D’Grenzgängerin

Originaire de Moselle et issue d’une famille modeste, Marie-Jeanne Chèvremont est vouée à suivre une carrière scientifique. Elle se tournera pourtant vers le management et le marketing, et entre très jeune dans la vie active chez un des leaders mondiaux de l’audit qu’elle ne quittera qu’après 31 ans de bons et loyaux services. La Française, qui avoue ne jamais avoir rencontré de difficulté durant sa carrière en raison de sa condition féminine, milite pour les droits de la femme dans l’entreprise. Elle reçoit la Légion d’honneur en 2007.
 

Marie-Jeanne Chèvremont naquit le 3 mai 1953 à Rédange, à quelques encablures de la frontière luxembourgeoise, d’un père mineur et d’une mère couturière. De nationalité française, elle vit néanmoins depuis le plus jeune âge le «Luxembourg-France», pour reprendre ses propres mots, les parents parlant ensemble le luxembourgeois et occasionnellement l’allemand,  les enfants leur répondant en français. Elle entre au lycée de filles Hélène Boucher à Thionville à onze ans où elle poursuit ses classes jusqu’à sa majorité. Bien qu’ayant choisi de suivre la filiale scientifique, la perspective de se lancer dans la recherche ne l’enthousiasmant guère, Marie-Jeanne Chèvremont se laisse convaincre par une amie de suivre une école de commerce : «Mes parents ne voyaient pas où ces études me mèneraient, mais ils m’ont toujours fait confiance et soutenu dans mes choix».

Elle entame ainsi une classe préparatoire à l’Ecole Supérieure de Commerce de Reims en 1972 où elle se tourne vers une spécialisation marketing et expertise comptable en dernière année. «A l’époque, les sociétés venaient recruter dans les écoles. Lorsque Coopers & Lybrand nous a conviés à des entretiens d’embauche, je m’y suis présenté pour me familiariser avec les techniques d’entretien et non pour rentrer dans leur cabinet. Mais étant originaire de la région frontalière, ils m’ont proposé un poste d’assistant d’audit pour le bureau de Luxembourg que j’ai accepté», nous raconte-t-elle, esquissant un large sourire.

C’est ainsi que débute en 1975 la très longue carrière de Marie-Jeanne Chèvremont dans le grand cabinet d’audit international qui fusionnera en 1998 avec Pricewaterhouse pour devenir PricewaterhouseCoopers, aujourd’hui rebaptisé PwC, le numéro un dans le domaine au Grand-Duché. Après deux ans au Luxembourg, elle demande sa mutation à Bruxelles où elle effectue des missions au Zaïre avant de revenir au Luxembourg en 1979 en tant que manager puis associée en 1987, un des moments clé de sa carrière, nous confie-t-elle.
A partir de cette date, le cabinet Coopers & Lybrand prend un réel essor, doublant d’activité chaque année et se diversifiant. Elle est nommée à la tête de PwC Luxembourg lors de la fusion des deux cabinets, poste qu’elle occupera jusqu’en 2007 après avoir respectivement occupé les fonctions de responsable du département des fonds d’investissement et de responsable des ressources humaines au niveau européen et co-responsable des ressources humaines au niveau mondial.  

Son mandat de Managing Partner arrivant à son terme à la fin 2006, Marie-Jeanne Chèvremont décide de quitter PwC : «Je serais volontiers restée plus longtemps. Mais lorsque vous avez exercé les plus hautes fonctions dans une organisation, il est difficile d’y rester par la suite sans ne plus pouvoir les exercer», affirme-t-elle. Le cabinet d’avocats Arendt & Medernach, qui cherche un conseiller de direction, la contacte en juillet 2007 ; elle accueille la proposition avec enthousiasme. Parallèlement, le PDG de la société Kneip lui propose, quant à lui, d’endosser des responsabilités opérationnelles au sein de son entreprise. Marie-Jeanne Chèvremont préfèrera rejoindre le conseil d’administration qu’elle présidera l’année suivante.

En mars 2010, c’est au tour de Frédéric Otto, président du comité de direction de la banque privée Edmond de Rothschild, de faire appel à ses services pour revoir l’organisation de la banque et le conseiller dans une série de domaines concernant le développement et l’organisation de la banque. Si elle ne quitte pas Arendt & Medernach pour autant, qu’elle conseille toujours sur des sujets ponctuels, elle se consacre bien davantage à sa mission de conseiller permanent du comité exécutif de la banque Rothschild, son «job principal aujourd’hui», comme elle le dit, qui «occupe une bonne moitié de son temps».

Outre ses responsabilités professionnelles, Marie-Jeanne Chèvremont, mère de deux enfants, milite activement pour les droits de la femme dans l’entreprise durant toute sa carrière : «J’ai commencé à m’intéresser au sujet au début des années 2000 lorsque je présidais PwC. Bien que je n’aie moi-même jamais rencontré d’obstacle professionnel en tant que femme, j’ai pourtant soudainement réalisé un jour de 2001, lors d’une journée  de travail avec les associés, les directeurs et les managers, qu’il n’y avait pratiquement pas de femmes dans la salle. Pourtant, je savais pertinemment qu’on recrutait autant de femmes que d’hommes», explique Marie-Jeanne Chèvremont.
La directrice de PwC Luxembourg lance alors une étude sur la question pour savoir «ce que devenaient les femmes». Les conclusions n’ont rien de surprenant : lorsqu’elles viennent à avoir des obligations familiales, elles sont moins enclines à postuler pour des postes à responsabilités. En outre, les hommes montrent bien plus leurs ambitions que les femmes, ce qui les privilégie.
Marie-Jeanne Chèvremont se penche alors davantage sur la mise en place de temps aménagés et développe parallèlement des programmes tels que le «Women in Business Golf Trophy». Passionnée par ce sport, son idée est de créer un réseau de femmes dans le business au Luxembourg qui se retrouveraient pour pratiquer le golf dans un esprit convivial,  une initiative qui aura rencontré un grand succès.

Elle se voit remettre à sa grande surprise début 2007 les insignes de chevalier de la Légion d’honneur: «C’est lors du discours de l’ambassadeur vantant toutes mes qualités que j’ai compris pourquoi je les avais reçues. Je leur ai alors demandé pourquoi ils ne m’avaient pas décorée plus tôt !», nous révèle-t-elle en riant.
En fait, même si Marie-Jeanne Chèvremont n’a guère exercé en France, la Française estime en toute modestie avoir contribué à développer un business relativement important, certes au Luxembourg, mais dans lequel travaillent beaucoup de Français : «J’ai toujours beaucoup œuvré pour qu’on aille chercher des ressources en Lorraine, favorisé la proximité avec les universités et grandes écoles françaises, et ainsi quelque part participé au développement de la Lorraine».
PhR

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