projets dits responsables.
Promouvoir l’éthique dans la finance au Luxembourg comme ailleurs n’est-il pas une mission périlleuse ?
En tant qu’association entendant traiter de l’éthique dans la finance, etika ne pouvait se voiler la face sur les aspects les plus controversés concernant la place financière luxembourgeoise. Nous n’avons pas s hésité à nous emparer de sujets qui fâchent comme par exemple l’évasion fiscale pour laquelle nous avons organisé un débat entre les représentants des ONG et de la place financière luxembourgeoise.
Mais aujourd’hui, notre sensibilisation est avant tout orientée vers la critique du système actuel, c’est-à-dire à l’égard d’une politique menée par le couple Merkozy, laquelle est à notre sens à la fois inefficace et dangereuse pour la stabilité économique et le soutien à la création d’emplois dans les pays de la zone euro.
Pour nous, la finance est un outil qui doit servir les besoins humains, et on voit bien aujourd’hui que non seulement elle ne les sert pas, mais elle les dessert très largement. En cela, nous souhaitons que les pouvoirs publics prennent leurs responsabilités et donnent l’exemple pour favoriser les fonds socialement responsables, lesquels sont en termes d’actifs sous gestion marginaux à l’heure actuelle, comparés aux fonds d’investissement traditionnels gérés par la place de Luxembourg.