Profession architecte: formé et formateur

Stéphane Gutfrind, architecte et urbaniste né à Nancy, a étudié au Portugal à la Faculté d’architecture de l’université de Porto (F.A.U.P.), et en France à l’École nationale supérieure d’architecture de Nancy (E.N.S.A.N.) où il est doublement diplômé en 1998, par le gouvernement, puis en 1999 par l’Institut National Polytechnique de Lorraine. Inspiré par le projet de construction européenne, Stéphane Gutfrind a fondé deux structures d’architecture, l’une en 2002 à Mersch, l’Atelier d’Architecture du Centre, l’autre constituée en 2007, dans le Pays Haut meurthe-et-mosellan, DGH Architectes, aujourd’hui établie et effective à Metz. Vice-président du Conseil d’architecture, d’urbanisme, et de l’environnement de Meurthe-et-Moselle (C.A.U.E.), et conseiller de l’Ordre des architectes français en Région Grand-Est, il revient sur la profession d’architecte, sa formation et l’apprentissage du métier.

 

Pouvez-vous revenir sur la constitution de l’Atelier d’Architecture du Centre, son évolution, et le rayonnement de son activité?

Lorsque je m’étais exprimé ici-même sur la dimension sanitaire que revêt la responsabilité de l’architecte dans l’exercice de sa profession, nous avions échangé à ce sujet mais retenons aujourd’hui plus brièvement que le fondement de mon parcours professionnel repose à ses débuts sur la singularité des opportunités qu’offre notre Grande Région. 2002, c’est le lancement de mon activité en tant qu’indépendant. Concomitamment à la création de l’atelier, nous sommes à quelques mois du Conseil européen de Copenhague qui permettra le processus d’intégration des premiers pays de l’Est dans l’Union européenne. Dans le contexte international que l’on connaît, j’ai toujours à cœur d’évoquer ici la construction européenne. Si elle a rendu possible mon parcours de vie et professionnel au Grand-Duché, elle devrait toujours continuer à attiser le champs des possibles. La connaissance des territoires, un lent processus de compréhension des enjeux qui nous lient, nous, citoyens européens et acteurs transfrontaliers, a certainement opéré dans mon parcours, et donc dans ma pratique. C’est aussi l’écho de la construction de soi-même, au gré de rencontres parfois décisives, que ce contexte si singulier à la croisée de nos frontières aura permis de consolider, et parfois de se satisfaire de quelques progrès. Car dans le métier d’architecte, on ne peut se satisfaire que d’avancées, rarement de projections linéaires.

 

Pouvez-vous revenir sur votre formation?

Je suis architecte diplômé par le gouvernement français, à l’École d’architecture de Nancy. Je retiens tout particulièrement de mon parcours de formation l’enseignement que je suis allé chercher sur la côte occidentale de l’Europe. Le programme Erasmus offrait une opportunité d’ouverture inédite. C’était encore les prémices, en tout cas en termes de statistiques, car peu d’étudiants s’exportaient encore. L’étudiant pouvait substituer dans son cursus en cours une année universitaire entière. Une aubaine d’immersion à bien des égards: culturelle, linguistique et bien entendu pédagogique! La leçon portugaise a été marquante, et elle accompagne encore mon travail aujourd’hui, parce qu’elle posait dans son essence la responsabilité impérieuse de l’architecte: celle des proportions, des volumes, de poser des pleins, des vides, de les articuler, en les disposant de sorte d’éloigner le sentiment d’ennui et de tristesse. C’est la solution pour laquelle je milite, que je m’emploie à faire vivre, solution qui ne se soustrait nullement à mes engagements en lien avec la transition écologique. Je les traduis dans l’action. Je les articule sans compromis avec les fondamentaux de l’architecture. Et nul besoin d’un aéropage de gourous pour conscientiser ma pratique, lesquels souvent prêchent davantage plutôt que de faire.

 

L’insertion des architectes diplômés dans la vie professionnelle vous semblent-elle satisfaire les attentes du marché de l’emploi?

On entend souvent que ce n’est pas le cas. C’est un procès inapproprié porté à l’objet même de la formation d’architecte. Sans doute repose-t-il sur un malentendu. L’employeur a légitimement une attente professionnalisante de la formation. C’est a priori l’objet même d’un diplôme pour assurer sa mue vers l’expérience. Dans le cas précis de la formation d’architecte, il convient de rappeler que la plupart des enseignements ont vocation à préparer à la pratique de l’architecture plutôt qu’au métier d’architecte… Dit comme ça, je perçois la confusion… et pourtant nous ne sommes pas dans la nuance. Comment pourrait-on, à l’issue de la formation, faire valoir l’expertise des contours d’un métier aussi distendus, dans ses détours, ses enjeux, tout cela dans le cadre d’un enseignement aussi bordé dans le temps? Ce que l’on peut regretter se niche davantage dans le manque d’efficacité des enseignements.

