Préserver le patrimoine sans nuire au développement urbain
Petit par la taille mais grand par son histoire riche, le Luxembourg fait face à des défis majeurs en matière de préservation du patrimoine : un domaine dans lequel il doit composer avec un développement urbain fort et croissant. Pour répondre à ces enjeux, la législation luxembourgeoise a adopté une approche proactive, notamment avec la loi du 25 février 2022 relative au patrimoine culturel. Celle-ci exige une intégration systématique des préoccupations archéologiques dans les projets d’aménagement dès leur phase initiale. Explications avec Christian Peter, Laurent Busana et Cloé Bernier, respectivement responsable du service archéologie préventive, associé-gérant et archéologue.
Répondre aux exigences légales
« C’est suite à la loi du 25 février 2022 relative au patrimoine culturel que le bureau d’études BEST Ingénieurs-Conseils a créé un département y dédié afin de répondre aux nouvelles exigences légales et d’assurer une synergie entre la préservation du patrimoine et les projets de développement urbain et d’infrastructures du territoire », explique Christian Peter, le responsable du service. La mise en œuvre de cette loi s’inspire de la Convention de Malte, signée par le Luxembourg en 1992, qui appelle à une protection renforcée du patrimoine archéologique européen. Ce patrimoine, bien commun du Grand-Duché, est une ressource précieuse et non renouvelable protégée par la loi. L’État agit pour sa préservation, en lien avec les autres acteurs de l’archéologie.
« L’objectif principal de cette législation est d’intégrer les considérations archéologiques dans les projets d’aménagement dès leur phase de conception. Cela permet de minimiser les risques de destruction de vestiges importants et d’éviter des retards coûteux pour les promoteurs », précise Laurent Busana, associé-gérant. Les missions du département comprennent la réalisation de diagnostics archéologiques. Ceux-ci prennent deux formes principales : les sondages préventifs et le suivi de travaux. « Le suivi consiste en une surveillance archéologique active des travaux en cours, facilitant ainsi la progression des projets tout en garantissant la protection du patrimoine. Les sondages, quant à eux, sont des interventions réalisées en amont des travaux, pour une durée fixée par l’État. Ils permettent notamment de mettre au jour, d’examiner, de documenter et d’étudier les vestiges potentiels avant le début de toute activité de construction », poursuit Cloé Bernier, archéologue.
Une équipe archéologique aux multiples spécialités
Le département d’archéologie préventive de BEST est composé de six archéologues aux profils variés. Sous la direction de Christian Peter, chef de service et archéologue, l’équipe se compose de trois responsables d’opérations, émeric Cornet, Sebastian Rudolf, Charlotte Fèvre et Cloé Bernier, qui est aussi spécialisée en anthropologie, ainsi que d’une archéologue-
technicienne, Christine Schmit.
Renforcer la capacité des communes à intégrer les enjeux archéologiques dès les premières phases de planification de leurs projets d’aménagement
« Les responsables d’opérations supervisent l’ensemble des interventions archéologiques : ils sont chargés de la conduite des diagnostics sur le terrain, de l’étude des vestiges et de la rédaction du rapport. Ils sont épaulés par les techniciens de fouilles qui apportent un soutien essentiel lors de l’opération et des découvertes majeures », indique Christian Peter. Ces techniciens assurent le nettoyage des structures archéologiques et leur documentation avec le responsable, ils s’occupent ensuite du lavage et de l’inventaire du mobilier issu des vestiges découverts et de leur traitement. Chacun possède sa propre expertise. « Pour ma part, je suis par exemple spécialisée en archéologie funéraire. Je suis en mesure d’apporter une expertise spécifique lors de la découverte de sépultures », précise Cloé Bernier.
Chacun s’organise de manière efficace pour répondre aux exigences administratives et scientifiques de chaque projet. « Les missions de l’équipe incluent la rédaction des documents administratifs requis par la loi dans un délai précis, tels que le projet scientifique d’intervention et le rapport final d’opération. Nos archéologues réalisent également des diagnostics préventifs, suivent les travaux et étudient les vestiges archéologiques mis au jour lors de ces opérations. Parallèlement, les ingénieurs jouent un rôle clé en assurant la liaison avec les projets de construction afin de faciliter l’intégration en amont des enjeux archéologiques dans les calendriers de développement », explique Laurent Busana.
Concilier le développement urbain et la préservation du patrimoine
Le Grand-Duché est un pays en pleine expansion comme en témoignent les nombreuses infrastructures qui sont construites chaque année. Celles-ci sont indispensables car elles répondent toutes aux besoins d’une population qui croît d’année en année. Depuis l’introduction de la loi, de nombreux projets sont régulièrement concernés par des opérations préventives d’archéologie. Cette situation soulève une question centrale : comment concilier les impératifs de développement tout en garantissant la protection du patrimoine ? « Pour autant que l’archéologie ait été intégrée suffisamment tôt, les retards en raison de découvertes sont rares, bien que toujours théoriquement possibles ; pratiquement, il est rarissime que des projets soient abandonnés en raison de découvertes », répond Christian Peter.
