De l’accessibilité des bâtiments
Le 1er juillet 2023, la loi portant sur l’accessibilité à tous des lieux ouverts au public est entrée en vigueur au Luxembourg. Cela nécessite une mise en conformité des bâtiments et des infrastructures ouverts au public, soulevant ainsi de multiples interrogations pour leurs propriétaires. Pour y répondre, nous avons rencontré Sarah Weidert et Michel Heckel, tous deux coordinateurs de service au sein de LSC Engineering Group qui accompagne ses clients sur ce sujet.
Que dit la loi sur l’accessibilité entrée en vigueur en 2023 ?
SW : Cette loi impose aux lieux et bâtiments ouverts au public, ainsi qu’à la voirie publique, d’être parfaitement accessibles aux personnes à mobilité réduite, c’est-à-dire présentant une incapacité physique, mentale, intellectuelle ou sensorielle. Les personnes âgées, les femmes enceintes ou celles et ceux accompagnés d’une poussette, par exemple, peuvent également être concernés.
MH : La règlementation vise à abolir les discriminations que peuvent ressentir ces personnes face à des infrastructures non adaptées. Si on procède à un changement de paradigme, on peut en effet se demander si ce n’est pas l’environnement lui-même qui est parfois handicapant. C’est selon cette approche que la loi a été conçue.
SW : Une loi existait déjà depuis 2001, mais n’étaient concernés que les nouvelles constructions et les projets de rénovation importante de lieux ouverts au public appartenant à l’État, aux communes ou encore des établissements publics. Ce qui change aujourd’hui, c’est l’extension du domaine d’application de la loi aux
bâtiments existants et aux lieux privés susceptibles d’accueillir du public.
MH : Les propriétaires de bâtiments qui ne répondent pas aux exigences contenues dans la règlementation ont le devoir d’engager des travaux de mise en conformité avant 2032, respectivement d’obtenir les dérogations nécessaires.
Concrètement, quels sont les aménagements à mettre en place ?
MH : Cela va de la création de places de stationnement dédiées à l’aménagement de rampes d’accès au bâtiment, en passant par l’installation d’ascenseurs ou d’escaliers aux équipements spécifiques, etc. Le texte de loi ainsi que les règlements grand-ducaux disponibles en ligne détaillent les mesures à mettre en œuvre.
Tous les bâtiments privés sont-ils concernés ?
SW : Non, c’est là que la dénomination « ouvert au public » prend tout son sens. Prenons l’exemple d’une boulangerie : son propriétaire doit évidemment se mettre en conformité avec la loi car c’est là qu’il reçoit ses clients. En revanche, son arrière-boutique n’est pas concernée. Il en est de même pour un hall industriel logistique ; celui-ci n’est pas concerné dans la mesure où il n’est pas supposé recevoir un public autre que les salariés y travaillant.
MH : Précisons que la loi s’applique également aux nouveaux bâtiments d’habitation collectifs, c’est-à-dire ceux de minimum cinq unités, dont au moins trois sont dédiées au logement, reparties sur au moins trois étages et connectées par des parties communes.
Qu’en est-il du professionnel exerçant à domicile, comme un médecin ?
MH : C’est un cas particulier qui a été intégré à la loi. Si la personne est propriétaire unique du lieu où elle reçoit ce public, elle doit le mettre en conformité avec la législation. En revanche, si c’est une copropriété, elle doit faire une estimation des coûts pour la mise en conformité et soumettre la proposition d’aménagement au vote de l’assemblée générale. Si la proposition est rejetée, la personne doit transmettre le compte-rendu de l’AG au ministre ayant la politique pour personnes handicapées dans ses attributions.
À quelles contraintes la loi expose-t-elle les propriétaires des bâtiments ?
MH : Il faut bien distinguer ici immeubles existants et constructions neuves. Les exigences sont identiques, mais les problématiques sont moindres pour ces dernières dans la mesure où il suffit aux architectes et ingénieurs d’adapter leurs plans. Pour les bâtiments en cours de construction et autorisés avant l’entrée en vigueur de la loi, il est judicieux de procéder à la mise en conformité durant la phase de chantier, au lieu de devoir faire des modifications une fois le bâtiment achevé.
SW : Pour les bâtiments existants, les contraintes sont évidemment plus fortes puisqu’il faut adapter une infrastructure qui n’a pas forcément été pensée selon les exigences de la loi. La logistique à mettre en œuvre est donc plus complexe et les frais à engager sûrement plus élevés.
Quels sont les recours existants ?
SW : Une dérogation est possible pour certains bâtiments existants, par exemple ceux tombant sous le champ de la loi modifiée du 18 juillet 1983 concernant la conservation et la protection des sites et monuments nationaux et qui font l’objet d’une protection en raison de leur valeur patrimoniale. Mais là encore il s’agit de savoir exactement ce qui est protégé : la façade l’est peut-être, mais l’intérieur du bâtiment ne l’est pas forcément. Enfin, une charge disproportionnée ou une impossibilité technique peut exempter un immeuble à se conformer aux exigences règlementaires. Gardons l’exemple de notre boulanger : s’il doit engager des travaux disproportionnés, c’est-à-dire s’il y a une disproportion entre l’effet discriminatoire lié à la non-conformité d’une part et les coûts associés à la mise en conformité d’autre part, le Conseil consultatif de l’accessibilité nouvellement créé pourra prendre la décision de l’exempter.
