Travail hybride : facteur de (dés)engagement ?
Un peu partout, des entreprises se mettent à serrer la vis sur leur politique de télétravail, signe que trouver la recette qui confère flexibilité aux collaborateurs tout en maintenant leur engagement, leur performance individuelle et une culture d’entreprise forte n’est pas aisé. Karine Pontet, Partner au sein du département HR & Employment Advisory Services chez BDO Luxembourg, répond aux questions qui tourmentent les employeurs.
Le télétravail s’est largement généralisé depuis 2020 et la pandémie de Covid-19. Malgré ses avantages, certaines entreprises rechignent à y recourir. Qu’est-ce qui les distingue de celles qui, au contraire, le promeuvent ?
Le télétravail, par la flexibilité qu’il confère, est destiné à offrir aux collaborateurs un meilleur équilibre entre vie privée et vie professionnelle. S’il ne présente pas de réel désavantage en soi, il apporte néanmoins son lot de défis, raison pour laquelle certaines entreprises locales résistent encore au modèle du travail hybride. Celles qui le promeuvent ont compris qu’elles ne pouvaient pas passer outre tant il confère un avantage compétitif en matière d’attractivité. Les autres freinent des deux pieds pour deux raisons : soit parce que certains emplois ne sont pas télétravaillables et qu’elles ne veulent pas favoriser une population par rapport à une autre – ce qui est louable mais qui nécessite peut-être d’offrir d’autres avantages, soit parce que leur direction considère le télétravail comme l’apanage des paresseux. Cette méfiance est plutôt le fait de certaines grosses sociétés et risque de se retourner contre elles.
Objectivement, peut-on considérer le travail hybride comme responsable d’une perte d’engagement des collaborateurs ?
Avec le télétravail, l’adage « loin des yeux, loin du cœur » devient une réalité que beaucoup d’organisations expérimentent, à leur plus grand désarroi. L’enquête Gallup 2024 « State of the Global Workplace » met en lumière que, sur 38 pays européens, le Luxembourg – où le télétravail s’est largement généralisé – pointe à la 37e position en matière d’engagement des collaborateurs. Autre chiffre inquiétant : 38% des employés interrogés avouent rechercher un nouvel emploi, ce qui place le Grand-Duché en 6e position du classement. Ces résultats supposent une corrélation négative entre recours au travail hybride et engagement des collaborateurs, une tendance qui peut être un obstacle à la collaboration entre employés et à l’entretien d’une culture d’entreprise forte. Néanmoins, le télétravail ne saurait être tenu pour seul responsable de ce manque d’engagement avéré ou d’une culture d’entreprise fragile. Bien souvent, ces difficultés sont symptomatiques de problèmes structurels plus profonds, généralement antérieurs à la mise en place du travail hybride et qui se sont sournoisement aggravés après son introduction. Aussi, chercher à ramener ses employés au bureau, comme le font désormais de nombreuses entreprises, n’est pas la solution. Les y contraindre sans contrepartie efficace et attrayante aurait de grandes chances d’engendrer l’effet inverse : désengagement actif, démissions passives ou réelles.
Dès lors, quels conseils donneriez-vous à une organisation désireuse de profiter des avantages offerts par le travail hybride tout en maintenant un haut niveau d’engagement chez ses collaborateurs ?
Selon moi, la clé du succès du travail hybride, aussi bien pour l’employé que pour l’entreprise, est la collaboration. Il convient alors de l’ancrer dans le socle de valeurs et l’éthique de la société, mais aussi de la récompenser en interne. En effet, si la collaboration n’est pas définie comme une valeur fondamentale commune, démontrée (« lead by example »), soutenue et reconnue par la direction au quotidien, la mise en place d’un environnement collaboratif peinera à s’instaurer de manière effective et durable.
S’agissant d’une compétence qui s’acquiert plutôt que d’une aptitude innée, la collaboration est un savoir-être qui se développe. C’est pourquoi je conseille également aux entreprises d’investir dans la formation des employés (compétences communicationnelles, facultés d’adaptation, empathie, gestion des conflits sont autant d’aspects qui se travaillent) mais aussi des membres du comité exécutif et du middle management pour qu’ils deviennent des leaders inspirants et capables de maintenir un haut niveau d’engagement parmi leurs équipes.
En effet, et c’est mon 3e point, l’équipe dirigeante doit non seulement donner du sens à sa vision, mais aussi montrer l’exemple. Performance individuelle et collective sont étroitement liées à la manière dont les leaders insufflent leur vision au sein de l’organisation. Il est crucial de donner du sens à cette vision en la rendant concrète, réaliste, mais aussi suffisamment ambitieuse pour que les collaborateurs aient envie de la réaliser. De plus, les dirigeants doivent incarner les valeurs qu’ils souhaitent voir se concrétiser en fixant la norme à suivre pour le reste de l’organisation.
Enfin, ils doivent favoriser l’émergence d’un environnement de confiance, de coopération et de partage, au travers par exemple de la création de communautés interfonctionnelles parmi lesquelles les collaborateurs pourront se retrouver autour de projets transversaux. Ainsi, les employés pourront non seulement échanger leurs idées et s’enrichir mutuellement, mais aussi créer de nouveaux réseaux « informels » au sein desquels ils prendront plaisir à s’investir.
Comment envisagez-vous l’évolution du travail hybride au Luxembourg ?
Il faut poursuivre sur cette voie et continuer à favoriser la flexibilité du travail. Selon moi, le travail hybride devrait encore se généraliser davantage, notamment pour les frontaliers. C’est une condition clé pour attirer de nouveaux talents au Grand-Duché. La question est plutôt de savoir comment nous allons gérer les défis qu’il représente.
Justement, comment accompagnez-vous vos clients en la matière chez BDO ?
Premièrement, nous évaluons le niveau d’engagement de leurs collaborateurs via un « engagement survey », qui permet d’étudier une série d’indicateurs comme la confiance dans le leadership, l’adhésion à la vision et à la stratégie de l’entreprise, une éventuelle intention de démissionner, etc. De là, nous pouvons ensuite identifier les leviers sur lesquels travailler avec ou sans recours au travail hybride. Peut-être que le leadership ne communique pas sur sa vision de manière assez concrète ou convaincante, que les objectifs de l’entreprise ne sont pas correctement définis ou encore que le management n’est pas suffisamment formé à la collaboration. Une fois ces problèmes potentiels résolus, nous pouvons alors les accompagner dans l’élaboration d’un modèle de travail hybride qui conviendra au mieux à leur type d’activité, leurs locaux et équipements techniques. Nos équipes ont élaboré de nombreuses politiques de télétravail, chacune adaptée aux spécificités de chaque client.