Design durable : une rencontre entre longévité, sobriété et pragmatisme

Ce que nous qualifions de « durable » évolue au fur et à mesure que nous nous questionnons sur le sens à donner à ce terme popularisé par la crise climatique. Il recouvre aujourd’hui des idées si complexes et s’applique à des domaines si variés que nul professionnel ne peut prétendre maîtriser la « durabilité ». C’est la raison pour laquelle le bureau d’ingénieurs-conseils Betic, part of Sweco, a réuni, au sein d’un pôle dédié à la conception durable, une équipe de spécialistes multidisciplinaire vouée à ériger des constructions à faible empreinte écologique. Elise Rein, Team Manager du Pôle Sustainable Design (SuD), revient sur les missions de son département, son approche et les défis à relever pour faire de la construction durable un réflexe au Luxembourg. Interview.

 

Quelle est votre définition du design durable ?

Au début de ma carrière, il y a une dizaine d’années, je pensais que construire durable équivalait à construire en bois, matériau renouvelable et qui stocke du carbone, contrairement au béton. Ma définition a quelque peu changé depuis que je considère le bâtiment comme une banque de matériaux. J’estime désormais que tous les modes constructifs se défendent à condition d’appréhender la construction de manière non plus linéaire mais circulaire. Il s’agit donc, dès le début d’un projet, de se poser la question de l’évolution d’utilisation potentielle du bâtiment au cours de sa vie, mais aussi à sa fin de vie et d’appréhender ses éléments constitutifs en ce sens.

Aujourd’hui, j’entends donc par « durable » un design pérenne. Ainsi, la durabilité d’un immeuble est aussi liée à sa qualité et son confort. C’est la raison pour laquelle, par exemple, la conception acoustique fait partie intégrante de notre pôle « Sustainable Design » : si celle-ci est mauvaise, le manque de confort pour les occupants peut sérieusement influer sur la longévité du bâti. Partant de ce point de vue, la durabilité se doit d’être l’affaire d’un vaste panel d’experts qui échangent autour d’une même table pour prendre des décisions pragmatiques sur tous les facteurs pouvant peser sur la durabilité des constructions.

 

Ce panel de spécialistes, vous l’avez institué au sein de votre pôle « Sustainable Design ». Quelles expertises propose-t-il ?

Le pôle SuD, comme nous l’appelons, a vu le jour en 2017 pour répondre à deux besoins essentiels : d’une part, accompagner les architectes face aux nombreuses questions liées à la durabilité et, d’autre part, lever les obstacles qui empêchaient la concrétisation de projets ambitieux, notamment ceux en bois, souvent abandonnés en cours de route. Ces obstacles étant variés, nos expertises le sont également. Pour lever les doutes sur la sécurité incendie, la composition des parois, les surchauffes et l’acoustique, nous avons développé respectivement le commodo-incommodo, des missions de physique du bâtiment, des compétences en simulation thermique dynamique et engagé des acousticiens notamment. Les coûts de la construction en bois étant considérés comme un frein également, nous avons aussi mis en place un accompagnement pour l’obtention de subsides.

Nous avons diversifié les services rendus par le pôle pour appréhender la durabilité dans son sens large

Ma vision ayant évolué, nous avons diversifié les services rendus par le pôle pour appréhender la durabilité dans son ensemble. Nous avons développé des expertises en matière d’énergie, de certifications environnementales ou encore de gestion et de traitement de l’eau. Plus récemment, nous avons obtenu les agréments de contrôleur technique en accessibilité et mis en place un accompagnement pour établir les registres des matériaux (obligatoires à partir du 1er janvier 2025 pour les bâtiments de plus de 3.500 m²). Enfin, nous venons de nous lancer dans les études d’impact environnemental (EIE) et les inventaires de déconstruction. Il est certain que nous ne nous arrêterons pas là puisque de nouveaux besoins émergent, notamment en raison des évolutions réglementaires.

Partant du constat que cette base réglementaire était devenue tout bonnement trop importante et trop complexe pour être maîtrisée par un unique interlocuteur, qu’il s’agisse d’un architecte ou d’un ingénieur, nous avons conçu notre pôle « Sustainable Design » comme une équipe sur laquelle les maîtres d’ouvrage pourraient se reposer. Chacun de nos experts est spécialisé dans un domaine bien spécifique tant chaque aspect est vaste.

 

Quels outils utilisez-vous pour assurer la durabilité de vos projets ?

