L’économie luxembourgeoise décryptée

Si l’économie mondiale traverse une zone de fortes turbulences, le Luxembourg mène plutôt bien sa barque. Pour preuve: l’agence de notation DBRS Morningstar a confirmé le «AAA» du Luxembourg. Comment le pays a su obtenir une note si remarquable dans une conjoncture largement défavorable? D’autant plus qu’il connaît lui-aussi des crises, notamment en matière de logement. La politique menée par le gouvernement mise beaucoup sur l’écosystèmes de startups. Serait-ce la solution? Franz Fayot, ministre de l’Économie, répond à ces questions et évoque sa vision de l’avenir économique du Grand-Duché.

 

La politique gouvernementale économique accorde une grande importance au développement des startups. Pouvez-vous expliquer le rôle que celles-ci ont à jouer dans l’économie luxembourgeoise?

Le gouvernement soutient l’évolution de l’écosystème national des startups depuis dix ans. Nous avons aujourd’hui près de 550 jeunes entreprises innovantes au Luxembourg qui sont actives pour la majeure partie dans les domaines prioritaires de la diversification économique du pays, tels que les cleantechs, les technologies de la santé, les fintechs, l’espace, l’industrie 4.0 et la cybersécurité. Ces
startups jouent un rôle moteur dans le développement de notre économie qui se construit sur l’innovation et qui s’aligne sur l’agenda et les objectifs européens de double transition verte et numérique.

Comme c’est le cas pour toute startup en phase de croissance, notre écosystème se trouve désormais à un moment clé de son évolution. L’enjeu est désormais que l’écosystème atteigne son prochain stade de maturité, en favorisant la transition de ces jeunes entreprises innovantes vers des «scale-up» qui disposent d’un modèle d’affaire déjà éprouvé. Il y a quelques semaines, j’ai présenté une feuille de route avec de nouvelles actions pour développer l’écosystème startup au Luxembourg en ce sens.

 

Dans le cadre du projet ECO2050, trois scénarios d’avenir ont été élaborés pour l’économie luxembourgeoise à l’horizon 2050. Selon vous, lequel des trois est le plus plausible et de quelle manière faudrait-il s’y adapter?

Les trois scénarios élaborés dans le cadre des travaux réalisés par Luxembourg Stratégie décrivent des futurs possibles pour le développement économique à l’horizon 2050. Ils sont pensés comme des hypothèses qui deviennent réalité sans que nous les contrôlions. Il s’agit de trois versions plausibles, distinctes et cohérentes qui ont été explorées et que l’on a tenté de quantifier.

Bien que nous disposions de fondements solides, nous continuons à soutenir les entreprises pour préparer leur avenir

Plutôt que de représenter la réalité, ces cas de figure décrivent divers états du monde qui pourraient s’imposer à l’économie du Luxembourg et à la Grande-Région à l’avenir. La réalité se trouvera certainement au croisement de ces trois scénarios qui ne représentent pas des avenirs souhaitables ou souhaités, mais ils sont destinés à servir de base pour le développement d’une vision stratégique du futur économique. Cette vision, qui sera présentée en septembre, sera, en quelque sorte, la réponse proposée pour faire face aux différentes situations. Nous tentons de répondre aux questions: «comment tirer avantage des opportunités» et «comment se prémunir des vulnérabilités et des obstacles qui se dessinent dans ces scénarios».

 

L’agence de notation DBRS Morningstar a confirmé le «AAA» du Luxembourg. Elle considère que, malgré la détérioration de la situation économique mondiale liée aux pressions inflationnistes actuelles, les fondements de l’économie luxembourgeoise sont restés solides. Par quels moyens ce résultat encourageant a-t-il été obtenu?

L’économie luxembourgeoise dispose assurément de fondements solides. Depuis que j’ai pris mes fonctions en février 2020, les crises se sont succédées avec tout d’abord la pandémie, qui, au-delà de son bilan humain tragique, a entraîné d’importants dérèglements dans les chaînes d’approvisionnement; puis l’éclatement de la guerre en Ukraine et son impact sur le marché de l’énergie a entraîné une inflation importante à travers le monde qui elle-même a provoqué une hausse des taux d’intérêt.