 

Comment la formation d’architecte et son enseignement sont-ils aujourd’hui constitués?

Parlons encore d’Europe, dans la mesure où ici au Grand-Duché, les étudiants sont diplômés dans l’Union européenne, plus rarement à l’étranger. Je nuance volontairement l’étranger qui se différencie de l’UE. La formation d’architecte nécessite à l’étudiant de mobiliser cinq années d’études. C’est le format européen moyen. En tout cas c’est le schéma tel que calibré par la plupart des facultés d’architecture de la Grande Région. C’est finalement une formation courte au regard de l’enjeu, en tout cas de celui qu’il représente ensuite dans une pratique étendue à la maîtrise d’œuvre. Cela signifie que c’est bien les premiers employeurs qui vont assurer la poursuite de la formation. D’où l’importance de l’efficacité des enseignements. L’enseignement repose certes sur les axes de la pédagogie propres aux instances de tutelle des établissements, mais, dans le prolongement, sur le recrutement des enseignants. N’est-ce pas là finalement la transmission de la connaissance par la personne qui l’insuffle, qui opère parce qu’elle est naturellement incarnée par le pédagogue? Le principe de cooptation dans le recrutement des enseignants largement constaté dans les établissements semble présenter quelques travers pour l’étudiant. C’est un phénomène bien mesurable qui souvent plonge les établissements dans une forme d’inertie. Pallier les insuffisances de la construction des enseignements devrait constituer la priorité de la vision. C’est juste un acte de courage pour lequel il conviendrait de réinterroger la priorité de l’objet de l’enseignement. Sujet et objet, étudiant et enseignant, et comment ne pas laisser le sujet dans l’ignorance de ce qu’il y a au-delà de l’apparence… Des étudiants me confiaient récemment devoir signer au moment de leur inscription dans leur établissement un acte de renoncement à la paternité de leurs travaux d’études. Nous parlons bien d’une école… L’objet même de l’enseignement semble bel et bien s’être déplacé.

 

Quelles sont selon vous les évolutions de la pratique du métier d’architecte?

Du côté de l’architecte, nous pourrions évoquer l’évolution des modes de dévolution des marchés de maîtrise d’œuvre dans lesquels la place de l’architecte s’annonce dépréciée… Parce que sa lucidité dérange, négligerait-on sa nécessaire implication? Du côté de l’architecture, l’avant-garde et le militantisme du siècle passé laissent place à d’autres odes: celles d’une architecture pour laquelle la vertu résiderait dans le silence. De la part de leur pourvoyeur, c’est juste le nihilisme souvent porté par ceux qui en réalité sont les premiers à se fourvoyer dans les travers de l’accès à la commande, loin de tous fondamentaux éthiques et plus largement humanistes. Votre question m’évoque aussi l’action récente menée par Solène Sillière qui est architecte diplômée d’État. À travers la création du podcast Fondations.archi, elle est la voix d’une professionnelle qui interroge le métier d’architecte, son état, et précisément les marqueurs de son évolution. Fondation.archi est un baromètre imprégné du réel que je salue ici car au-delà d’être inédit dans sa forme, il ouvre une voie sincère sur le questionnement de la place de l’architecte dans la société. Trouver sa place et surtout être à sa place s’annonce toujours être le combat des braves…

 

Une crise immobilière sans précédent impacte le domaine d’activité de la construction. Comment la percevez-vous ?

Le dommage est avant tout social. Nous ne pouvons que la déplorer. Mais peut-être cette crise est-elle le frein nécessaire à une dérive n’ayant pas beaucoup servi la qualité architecturale ces dernières années… en tout cas de manière massive alors que le développement du cadre bâti de l’habitat n’a cessé de croître sur un modèle obsolète ignorant la matière première qui devrait former le lit de l’architecture: c’est-à dire l’urbanisme et la sociologie, et pas seulement urbaine.

 

Pour écouter le podcast de Stéphane Gutfrind avec Solène Sillière : https://fondations.archi/saison-1-episode-3–stphane-gutfrind–le-port-du-titre-darchitecte-va-toujours-nous-ramener-la-question-de-la-responsabilit

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