L’intelligence artificielle au service du secteur public luxembourgeois
Du traitement des dossiers administratifs à l’accompagnement des élèves dans leurs apprentissages, en passant par la cybersécurité, l’intelligence artificielle (IA) transforme progressivement le secteur public luxembourgeois. David Bernard et Andreas Braun, respectivement Senior Manager in Industry & Public Sector Advisory et Managing Director for Artificial Intelligence au sein de PwC Luxembourg, décryptent les ambitions du pays et les défis à relever en la matière.
Quelle est la vision nationale de l’IA pour le secteur public luxembourgeois à l’horizon 2030 ?
AB : Le Luxembourg a introduit une vision nationale concernant l’utilisation des données, de l’intelligence artificielle et des technologies quantiques il y a quelques mois. Celle-ci va au-delà du secteur public, mais si nous nous concentrons sur celui-ci, l’objectif est que l’IA reste centrée sur l’humain et qu’elle soit sous son contrôle en permanence. Elle doit permettre d’optimiser les services offerts aux citoyens, tout en étant gérés de façon durable afin de créer un écosystème solide. Le grand-duché vise également une plus grande souveraineté numérique en équipant les administrations publiques avec des solutions locales, indépendantes des grandes compagnies.
DB : Un des éléments clés est le déploiement éthique de l’IA. Dans ce sens, l’humain joue un rôle central pour garantir des systèmes non biaisés et responsables, surtout lorsqu’ils concernent les citoyens. La transparence est elle aussi fondamentale, surtout dans le contexte politique actuel : les citoyens doivent savoir comment leurs données sont utilisées et comment l’IA prend certaines décisions, sans jamais remplacer le jugement humain. Cette approche est alignée avec l’AI Act, qui fixe les bases légales pour un usage responsable de celle-ci.
AB : Comme le souligne David, cette dimension éthique prend déjà corps au Luxembourg. Un centre de recherche teste actuellement la robustesse des grands modèles d’IA face aux biais afin de garantir un traitement équitable des données. De plus, la philosophie nationale n’est pas de laisser l’IA trancher à la place des humains, par exemple, pour décider de l’octroi d’une subvention ou de l’accès à un programme social, mais plutôt d’apporter une aide à la décision qui rende les processus plus transparents et compréhensibles pour les citoyens.
Quels projets incarnent aujourd’hui la stratégie d’IA du secteur public luxembourgeois ?
AB : Plusieurs initiatives phares sont déjà en cours. L’une d’elles concerne le développement d’un grand modèle de langage spécifiquement entraîné sur la législation luxembourgeoise. L’objectif est double : d’une part, faciliter le travail des professionnels, notamment des juges, avocats ou juristes, en leur permettant d’interroger la loi plus efficacement et, d’autre part, rendre ces textes plus accessibles aux citoyens, alors que le langage juridique reste souvent complexe.
La philosophie nationale n’est pas de laisser l’IA trancher à la place des humains, mais plutôt d’apporter une aide à la décision qui rende les processus plus transparents et compréhensibles pour les citoyens
Un second projet touche au secteur de l’éducation. Il s’agit d’un domaine public qui peut largement tirer parti de l’IA, à condition d’assurer une gestion responsable. L’objectif est d’accompagner l’apprentissage personnalisé, de montrer aux étudiants comment exploiter ces outils de façon éthique et d’accélérer leur progression, tout en assurant une protection optimale des données personnelles.
Le Luxembourg travaille également à la mise au point d’un modèle multilingue performant, qui inclut la langue luxembourgeoise aussi bien à l’écrit qu’à l’oral. Des échantillons de voix issus de la télévision sont utilisés pour entraîner ces systèmes afin d’atteindre un niveau comparable aux modèles disponibles en anglais ou en français.
DB : L’atout majeur du pays est sans aucun doute MeluXina, ce superordinateur de très haute performance qui peut être utilisé pour tester des applications d’IA à grande échelle. C’est un facteur différenciant pour le Luxembourg d’un point de vue européen qui lui donne la possibilité d’expérimenter et de se placer au cœur de l’innovation.
Comment garantir la sécurité des données dans le déploiement de ces projets ?
AB : La priorité absolue, c’est la souveraineté des données. Plus les archives et les processus d’information peuvent être gérés localement, plus le contrôle reste entre les mains du pays. Pour cela, nous nous appuyons sur des infrastructures comme MeluXina, qui sera prochainement augmentée à MeluXina AI et sur le CTIE (le Centre des technologies de l’information de l’État) qui aura bientôt ses propres centres de données. Des partenariats publics et privés développent également des solutions de cloud souverains, comme Clarence ou Deep, garantissant que le stockage des données reste sur le territoire national. Ces dernières doivent être traitées de manière responsable grâce à des techniques d’anonymisation et de pseudonymisation permettant d’utiliser les informations nécessaires pour l’IA sans identifier de personnes. Ces sujets sont au cœur de l’agenda du LNDS (Luxembourg National Data Service), qui supervise la collecte et l’usage de toutes les sources de données publiques.
DB : Un autre élément crucial est la supervision de l’IA. La CNDP (Commission Nationale pour la Protection des Données) a été désignée comme autorité de contrôle, mais définir les mécanismes de suivi et les appliquer reste un défi. Comme pour le RGPD en 2018, la régulation de l’IA est nouvelle et la technologie évolue rapidement ; chaque jour, de nouvelles applications et modèles apparaissent, confrontant les autorités à la question de savoir comment imposer efficacement la régulation. Ce défi n’est pas propre au Luxembourg, il concerne tous les organismes de contrôle au niveau mondial.
Comment PwC accompagne-t-il les organisations du secteur public luxembourgeois dans la mise en œuvre de leur stratégie en matière d’IA ?
DB : Nous avons un avantage certain grâce à notre expérience précoce avec l’intelligence artificielle. Nous avons été parmi les premiers au Luxembourg à tester et déployer des applications IA, donnant à nos équipes l’opportunité de comprendre ce qui fonctionne ou pas et quelles mesures de sécurité et de protection des données sont nécessaires. Cela nous permet aujourd’hui de conseiller efficacement des organisations, puisque nous avons déjà rencontré et résolu les mêmes questions auxquelles elles sont confrontées. Un autre atout est notre réseau global. PwC est connecté à des équipes du monde entier qui travaillent sur des projets d’IA similaires. Nous échangeons sur les tendances, les bonnes pratiques, les technologies déployées ailleurs et analysons lesquelles pourraient être adaptées au contexte luxembourgeois.
AB : Nous avons déjà travaillé avec le secteur public, tant au niveau local qu’international. Au Luxembourg, nous avons soutenu l’initiative AI4Gov, en collaboration avec plusieurs administrations ces dernières années, pour tester certaines applications IA. Nous avons aussi été impliqués dans la conformité réglementaire en aidant une agence européenne à mettre en place la gouvernance nécessaire pour respecter l’AI Act européen.
DB : Nous disposons également de notre propre GenAI Business Center, un centre où nous accueillons nos clients pour les aider à adapter leur stratégie, identifier des cas d’usage concrets et les accompagner dans la gouvernance de l’IA. Cela nous permet de co-créer, d’échanger et de montrer des exemples tangibles, adaptés aux besoins des organisations.