L’hôpital se met au digital
Robot chirurgical ou de pharmacie, outils de gestion des ressources humaines, des rendez-vous, dossier patient électronique, capteurs connectés, intelligence artificielle… la digitalisation a fait son chemin en milieu hospitalier. Appliquée au volet administratif comme à l’organisation des soins, elle promet de répondre à de multiples enjeux et bénéficie aux patients, aux professionnels de santé et aux établissements hospitaliers. Xavier Lisoir, Managing Director, et Charlotte Gauthier, Senior Consultante chez PwC Luxembourg, prennent le pouls d’un secteur en pleine transition.
Quelles sont les principales raisons qui poussent les établissements hospitaliers à mener des projets de numérisation ?
XL : Les bénéfices de la digitalisation sont nombreux. Elle permet notamment de soulager les praticiens de certaines tâches administratives et, ainsi, de dégager du temps à consacrer aux soins. C’est d’autant plus crucial pour le Grand-Duché qui peine à attirer du personnel alors même qu’il est confronté à une croissance et à un vieillissement de sa population. Le numérique doit aussi optimiser le parcours de soin et améliorer la prise en charge du patient. L’application du principe du « once only » peut par exemple limiter la saisie récurrente de données administratives du patient, telles que le nom, le numéro de matricule ou l’adresse postale et ainsi faire gagner un temps précieux aux soignants. Quant aux dossiers patients électroniques, ils contribuent à une meilleure circulation de l’information entre les différents praticiens en charge d’un même patient. Ce qu’on attend aussi de la digitalisation, c’est qu’elle concoure à une personnalisation des soins grâce à des outils qui rappellent les antécédents de l’individu, ses éventuelles allergies à certaines molécules, etc. Tout cela participe à la qualité du parcours médical. Notons aussi que certaines technologies, comme les capteurs et montres connectés, permettent de poursuivre un suivi (tension, sommeil, etc.) en dehors des structures hospitalières et, dès lors, de les désengorger, mais aussi de détecter précocement certaines pathologies, déplaçant ainsi le curseur de la médecine curative vers la médecine préventive.
CG : Quant à l’IA, elle promet notamment de soutenir les professionnels de santé dans l’établissement des diagnostics, l’analyse des résultats d’imagerie ou encore la prescription de médicaments. Elle peut aussi optimiser l’organisation des soins en gérant les flux des patients entrants ou l’occupation des lits. Autre avantage loin d’être anecdotique au Luxembourg : grâce à ses capacités de traduction, elle rend intelligibles à chacun les notes de tous les praticiens, quelle que soit leur langue maternelle. Ces écrits, l’IA peut également les structurer pour améliorer leur lisibilité, mais aussi extraire des informations qui méritent d’attirer l’attention du soignant et les stocker dans les bases de données suivant les standards de codification requis. Bien sûr, notons que chacun de ces bénéfices peut concourir à la réduction des coûts, qui peut constituer une autre motivation importante pour les structures hospitalières.
Comparativement au reste de l’Europe, où en sont les hôpitaux luxembourgeois dans leur processus de digitalisation ?
CG : Si les réflexions en cours sont nombreuses, nous remarquons que l’agenda européen occupe une place centrale dans les projets luxembourgeois. Approuvé par le Parlement et le Conseil européens au printemps dernier, l’European Health Data Space (EHDS), qui doit permettre au citoyen d’avoir un dossier patient électronique transférable dans tous les États membres, aura forcément un impact important au Grand-Duché.
XL : Effectivement, à partir du moment où l’Europe promeut l’interopérabilité à l’échelle de l’Union, nous sommes en raison d’attendre la pareille au niveau national. LUXITH, sorte de bras informatique de la Fédération des Hôpitaux Luxembourgeois, a d’ailleurs fait de la question un des piliers de sa vision 2030 de manière que, à cet horizon, les hôpitaux luxembourgeois utilisent un système mutualisé (comme c’est déjà le cas en matière d’imagerie médicale ou de gestion des ressources humaines par exemple) ou, à défaut, des systèmes capables de communiquer entre eux de façon fluide. Il s’agit donc de mettre en place une interopérabilité légale, opérationnelle, technique, mais aussi sémantique. Le second élément clé de cette vision 2030 est l’introduction d’une plateforme d’Health Content Management (HCM), un outil centralisé de stockage et de partage de la documentation médico-soignante. Voilà les principaux projets qui se dessinent.
Quels sont les principaux obstacles que rencontrent les hôpitaux luxembourgeois dans leur processus de numérisation ?
CG : L’interopérabilité des systèmes, justement, en est un, et ce pour toute la chaîne de la santé. Quand bien même cet obstacle serait surmonté, il demeurerait le problème de la quantité et de la qualité des données. Celles-ci sont très inégales d’un praticien à l’autre et ne peuvent être utilisées à leur plein potentiel si elles se révèlent trop lacunaires. En parlant de données, la cybersécurité constitue un challenge elle aussi. En plus des investissements majeurs dans l’infrastructure et les experts techniques, le personnel soignant et les médecins doivent également être formés aux bonnes pratiques en la matière et les patients doivent au moins y être sensibilisés. Le financement des projets de digitalisation constitue un autre défi. Bien que certaines initiatives ne requièrent pas forcément des budgets colossaux, d’autres nécessitent des investissements majeurs dont les responsables (ou leurs successeurs) ne cueilleront les fruits qu’à moyen ou long terme. Le challenge est donc aussi d’appréhender ce temps long et de dépasser le court-termisme de certaines perspectives.
Comment pouvez-vous les aider à surmonter ces défis ?
CG : Chez PwC, une équipe spécialement dédiée au secteur de la santé intervient auprès d’une multitude d’acteurs publics et privés, aussi bien sur des initiatives nationales que sur des projets européens. Elle dispose ainsi d’une vue d’ensemble – et neutre – sur le secteur, qu’elle peut faire avancer en faisant bénéficier les uns des expériences des autres.
XL : Cette équipe recèle d’expertises transversales, parfois empruntées à d’autres secteurs, qui lui permettent d’offrir une perspective plus large et d’intervenir sur des aspects stratégiques, mais dispose aussi de connaissances organisationnelles et technologiques pointues l’autorisant à conseiller également ses clients sur des aspects plus opérationnels.
Forts de tout cela, quel message souhaitez-vous faire passer aux acteurs du secteur hospitalier ?
XL : Il faut garder à l’esprit que la digitalisation est un moyen et non un but en soi. Il est donc important de maintenir le lien avec les bénéfices escomptés pour les différents acteurs. Ce n’est qu’ainsi qu’on assurera l’adhésion des parties prenantes, et ce sur le long terme, car si « seul on va plus vite » c’est « ensemble qu’on va le plus loin ».