Un nouveau monde en formation

Que l’on se place du point de vue technologique, avec la digitalisation et l’arrivée massive de l’IA, ou socio-économique après la pandémie et la crise climatique, le monde du travail aborde une nouvelle ère. Un monde professionnel aux usages inédits auquel il convient de se former rapidement afin de pouvoir s’y adapter. Pour évoquer ces sujets, nous avons rencontré Muriel Morbé, CEO de la House of Training.

 

Pouvez-vous nous présenter la House of Training, son activité, ses missions ?

La House of Training a été fondée en 2015, il y a bientôt dix ans, par la Chambre de Commerce et l’ABBL. C’est une fondation à vocation non commerciale, rassemblant près de 50 personnes, dont la mission principale est de proposer, développer et organiser une offre de formation continue de grande qualité, adaptée aux besoins du marché du travail luxembourgeois. Notre activité s’étend au travers de 1.400 formations dans 21 domaines d’activité différents (industrie, horesca, finance…). En 2023, la House of Training a enregistré plus de 32.000 inscriptions et formé plus de 3.000 entreprises.

Pour y parvenir, nous collaborons étroitement avec un réseau de 65 partenaires (fédérations ou associations professionnelles) qui représentent les intérêts de ces secteurs. Cela permet d’optimiser l’impact de notre offre en faveur du développement des compétences et de la compétitivité des entreprises, tout en restant au plus proche des réalités du terrain. Nos formateurs sont d’ailleurs très souvent des experts en activité, issus des entreprises elles-mêmes comme des fédérations que j’évoquais.

 

À quel point le monde du travail, et donc de la formation, va-t-il encore se transformer ?

Les chiffres de la dernière étude CEDEFOP sont éloquents à ce sujet : en 2035, 30% des recrutements concerneront des métiers nouveaux, soit 81.000 postes sur les 265.800 prévus. 2035, c’est « demain », il est donc urgent de se préparer à ce changement de paradigme.

En 2035, 30% des recrutements concerneront des métiers nouveaux. Le monde du travail entre dans une nouvelle ère à laquelle il faut se préparer

D’un point de vue plus global, nous pouvons affirmer que la révolution numérique et environnementale a changé le monde et ne va pas s’arrêter à ce que nous connaissons déjà. La crise de l’énergie et la pandémie ont elles aussi profondément transformé l’approche et l’organisation du travail. Nous le constatons dans les échanges que nous avons avec les participants à nos formations. La manière de se former change, les besoins changent, les profils changent : un salarié de la Gen Z n’a pas les mêmes attentes qu’un actif de 45 ans. Nous avons su très vite nous adapter à ces nouveaux modèles, tout en gardant à l’esprit que tout ne devait pas être remanié pour autant. Le télétravail et le digital ne remplacent pas le présentiel et la valeur humaine au quotidien. Ce sont deux approches complémentaires mais l’une ne remplace pas l’autre.

 

Le pays est-il prêt ? Quels défis se posent pour les entreprises comme pour vous ?

Un des plus grands défis à relever pour les entreprises est le manque de main-d’œuvre qualifiée ou la pénurie de talents plus globalement ; un phénomène qui touche tous les secteurs d’activité et tous les niveaux de qualification sans exception. L’attraction ainsi que la rétention des talents est donc au cœur des enjeux.

En ce qui nous concerne plus particulièrement, il s’agit d’offrir des formations adaptées d’une part, mais aussi de les rendre visibles et facilement accessibles pour les entreprises et leurs actifs d’autre part. En effet, une étude OCDE indique que 27% des entreprises considèrent l’offre de formation inadaptée à leurs besoins. D’ailleurs, dans un baromètre de l’économie réalisé par la Chambre de Commerce il y a peu, on relevait que 40% des sociétés luxembourgeoises n’avaient pas recours à la formation professionnelle continue. Ce sont évidemment des chiffres qui me font bondir et que nous prenons très au sérieux. Nous devons faire en sorte que nos services soient facilement lisibles, accessibles et efficaces.

 

Justement, comment la House of Training a-t-elle réagi ?

Nous avons vocation à aller au-delà d’une simple réponse aux besoins des acteurs du monde du travail. La mission de la House of Training est aussi de les sensibiliser aux mutations de notre économie, de les accompagner et de les aider à relever les défis du futur. C’est une mission d’intérêt général urgente à poursuivre au regard des enjeux dont nous venons de parler.

Nous sommes d’ailleurs impliqués, avec la Chambre de Commerce, dans des groupes de travail qui tentent d’élaborer des solutions pratiques, mais aussi du point de vue législatif. Ces groupes sont en ce sens des bassins de recherche qui permettent d’anticiper les besoins émergeants en matière de formation et les nouveaux profils de compétences.

Un des plus grands défis à relever pour les entreprises est le manque de main-d’œuvre qualifiée ou la pénurie de talents plus globalement ; un phénomène qui touche tous les secteurs et tous les niveaux de qualification

Nous sommes à l’écoute des entreprises, mais aussi des différents ministères ou de partenaires comme l’ADEM pour faire avancer la législation dans le bon sens. Je pense à des sujets comme le cofinancement, la formation des indépendants ou bien la mise en place d’un système de tiers-payant.

Nous organisons des commissions consultatives qui réunissent les entreprises et partenaires d’un secteur pour analyser les freins, identifier les enjeux et élaborer des solutions concrètes. Ces concertations sont très instructives et constructives, car elles amènent à un échange assez ouvert entre les participants.

 

Quelles recommandations feriez-vous à un jeune entrant dans le monde du travail d’une part, et à un chef d’entreprise d’autre part ?

Il est clair que mon message ne serait pas tout à fait le même pour l’un ou pour l’autre en ce qui concerne l’objet de la formation, ce sur quoi il s’agit de monter en compétences. En revanche, là où je pourrais m’exprimer de manière plus univoque, ce serait sur le caractère impératif de poursuivre sa formation professionnelle tout au long de sa carrière, quel que soit son âge ou ses responsabilités. Le monde du travail est perpétuellement en mouvement et il faut pouvoir « surfer » sur les vagues successives qui l’agitent, que l’on soit salarié ou chef d’entreprise.

 

Demain, pourra-t-on compter sur l’IA pour se former ou bien l’humain est-il un facteur indépassable ?

L’IA est un outil qui, par définition, peut être très intéressant s’il est utilisé à bon escient. Son intégration risque de bousculer les méthodes établies, mais elle sera judicieuse à n’en point douter. En revanche, elle ne le sera qu’en complément d’une approche humaine qui est, à mon sens, irremplaçable dans un processus de formation professionnelle.

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