Télétravail : le début de la fin ?

« En observant ces cinq dernières années, nous continuons de penser que les avantages d’être tous ensemble au bureau sont importants », écrivait ce lundi 16 septembre Andy Jassy, patron d’Amazon, dans un message interne annonçant sa décision de ramener tous ses salariés au bureau 5 jours sur 5 dès janvier prochain. Depuis, c’est l’effervescence, et pas seulement chez les employés du géant du commerce en ligne. Sonne-t-on le glas du télétravail ? Les grands patrons semblent en avoir fait le procès ces derniers mois et rendent leur jugement tour à tour. Mais la sentence du directeur d’Amazon compte parmi les peines les plus lourdes : plutôt que d’encadrer le travail hybride, elle y met fin. Pourquoi, près de cinq ans après sa généralisation, tant d’entreprises en reviennent-elles ?

Dans une interview accordée à CNBC en avril, John Donahoe, CEO de Nike, confiait qu’il s’avérait « vraiment difficile de faire une innovation audacieuse et de rupture (…) sur Zoom ». Même son de cloche en France, où Marie-Sophie de Waubert de Genlis, directrice des studios d’Ubisoft, écrivait, ce 17 septembre, dans un courriel destiné à ses employés sommés de se présenter au bureau au minimum trois jours par semaine : « la créativité est stimulée par les interactions interpersonnelles, les conversations informelles et la collaboration autour d’une même table (…) Le fait d’être ensemble en personne permet également de résoudre les problèmes et de prendre des décisions de manière plus efficace. (…) C’est encore plus crucial (…) pour construire et nourrir la confiance dans et entre les équipes, renforcer notre sentiment d’appartenance ».

Le télétravail serait-il le bouc émissaire de groupes en difficulté ? Les études peinent à prouver que le distanciel serait responsable d’une perte de productivité, certaines démontrant d’ailleurs le contraire. D’aucuns vont alors jusqu’à taxer cette condamnation de plan social déguisé. Ils estiment que les entreprises poussent leurs salariés vers la sortie sans aucune intention de remplacer les démissionnaires. S’il ne s’agit que de suspicions, des études avancent que près d’un cadre français sur deux serait prêt à quitter sa boîte si celle-ci venait à diminuer le travail à domicile ; ce que les employeurs ne sont certainement pas sans savoir…

En effet, bon nombre de cols blancs ne considèrent plus le recours au télétravail comme un avantage parmi d’autres, mais plutôt comme un acquis social. Pourtant il n’en est rien. Selon une étude menée par KPMG en octobre 2023 auprès de 1.300 PDG, 62% prédisent la fin du travail à distance en 2026. Privilège généralisé à la faveur d’une conjoncture exceptionnelle, il semble bel et bien menacé, en tout cas dans la forme qui s’était imposée en raison de la pandémie. La tendance, en réalité, est à la restriction forte dans les entreprises internationales qui s’étaient accoutumées, surtout aux États-Unis, au « full remote », et à la redéfinition de ses modalités dans les sociétés qui avaient opté pour une formule hybride. L’interdiction de télétravailler ailleurs qu’à domicile ou de quitter le bureau les lundis et vendredis pour éviter les abus apparaissent comme des compromis pour des firmes qui, elles le savent, tirent bénéfice du télétravail au même titre que leurs employés : réduction des coûts liés à l’immobilier et des dépenses énergétiques, et attractivité et rétention des talents pour les unes, diminution des déplacements domicile-travail, bien-être, flexibilité et autonomie pour les autres.

N’en déplaise au patron d’Amazon, la solution la plus réaliste ne résiderait donc pas dans un retour au « monde d’avant », mais certainement dans un modèle hybride qui permettrait de maintenir ces avantages tout en préservant, par un minimum de présentiel, un certain niveau d’engagement, une collaboration fluide, un esprit d’innovation et une solide culture d’entreprise. Restera aux employeurs à trouver le juste équilibre entre présentiel et distanciel pour maximiser la satisfaction des salariés et la performance des entreprises. Seule conclusion cohérente pour un éditorial rédigé… en télétravail !

 

Par Adeline Jacob

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