Nous avons récemment développé des projets basés sur le concept « low tech » baptisé « 2226 » qui vise à maintenir une température intérieure entre 22 et 26°C tout au long de l’année sans installation technique traditionnelle. Il n’y a ni production centralisée de chauffage (seulement des appoints), ni production centralisée de froid, ni centrale de traitement d’air. Nous avons éliminé énormément de techniques en optant pour une ventilation naturelle avec des ouvrants motorisés. L’idée n’est pas de renoncer aux méthodes conventionnelles, et d’une manière générale aux installations techniques, mais bien de s’interroger en amont du projet sur celles qui sont réellement indispensables au fonctionnement optimal du bâtiment concerné, au vu de son utilisation à long terme. Pour valider ce genre de solution, nous nous appuyons sur des simulations thermiques dynamiques. C’est un de nos outils de prédilection dès qu’il s’agit d’évaluer des concepts énergétiques novateurs qui nécessitent d’aller plus loin que les normes en vigueur.

Pour comparer deux variantes, nous recourons également à une méthode qui consiste à vérifier le poids carbone de chaque solution, non seulement durant l’exploitation mais aussi en tenant compte de « l’embodied carbon », c’est-à-dire du carbone qui a été émis pour fabriquer tel matériau ou équipement. En effet, rien ne sert d’ériger des bâtiments qui remplissent des exigences environnementales élevées si cela implique de consommer une quantité de ressources démesurée pour ce faire.

 

Quelles réactions ces méthodes suscitent-elles auprès des maîtres d’ouvrage ?

Sortir des sentiers battus comporte toujours un risque. Nous comprenons les réticences de certains maîtres d’ouvrage qui, in fine, portent la responsabilité de la réussite d’un projet. Mais il n’y a pas d’innovation sans prise de risque. La conception durable nécessite donc de faire preuve d’un certain courage et d’ouverture d’esprit et c’est le cas de beaucoup de nos clients.

 

Quels sont les principaux défis auxquels vous êtes confrontés dans la construction durable au Luxembourg et comment parvenez-vous à les surmonter ?

J’ai récemment participé à la conférence « Feuille de Route Construction Bas Carbone » organisée par l’OAI. Si les échanges ont mis en lumière les limites induites par la réglementation, les dérogations existent pour permettre l’innovation. Or, pour qu’une dérogation soit acceptée, toutes les parties prenantes au projet doivent adhérer à l’idée qui la rend nécessaire. La meilleure solution pour mener à bien un projet durable est donc de travailler en équipe, avec tous les experts nécessaires (en génie technique, génie civil et architecture a minima, et en durabilité dans l’idéal) dans une approche multidisciplinaire, avant même que l’architecte n’ait donné son premier coup de crayon.

 

À l’heure actuelle, la durabilité passe parfois au second plan des préoccupations des maîtres d’ouvrage pour des raisons économiques. Comment les convaincre de poursuivre sur la voie de la transition malgré tout ?

Il est vrai que nous sommes fortement incités à réduire les coûts. Si l’augmentation des prix favorise la rénovation plutôt que des projets neufs – ce qui est positif puisque cela permet de pérenniser le bâti existant – construire durable n’est pas forcément plus onéreux. Certes, un projet durable nécessite davantage de réflexion en amont, ce qui engendre un surcoût en phase d’étude, mais celui-ci sera compensé par les économies réalisées à l’usage et la longévité du bâtiment. Ainsi, à long terme, le retour sur investissement d’un immeuble durable sera forcément plus intéressant, mais cela implique un changement de mentalité qui, comme toute grande évolution de pensée, demande du temps.

La conception durable nécessite de faire preuve d’un certain courage et d’ouverture d’esprit

Les difficultés financières actuelles devraient pourtant nous inciter d’autant plus à tendre vers la sobriété, une idée malheureusement trop associée à une punition ou à la frustration. Or, pour reprendre un slogan de l’OAI, « Less is more, if less is quality and health ». Construire une maison un peu plus petite mais avec des matériaux sains semble « naturellement » avoir plus de valeur que quelques mètres carrés supplémentaires…

Si le changement des mentalités s’opère lentement, l’économie sera peut-être un moteur plus puissant. Prenons l’exemple de l’eau : même si son coût est déjà très élevé, nous ne systématisons pas encore la récupération de l’eau de pluie dans tous les projets, mais nous pouvons bien imaginer que lorsque son prix atteindra des sommets, ce type de dispositif sera systématisé. De même, il faudra certainement qu’acquérir une propriété devienne hors de portée pour tous pour que nous acceptions de vivre dans des espaces plus compacts, sans pour autant que ceux-ci soient moins confortables. Je vois ainsi l’économie comme un levier qui nous donnera l’occasion de construire différemment, de façon plus pragmatique et de manière que les gens vivent dans des environnements agréables et sains sans qu’il ne soit nécessaire de mettre en péril notre planète et ses ressources. C’est un challenge enthousiasmant qui donne tout son sens à notre métier.

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