Pour une digitalisation proactive, transparente et inclusive

Stéphanie Obertin - ministre de la Digitalisation

Nommée ministre de la Digitalisation en octobre dernier, Stéphanie Obertin œuvre à la mise en place d’un gouvernement numérique. L’objectif ? Digitaliser les administrations et les processus pour faciliter les démarches des citoyens et des entreprises tout en fournissant des services étatiques inclusifs. Elle présente les projets en cours et revient sur les défis à venir, notamment ceux liés à l’utilisation des données.

 

Vous êtes issue du domaine de la santé. En quoi votre expérience peut-elle être utile au gouvernement et plus spécifiquement à la digitalisation ?

J’étais d’abord très honorée d’avoir été choisie pour diriger le ministère de la Digitalisation. En tant que médecin, je suis à l’écoute des citoyens. Durant la crise sanitaire, j’étais au premier rang pour l’affronter. C’est également à ce moment que la digitalisation a pris davantage d’ampleur pour les Luxembourgeois, contraints d’effectuer leurs démarches à distance auprès des services étatiques ou pour s’inscrire au « large scale testing ». Ce changement soudain a provoqué un certain stress pour notre population concernant l’utilisation du numérique. J’ai ainsi été confrontée à cette problématique dans laquelle les personnes âgées, par exemple, n’étaient peut-être pas suffisamment informées pour prendre ce virage. Cette expérience du terrain est un atout dans mes nouvelles fonctions.

 

Quels sont les moyens mis en œuvre pour favoriser l’inclusion numérique ?

Le gouvernement précédent avait adopté un plan national pour l’inclusion numérique qui prévoyait plusieurs axes de travail, dont le développement des compétences digitales, la diminution des différences régionales ou l’augmentation de la confiance des citoyens dans le numérique. 40 initiatives étatiques ont été ainsi énoncées, comme la mise en ligne du portail zesummendigital.lu, le lancement de divers appels à projets, l’offre de formations à propos du e-banking ou la Journée nationale de l’inclusion numérique. Ce plan national sera réévalué cette année afin de l’adapter à l’évolution technologique. Une version 2.0 devrait être présentée l’année prochaine.

Ceci dit, cela ne nous empêche pas de lancer d’autres projets d’inclusion, même s’ils ne figurent pas directement dans le plan national. Citons par exemple l’appel à solutions dénommé « AccessiLingua » lancé par GovTechLab, par lequel nous recherchons une solution fonctionnant grâce à l’IA et facilitant la traduction de textes en langage facile à lire (FALC). Un tel outil permettrait de rendre les textes administratifs plus accessibles à toute la population.

Enfin, nous analysons actuellement la meilleure façon de décentraliser le service physique de Guichet.lu pour plus de présence sur l’ensemble du territoire.

 

Quel sera votre fil rouge durant ce mandat ?

Les prochains mois, voire années, seront décisifs car ils porteront sur l’utilisation des données. L’intention est de bâtir un secteur public axé sur les data en introduisant de manière transversale le principe du « Once Only » pour utiliser les données de façon optimale et en mettant en œuvre le « Data Governance Act » qui réglemente la réutilisation des données publiques.

Les autres sujets cruciaux sont l’interopérabilité des solutions et des systèmes entre les différentes institutions afin de faciliter le flux des informations et des données, et nous souhaitons proposer aux habitants un point d’accès unique aux services étatiques via MyGuichet.lu. Celui-ci permettrait aux citoyens de trouver plus facilement les informations et de s’identifier de façon sécurisée sans avoir à naviguer sur différentes plateformes.

 

Que dites-vous aux plus sceptiques qui voient en la digitalisation une menace pour l’économie, notamment pour l’emploi ? Que prévoyez-vous pour soutenir la transition vers une économie numérique ?

Les diverses études menées sur les réactions des citoyens par rapport aux nouvelles technologies sont très éclectiques. Pour ma part, j’y vois des opportunités. Dans le domaine de l’emploi, de tels changements créent de nouvelles fonctions, comme les Data Analysts ou les Data Miners. De plus, certaines innovations dues à l’intelligence artificielle permettent de réduire des tâches répétitives ou lourdes afin que les employés puissent se consacrer à leur cœur de métier et donc gagner en compétitivité.

Dans l’histoire, l’être humain a toujours réussi à s’adapter aux changements, quels qu’ils soient, mais des formations seront nécessaires pour soutenir cette transition numérique. Et cela concerne tous les ministères, pas seulement celui de la Digitalisation, étant donné la transversalité du sujet. De notre côté, nous collaborons par exemple avec l’asbl Erwuessebildung pour élaborer des formations sur mesure et gratuites en compétences numériques pour les organisations œuvrant dans le domaine social.

 

Pouvez-vous nous partager un exemple de réussite dans le domaine de la digitalisation qui a eu un impact positif sur les citoyens ?

Incontestablement, MyGuichet.lu est une vraie réussite. En 2020, nous comptions 552.966 transmissions de démarches administratives via la plateforme. Ce chiffre est monté à 3.880.516 lors de la crise sanitaire. En 2023, nous en avons comptabilisé environ 1,7 million. Par ailleurs, nous dénombrions, en 2023, 112.559 espaces professionnels et 461.970 espaces privés sur MyGuichet.lu. Nous voyons donc qu’une très grande partie de notre population l’a adopté et y a recours pour effectuer ses démarches administratives.

 

Comment le Luxembourg rayonne-t-il en matière de digitalisation sur le plan international ?

Le Grand-Duché a fait un bond vertigineux au niveau de ses résultats dans l’eGovernment Benchmark de la Commission européenne. Alors que nous nous trouvions au 11e rang en 2020, nous nous retrouvons pour la deuxième fois d’affilée en 3e position en 2023 avec un score global de 89%, qui se situe au-dessus de la moyenne européenne (70%). Ce classement récompense les efforts de notre pays pour renforcer la transformation numérique de nos services publics.

Nous ne voyons néanmoins pas ces excellents résultats comme une finalité, mais comme un encouragement à continuer sur notre lancée, à déployer de meilleurs processus numériques et à apporter davantage de confort pour nos citoyens et les entreprises. Comment ? En utilisant par exemple les données de façon efficiente et en appliquant le principe du « Once Only ».

 

Qui dit digitalisation, dit forcément cybermenaces et souveraineté numérique…

C’est malheureusement un risque. J’ai présidé la cellule de crise qui a été constituée lors des attaques cyber DDoS de mars dernier et je tiens à souligner que nous sommes bien positionnés et outillés pour lutter contre ces menaces, car nous disposons des infrastructures et compétences nécessaires sur notre territoire. Nous nous sommes défendus rapidement et efficacement face à ces attaques, ce qui est rassurant pour nos citoyens.

Par ailleurs, la souveraineté digitale figure parmi les éléments les plus importants pour garantir l’utilisation optimale et éthique des données. Le recours à un cloud souverain nous offre un hébergement et un contrôle des données dans un environnement sécurisé au Luxembourg.

 

Les citoyens ont-ils un rôle à jouer dans la mise en œuvre des projets déployés ?

Oui, car une approche centrée utilisateur permet de fournir des services qui répondent au mieux aux besoins des usagers et une amélioration continue. C’est une des raisons pour laquelle nous avons lancé la plateforme « Zesumme Vereinfachen ». Grâce à celle-ci nos citoyens peuvent, en toute transparence, suivre les évolutions, donner leur avis et faire des propositions d’amélioration ou de simplification administrative. Près de 3.800 personnes utilisent déjà cette plateforme et ce chiffre ne cesse de croître depuis sa création il y a deux ans.

 

Par Pierre Birck

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