Crise du logement : des solutions existent

Les secteurs de l’immobilier et du logement suscitent actuellement des débats passionnés au Luxembourg. Pierre-Jean Forrer, Partner, Government and Public Sector Leader, et David Syenave, Partner, M&A Real Estate chez EY Luxembourg, abordent les problématiques structurelles et conjoncturelles auxquelles le pays doit faire face pour sortir de la crise par le haut. Ils reviennent également sur les enjeux publics et privés, ainsi que sur les réformes nécessaires que la nouvelle coalition doit entreprendre afin de répondre à ces défis.

 

La crise du logement semble inextricablement liée à toute une série de facteurs (économiques, démographiques, sociaux, urbanistiques) et entraîne des conséquences à plusieurs échelles. Comment faut-il l’appréhender selon vous ?

PJF : En prenant du recul et en examinant les efforts réalisés par le Statec pour mieux analyser le secteur immobilier et développer de futurs modèles de croissance, il est évident que les équations à résoudre sont complexes. Celles-ci englobent des questions liées à l’augmentation de la population, à l’utilisation de la terre, aux interactions frontalières et, inévitablement, au logement. Nos politiques en la matière nécessitent une révision en profondeur et des solutions innovantes qu’il est indispensable de mettre en place rapidement.

De plus, l’industrie immobilière luxembourgeoise connaît actuellement une phase de stagnation attribuable au resserrement des conditions de crédit et à la hausse des taux d’intérêt, ce qui représente un double risque pour le secteur. Les promoteurs éprouvent des difficultés à concrétiser leurs projets, tandis que les acheteurs font face à des obstacles pour obtenir un financement.

 

Quelles sont selon vous les pistes de solution les plus sérieuses pour régler le problème durablement ?

DS : Il faut construire plus, plus vite, moins cher et simplifier les démarches. Arrêtons de nous restreindre à des R+4 et encourageons la densification en ajoutant davantage d’étages. En septembre 2022, j’avais émis une proposition de loi, la loi Syenave, similaire à celle en vigueur en Belgique, qui consiste à diminuer la TVA sur les constructions neuves ou sur les démolitions donnant lieu à une reconstruction pour les primo-accédants.

Aujourd’hui, les solutions proposées, à savoir les logements à coût modéré, ciblent les seuls ménages. Les jeunes qui n’ont pas d’enfant n’ont pas la chance de bénéficier de cette aide. Une lacune législative à ce niveau est évidente, d’où l’importance des quatre points clés mentionnés précédemment.

Il faut construire plus, plus vite, moins cher et simplifier les démarches

PJF : D’un point de vue structurel, l’aménagement du territoire ne prévoit pas suffisamment de capacités pour répondre aux besoins croissants, malgré l’actualisation du plan sectoriel logement en juin 2023. Aussi, les tentatives de simplification des aides au logement n’ont pas encore produit les résultats escomptés.

Sur le plan conjoncturel, les conditions du marché, notamment les opportunités de projet, les prix, les taux d’intérêt et la réglementation des financements, jouent un rôle crucial dans cette dynamique. Diverses réformes sont à venir, telles que la mise en place d’un registre du logement pour une meilleure fluidité des occupations, une réforme fiscale et des mesures d’aide au logement.

Il faut libérer les modes de financement public et privé pour les logements sociaux. La loi qui les encadre ne permet pas de développer un partenariat suffisamment poussé entre ces deux secteurs. Au vu de l’état actuel des finances publiques, l’urgence est de mise. Il s’agit de trouver d’autres schémas de financement pour booster le marché. Par ailleurs, certains acteurs privés ne demandent qu’à collaborer avec le secteur public.

 

Justement, et à la suite des élections, quel est le rôle du secteur public, au niveau local et national, pour relever le défi du logement ?

PJF : Il joue un rôle clé dans la résolution de ces défis. L’État et les communes sont soutenus par les conventions de coopération territoriale comme le Plan sectoriel logement. Cependant, le processus de mise en place de ces conventions est souvent long, et il est légitime de se demander si les réponses apportées sont à la hauteur des enjeux, notamment en ce qui concerne les surfaces disponibles, les projets immobiliers et les études préalables. Aujourd’hui, on utilise les périmètres existants pour construire, ce qui ne fait que gonfler la problématique alors que le Luxembourg n’est pas si petit. Il suffit d’identifier les territoires de développement, de construire un peu plus haut et d’oser densifier.

DS : Pour réaliser leurs différents projets, les autorités locales en charge de l’aménagement urbain devraient bénéficier de conseils avisés sur les coûts de construction. C’est précisément ce que propose EY : nous sommes compétents pour évaluer la valeur effective d’un bien immobilier et nous accompagnons nos clients dans cette démarche afin de leur éviter tout surcoût. En examinant le prix de vente, l’immeuble et son coût réel, nous évitons qu’il soit artificiellement surévalué par le promoteur ou le constructeur. Le secteur public doit aussi pouvoir bénéficier de ce type de support.

 

Quels messages souhaiteriez-vous adresser à la nouvelle coalition ?

DS : Tout simplement que la problématique du logement est intimement liée à l’avenir du pays. L’incapacité croissante à offrir un logement aux personnes qui travaillent au Luxembourg conduira inévitablement à sa perte, en espérant qu’il ne soit pas déjà trop tard. Les talents que nous attirons viennent parfois de très loin. Ceux-ci se forment sur notre territoire avant de le quitter pour enrichir d’autres villes européennes, faute de logements disponibles. De l’autre côté de la barrière, des sociétés de développement ou de construction sont au bord de la faillite. Ce cri d’alarme a déjà été lancé en septembre de l’année dernière. Un an plus tard, la situation reste inchangée, marquant un statu quo préoccupant.

PJF : On attend du nouveau gouvernement qu’il apporte des réponses substantielles à ces défis. Cela pourrait se concrétiser par des mesures telles que le développement des codes de la construction pour faciliter et simplifier les démarches administratives, la proposition d’une fiscalité avantageuse et ciblée pour le secteur locatif, l’augmentation des aides à l’accession à la propriété, ainsi que la promotion de concepts de location-achat déjà en vigueur dans les pays voisins. Les sujets liés à la fiscalité des terrains et logements inoccupés, ainsi que les modèles alternatifs de projets, sont également des pistes à explorer. Ces recommandations ont pour objectif de débloquer rapidement la capacité du Luxembourg à construire, tant pour répondre aux besoins actuels que pour anticiper les défis futurs en matière de logement.

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