LSC, en tant que bureau d’études, est agréé pour délivrer les certificats de conformité
MH : Enfin, dans le cas où notre boulanger est dans l’obligation de se mettre en conformité avec la loi, mais qu’il n’a pas la capacité de le faire, il a la possibilité de proposer des solutions d’effet équivalant. Une solution peut être, par exemple, de livrer ses produits au domicile des personnes qui ne peuvent accéder à sa boutique. Ce sont des mesures compensatoires visant encore une fois à éviter des effets discriminatoires.
À quelles pénalités les contrevenants à cette loi s’exposent-ils ?
MH : Les sanctions sont différentes pour une personne morale ou physique. Dans ce dernier cas, une amende pouvant s’élever de 251 jusqu’à 250.000 euros peut s’appliquer, ainsi qu’une peine de 8 jours à 2 mois de prison. Les personnes morales peuvent, en plus d’une amende, subir une fermeture des lieux.
Existe-t-il des aides financières pour mettre en conformité ses infrastructures ?
SW : Absolument, ces subventions peuvent représenter jusqu’à 50% des coûts à supporter (hors taxes) pour des travaux, études et expertises, plafonnés à 24.000 euros par lieu. Bien que cela puisse paraître limité, surtout pour les grandes entreprises devant entreprendre d’importants travaux, c’est néanmoins un premier pas appréciable.
Face à cette loi, quelles sont les difficultés que rencontrent vos clients ?
MH : La première d’entre elles est avant tout la compréhension de la loi. Nombre de nos clients connaissent son existence, mais ne se sont pas encore penchés sur la façon concrète dont la règlementation les affecte. Notre rôle, en tant qu’ingénieurs-
conseils, est alors de les sensibiliser, de les accompagner, mais aussi de les rassurer dans cette perspective de mise en conformité.
SW : Fréquemment, nos clients ne sont pas conscients de l’étendue des travaux à réaliser. Tout l’enjeu est ensuite de bien définir avec eux l’envergure du projet, de planifier un plan clair et précis. Concrètement : que faut-il rénover ou non ? Avec quelle infrastructure ? Etc.
Justement, comment accompagnez-vous vos clients à cette fin ?
SW : Nous commençons par analyser le bâtiment, les habitudes de circulation en son sein et son utilisation. En effet, il est parfois possible de procéder à une réorganisation pour éviter d’effectuer des travaux. Concrètement, pourquoi ne pas délocaliser les salles de réunion accueillant des clients au rez-de-chaussée, plutôt que d’installer des ascenseurs spécifiques pour mener à ces salles qui sont aujourd’hui situées à l’étage supérieur ? Cela peut sembler évident, mais pour nos clients, qui ne sont pas constamment confrontés à la loi et notamment aux mesures d’aménagement à effet équivalent dont nous parlions plus tôt, cela ne vient pas naturellement à l’esprit.
Et si votre client doit procéder à des travaux ?
MH : Tout commence par une évaluation préalable offrant une vue d’ensemble du projet. À l’échelle d’une commune, c’est une étape d’envergure. Nous procédons alors à un inventaire des infrastructures existantes et identifions celles qui sont visées par la loi. Cette étape est très précise et technique. Il faut bien comprendre que nous parlons ici, par exemple, de la largeur d’un escalier ou de la hauteur resp. du diamètre d’une main courante. Ceci permet ensuite d’établir une enveloppe budgétaire détaillée, une planification à long terme et une offre ciblée aux besoins de nos clients.
SW: Il faut en effet avoir une vision à long terme, notamment sur de possibles extensions d’un immeuble existant, sur l’apparition de nouveaux bâtiments ou tout changement d’affectation. Nous conseillons également nos clients sur la meilleure solution technique à envisager pour mettre en œuvre les travaux nécessaires. L’envergure n’est évidemment pas la même s’il faut implanter une rampe d’accès sur différents étages ou bien remplacer une main courante.
MH : Toute demande d’autorisation de bâtir déposée après le 1er juillet 2023 nécessite de disposer d’un certificat de conformité établi par un contrôleur technique. Chez LSC, en tant que bureau d’études, nous sommes agréés pour délivrer les certificats de conformité. La force d’un groupe comme le nôtre est de disposer d’expertises multiples.
Interagissez-vous avec d’autres acteurs impliqués dans la mise en œuvre de cette loi ?
MH: Nous avons des échanges réguliers avec les ministères et en particulier avec l’ADAPTH que nous remercions chaleureusement pour sa collaboration. Son expertise spécifique est précieuse et productive pour nous permettre d’avancer dans le bon sens.
SW : C’est notre interface de référence, à la fois pour la compréhension de la loi, son interprétation, mais aussi la mise en place technique de solutions adéquates.
Demain, à quels types d’évolutions règlementaires faut-il s’attendre ?
SW : Nous pouvons nous attendre à des actualisations de la loi, à des spécificités qui intégreront les règlements dans le futur, afin de mieux « coller à la réalité ». Je pense par exemple aux bornes pour voitures électriques qui ne sont pas adaptées aux personnes à mobilité réduite.
MH : En conclusion, bien que la législation sur l’accessibilité à tous suscite actuellement de nombreuses interrogations en raison de sa complexité, il est envisageable que des ajustements nécessaires émergent au fil de son déploiement sur le terrain et des retours d’expérience.