Substance économique et nouvelles réglementations
La notion de substance économique n’est pas nouvelle et commence à apparaître au seuil des années 90. À cette époque, il s’agissait alors beaucoup plus d’une substance de façade que d’une réelle substance économique. Aujourd’hui, le concept a évolué, au rythme des réglementations fiscales et d’une réalité très pragmatique.
Décryptage de ladite substance avec Alain Lam et Bruno Beernaerts, Managing Directors de CAPITA à Luxembourg.
Comment définiriez-vous cette notion de substance économique?
Il est en fait assez difficile de donner une définition stricte à cette notion dans la mesure où il n’y a pas de règle générale. Il s’agit beaucoup plus d’un concept qui évolue et évoluera dans le temps et qui sera apprécié au cas par cas, en fonction de l’environnement. On peut néanmoins tenter une approche de définition contextuelle en prenant, par exemple, en considération pour une entreprise un siège statutaire et une administration centrale à Luxembourg, une direction effective au Grand-Duché, des réunions systématiques ou fréquentes du conseil d’administration dans le pays, des résidents luxembourgeois faisant partie du conseil d’administration, l’existence d’un bureau dédié spécifique, du personnel sur le payroll, etc.
Quelle est la réalité de cette notion de substance?
La trame existant autour des questions de substance économique est toujours la même, à savoir que chaque état souverain veut imposer tous les revenus qui doivent ou qui pourraient tomber dans son escarcelle en “challengeant” plusieurs structures fiscales par rapport à un certain nombre de critères.
Et, plus spécifiquement, au Luxembourg …
Au sens de la loi fiscale luxembourgeoise, une entité est considérée comme résidente luxembourgeoise à condition d’y avoir soit son siège statutaire, soit son administration centrale. Nous le voyons, cette considération est très large. Ceci dit, l’analyse ne peut se limiter à cela. Il est recommandé de prendre un certain nombre de mesures pour se protéger de la possibilité d’autres juridictions fiscales à pouvoir “challenger” la résidence luxembourgeoise et cela en arrivant à démontrer objectivement que l’entité visée est gérée et contrôlée au départ de Luxembourg. Cette approche purement fiscale luxembourgeoise était vraie jusqu’il y a encore plus ou moins un an. Depuis, deux trains de régulations (deux circulaires et une loi) ont quelque peu changé la donne.
En quelques mots, quel est l’objet des deux circulaires?
Il s’agit des circulaires concernant le Transfer Pricing. Le but n’est pas ici d’en parler au sens strict du terme ce qui ressort davantage du domaine de nos amis fiscalistes. Néanmoins, quand nous nous trouvons dans un environnement où les règles de Transfer Pricing s’appliquent, les circulaires prévoient un certain nombre d’exigences. Sans entrer dans le détail, relevons tout de même plusieurs conditions liées à la notion de substance: la majorité des membres du conseil d’administration sont soit des résidents, soit des non-résidents exerçant une activité professionnelle au Luxembourg. La société doit disposer du personnel qualifié capable d’exécuter et d’enregistrer les transactions effectuées. Les décisions clés concernant la gestion de la société doivent être prises au Luxembourg. Il doit être tenu, au moins une assemblée générale par an au lieu indiqué dans les statuts. La société doit disposer d’au moins un compte bancaire à son propre nom auprès d’un établissement de crédit établi au Luxembourg…
Et qu’en est-il de la nouvelle loi en matière du droit d’établissement du 2 septembre 2011?
Cette loi ne fait que compléter un dispositif existant. À retenir cependant qu’elle prévoit qu’une entreprise candidate à l’autorisation d’établissement doit démontrer qu’elle dispose d’infrastructures matérielles, administratives et techniques adaptées à son activité. Cette loi prévoit également que tous les documents relatifs aux activités de la société doivent y être disponibles comme, par exemple, les documents comptables. De même, le dirigeant doit être régulièrement présent au sein de l’entité luxembourgeoise. Cette loi précise explicitement qu’une simple domiciliation (au sens de la loi 1999) ne constitue pas une infrastructure adaptée.
Cela signifie, d’un point de vue pratique, qu’un bureau effectif doit absolument être occupé au Luxembourg?
Le niveau d’équipement du bureau et sa taille vont dépendre des besoins du client, eu égard aux règles anti-abus applicables ou appliquées par la juridiction fiscale étrangère. Pour les juridictions ayant de hauts niveaux d’exigence en termes de substance (comme l’Allemagne, la Norvège ou la France), il sera important d’avoir un espace de bureau avec l’ensemble des supports matériels technologiques. Le bureau devra être considéré comme ayant un niveau de fonctionnalité adéquat pour permettre la gestion optimale de l’activité de la société, à savoir au minimum un mobilier adapté, des équipements IT, lignes de téléphone/fax dédiées, un compte Internet, etc. C’est la raison pour laquelle les différents Business Centers que CAPITA a mis en place au Luxembourg connaissent un vif succès auprès de nos clients. Ils sont équipés, effectifs, en suivant rigoureusement toutes ces règles d’installation et de fonctionnement opérationnel. Nos services peuvent, de fait, assurer les démarches administratives, la tenue des comptes, le payroll, ce qui, somme toute, est un gage de sécurité pour les sociétés étrangères qui ne sont pas particulièrement au fait des dernières réglementations. CAPITA est, pour mémoire, un groupe d’approximativement 40.000 personnes spécialisé dans l’offre de solutions d’outsourcing dans différents domaines pour des clients d’horizons variés, dont des organismes étatiques au Royaume-Uni.
Et pour les Conseils d’Administration?
Dans la mesure du possible, il sera toujours conseillé d’avoir autant d’administrateurs luxembourgeois résidents dans le conseil d’administration et, idéalement, il sera préconisé que ces administrateurs luxembourgeois soient majoritaires au sein du conseil. Il y aura toujours lieu de privilégier les administrateurs personnes physiques par rapport aux administrateurs personnes morales. Idéalement, les CA doivent se réunir physiquement au moins tous les 3 ou 6 mois à Luxembourg. À noter que pour renforcer la notion de résidence luxembourgeoise, il peut, par exemple, être envisagé de spécifier dans les statuts de la société que toute décision prise en dehors du Luxembourg ne soit pas valable. Enfin, pour chaque réunion du conseil, une majorité des administrateurs devra être présente physiquement à Luxembourg. Dans le cas de conférences téléphoniques ou de vidéo-conferences, elles devront obligatoirement être initiées au départ de Luxembourg. Et il conviendra d’en garder la preuve: tickets d’avion, train, taxi, restaurant, hôtel, etc.
Le contexte économique actuel a-t-il influé sur ces critères d’exigence?
Il est évident que la pression des pays étrangers/voisins ne fait qu’augmenter par rapport à la reconnaissance d’un certain nombre de structures fiscales qui seront “challengées” en vue d’une imposition optimale. Cela se voit et se vérifie depuis quelques années de façon constante, mais la tournure a clairement pris un accent beaucoup plus aigu depuis la crise économique de 2008 et, depuis peu, la crise de la dette dans la zone euro.
Quelles sont alors les conséquences?
Des plans de rigueur et d’austérité, la réduction des déficits publics, l’augmentation de la régulation, et, bien entendu, la majoration des impôts. Il est évident que, dans un tel contexte, tous les états vont tout mettre en œuvre pour augmenter leurs recettes. La pression pour récupérer les impôts va donc considérablement augmenter.