Dans ce cadre, l’anticipation joue un rôle clé. « En travaillant en amont avec les promoteurs, les architectes et les communes, nous sommes en mesure d’intégrer les préoccupations archéologiques dès les premières étapes de planification des projets. Cette approche proactive de l’archéologie préventive réduit considérablement les risques de retard et garantit que, même en cas de découverte exceptionnelle, les délais soient respectés », assure Cloé Bernier. Ce faisant, grâce à une bonne communication sur l’archéologie préventive auprès des clients, une proximité avec les archéologues de l’Institut National de la Recherches Archéologiques (INRA), et par des évaluations et recommandations précises des archéologues de BEST, la planification des projets est plus fluide offrant ainsi aux différents aménageurs une perspective apaisée de l’avancement de leurs projets.
Un soutien pour les communes
Pour les communes, qui occupent une position clé dans la mise en œuvre des projets, la prise en compte des aspects archéologiques dans leurs initiatives se révèle parfois complexe. « Nous les accompagnons en leur offrant un soutien global qui couvre les aspects méthodologiques, administratifs, techniques et scientifiques. Cet accompagnement vise à renforcer leur capacité à intégrer les enjeux archéologiques dès les premières phases de planification de leurs projets d’aménagement », explique Laurent Busana. BEST exprime également son engagement en sensibilisant les acteurs locaux à l’importance de la protection du patrimoine archéologique.
« Dans ce cadre, nous mettons à disposition notre expertise approfondie et nos ressources pour les guider à chaque étape du processus. Cela inclut l’identification des incidences archéologiques potentielles et l’intégration des contraintes archéologiques, aussi en cas de découvertes, dans le calendrier et le budget des projets. Nous veillons également à les informer des obligations légales et réglementaires en vigueur, tout en leur offrant des solutions adaptées à leurs besoins spécifiques. Grâce à cette approche, nous contribuons à créer une synergie entre la protection du patrimoine et le développement du territoire, ce qui garantit que les projets se déroulent dans le respect des exigences patrimoniales, tout en minimisant les impacts sur les délais et les coûts », indique Christian Peter.
L’INRA, entité centrale
Les interventions menées par le département du cabinet d’ingénieurs-conseils sont soumises aux directives de l’INRA. Celui-ci assure la supervision scientifique des opérations et est également chargé de l’inventaire, la conservation et la valorisation du patrimoine archéologique national. Il joue un rôle clé dans la gestion et la protection des découvertes.
« Notre bureau d’études intervient en réponse à une demande de l’INRA Les responsables archéologiques de l’Institut assurent la supervision scientifique de toutes les opérations menées sur le territoire. Les archéologues de notre bureau sont ainsi directement subordonnés à l’INRA », précise Christian Peter.
Certes, le Luxembourg n’a jamais été pionnier en matière d’archéologie préventive, mais il a fait, sous la houlette des services de l’État, et particulièrement de Foni Lebrun-Ricalens, le directeur de l’INRA, des progrès très significatifs ces dernières années dans la mise en place d’une archéologie préventive à même de concilier aménagement du territoire et protection du patrimoine archéologique. « Le Grand-Duché se positionne actuellement, en matière de législation archéologique, dans le peloton de tête des pays signataires de la Convention de Malte », poursuit le chef de département.
Les défis futurs
L’urbanisation croissante, notamment dans le nord du pays, entraînera forcément une hausse des activités. « Contrairement au sud ou au centre du pays, c’est un territoire encore insuffisamment exploré d’un point de vue archéologique qui nécessite une vigilance accrue lors des projets en cours de développement ou qui ne manqueront pas de se développer prochainement en Éislek, une région particulièrement riche en vestiges de l’histoire mondiale récente. De nouvelles méthodes d’investigations associant des technologies innovantes pourraient alors être intégrées dans nos recherches sur le terrain », déclare Christian Peter.
À plus court terme, le département envisage de s’engager également dans des opérations de fouilles archéologiques. « Celles-ci sont souvent confondues à tort avec les diagnostics par le grand public. Si un diagnostic révèle des vestiges importants, l’INRA peut demander la poursuite de la mise au jour des vestiges par une opération de fouilles archéologiques impliquant des moyens plus importants et des investigations scientifiques réalisées dans un délai défini par l’État. La connaissance scientifique de ce patrimoine archéologique est ainsi acquise et le projet peut continuer », conclut Cloé Bernier.