L’upskilling, ou l’art de développer sa résilience face à une obsolescence annoncée
Difficile de ne pas l’avoir remarqué : les compétences professionnelles deviennent obsolètes bien plus rapidement que par le passé. Et pour cause, le marché du travail évolue de plus en plus vite. D’un côté, certaines aptitudes perdent de leur intérêt en raison de l’automatisation et de la numérisation ; de l’autre, une demande accrue pour de nouvelles fonctions et compétences peine à être satisfaite. Tessy Thill, Director, et Célia Dupuis, Senior HR & HRIS Analyst chez PwC Luxembourg, nous expliquent en quoi l’upskilling est une solution toute trouvée pour réaligner la main-d’œuvre sur les besoins du marché.
L’upskilling, une nécessité
Le terme semble être apparu soudainement dans le jargon de l’entreprise et, depuis la pandémie de Covid-19, est sur toutes les lèvres : celles des responsables RH, des professionnels de la formation, des employeurs et des salariés. L’« upskilling », à ne pas confondre avec le « reskilling » (qui s’apparente davantage à une reconversion), relève de la montée en compétences des travailleurs. « Il s’agit finalement, pour une organisation, de développer les aptitudes de ses collaborateurs dans le but de les maintenir à jour par rapport aux nouvelles tendances et exigences du marché. C’est une démarche véritablement cruciale puisque, selon les estimations du Forum économique mondial, près de la moitié des employés de la planète auront à acquérir de nouvelles compétences à court terme, voire à se réorienter, pour répondre aux besoins changeants de leur métier », indique Célia Dupuis.
Entre « hard » et « soft » skills
Les évolutions technologiques rapides qui pénètrent et transforment fortement le marché du travail, notamment l’IA, gonflent la demande en « hard skills » et mettent les travailleurs au défi, faisant même planer un risque de fracture entre ceux qui prendront le train en marche et ceux qui peineront à utiliser ces nouveaux outils. « L’important est d’identifier ses différentes audiences pour proposer des parcours personnalisés et former celles qui auraient davantage d’attrait pour la technologie et qui seraient susceptibles de progresser plus rapidement dans cet apprentissage. Ensuite, des techniques comme le « shadowing » – qui consiste à suivre un employé expérimenté dans son travail quotidien pour apprendre directement de son expérience et de ses pratiques – peuvent permettre de réduire les écarts », explique Célia Dupuis.
Ce qui manque aux entreprises, c’est une approche plus stratégique qui consiste à confronter les compétences qu’elles détiennent à leurs besoins sur les cinq prochaines années
Mais l’upskilling, s’il est souvent assimilé aux technologies émergentes, ne se limite pas à l’apprentissage du digital, bien au contraire. Il concerne aussi bien les « hard » que les « soft skills ». Selon le « Future of Jobs Report 2023 » du Forum économique mondial, qui dresse la liste des compétences les plus importantes aux yeux des employeurs, les aptitudes numériques n’arrivent qu’en 6e position. « Les compétences analytiques et créatives, suivies par la résilience et l’agilité, la curiosité ou encore le leadership, sont les plus recherchées puisque ce sont celles qui permettent à l’employé de s’adapter au marché du travail quelle que soit la direction dans laquelle il évolue. Finalement, les compétences les plus demandées sont celles qui ne peuvent être automatisées », analyse Tessy Thill.
Une affaire de stratégie
Alors que le marché du travail luxembourgeois est secoué par une pénurie de talents, l’upskilling doit être envisagé comme une partie de la solution. « Ce que les entreprises ne trouvent pas en leur sein, elles le cherchent à l’extérieur, sur un marché lui-même en carence. À la place, elles ont tout intérêt à développer une bonne connaissance des aptitudes disponibles en interne pour former leurs collaborateurs en conséquence. Les compétences font figure de nouvelle monnaie et ont presque plus de valeur qu’un diplôme. Bon nombre d’organisations l’ont compris et n’hésitent pas à investir temps, énergie et argent dans la formation de leurs employés. Ce qui leur manque néanmoins, c’est une approche plus stratégique qui consiste à confronter les compétences qu’elles détiennent à leurs besoins sur les cinq prochaines années. Cette cartographie doit ensuite permettre d’identifier la meilleure manière de faire évoluer sa force de travail actuelle pour combler cet écart. On parle alors de planification stratégique des ressources humaines, un exercice à inscrire évidemment dans la durée », affirme Tessy Thill.
Et les outils digitaux peuvent, justement, faciliter le processus. Certains utilisent déjà l’intelligence artificielle pour réaliser des prédictions, y comparer les compétences disponibles et identifier les profils les plus susceptibles de permettre à la société de s’aligner sur ses objectifs stratégiques moyennant telle ou telle formation.
« Actuellement, ces démarches sont appliquées en vase clos et favorisent la mobilité interne des salariés. À l’avenir, il pourrait toutefois s’avérer pertinent d’adopter un point de vue plus systémique au Luxembourg et d’envisager des transferts de compétences inter-entreprises pour faciliter la rencontre entre l’offre et la demande », conclut Tessy Thill.