Pour maintenir l’économie à flot pendant la pandémie, le gouvernement a soutenu les entreprises et sauvé des emplois grâce à des programmes d’aide sans précédent à hauteur de 1,8 milliard d’euros. Grâce à ces aides et à la stabilité de notre économie, notre pays a fait partie de ceux en Europe à se rétablir le plus rapidement après le confinement. D’ailleurs, même en 2020, près de 3.000 entreprises ont été créées au Luxembourg, tandis que le nombre de faillites et de cessations d’entreprises est resté constant. Cela est dû notamment à la structure de notre économie, orientée principalement vers les services.

Le Luxembourg a su se réinventer à plusieurs reprises dans le courant de son histoire. Nous sommes en bonne voie pour y parvenir cette fois encore

Plus récemment, dans le cadre du «Solidaritéitspak 2.0», une série de mesures a été mise en place pour soutenir les entreprises face à la crise de l’énergie et à l’inflation. Résultat: le Luxembourg est actuellement le pays avec le taux d’inflation annuel le plus faible.

Nous continuons à créer un cadre propice pour le développement des affaires au Luxembourg et à rendre notre économie plus résiliente. Nous allons notamment adapter le régime d’aides aux investissements et à la recherche et développement, en ciblant en particulier le soutien financier pour des projets liés à la transition verte et digitale.

Enfin, mi-juillet, nous avons aussi présenté un projet de loi qui modernisera en profondeur la bonification d’impôt dont les entreprises peuvent bénéficier avec des taux très avantageux pour des investissements verts et digitaux. Car, bien que nous disposions de fondements solides, nous continuons à soutenir les entreprises pour préparer leur avenir.

 

Quelle vision avez-vous du futur du secteur immobilier au Luxembourg, particulièrement touché par les multiples crises? De quelle manière peut-il ou doit-il être soutenu?

Il ne faut pas confondre crise du logement et crise des secteurs de l’immobilier et de la construction. D’un côté, en raison de la remontée des taux d’intérêt et des prix très élevés, les jeunes n’ont plus les moyens de se loger au Luxembourg. L’enquête sectorielle de l’Autorité de la concurrence portant sur le secteur de l’immobilier a souligné de nombreuses incohérences tout au long de la chaîne de valeur de création de logements. Il faut résoudre ces incohérences.

De l’autre côté, les entreprises du secteur de la construction et les acteurs du secteur immobilier sont très inquiets de l’évolution du marché dont les indicateurs sont en baisse. Avec mes collègues du gouvernement, nous avons présenté, dans ce contexte, un plan de 150 millions d’euros comprenant des mesures concrètes pour à la fois aider le secteur à survivre et permettre aux ménages d’accéder au logement. Ces mesures vont du maintien des investissements publics à un niveau élevé, à l’acquisition de projets de logements en vente en état d’achèvement par l’État, en passant par l’accélération de projets pilotes visant à simplifier la mise en œuvre d’initiatives de décarbonation et d’assainissement énergétique dans les logements. Le plan prévoit aussi de renforcer certaines aides financières pour des investissements dans des infrastructures, pour les entreprises, pour les communes ainsi que pour les citoyens qui souhaitent accéder au logement. De plus, le plan prévoit d’ouvrir les marchés publics à davantage de PME actives sur le marché privé de la construction, tout en renforçant les compétences techniques au sein du secteur.

 

De manière générale, quel point de vue portez-vous sur l’économie du Luxembourg? Êtes-vous confiant en son avenir? Quelles sont selon vous les futurs défis qu’elle devra relever?

Nous nous trouvons à un tournant. Vu les crises successives que nous rencontrons, il est de plus en plus évident que le modèle économique dominant au niveau global n’est pas soutenable. Intensif en utilisation de ressources et fortement polluant, il est construit sur l’utilisation d’énergies fossiles bon marché, avec des modes de production et de consommation linéaires. L’immense défi auquel nous devons faire face est de transiter vers une économie plus résiliente et durable, compétitive et inclusive, où la digitalisation et l’économie circulaire sont largement implémentées. Un changement de mentalité est en cours et inéluctable aussi bien du côté des consommateurs que des producteurs. En tant que ministre de l’Économie, ma mission est de mettre en place la meilleure politique économique possible pour relever ces défis au mieux. Le Luxembourg a su se réinventer à plusieurs reprises dans le courant de son histoire. Nous sommes en bonne voie pour y parvenir cette fois encore.

 

Propos recueillis le 24 juillet 2023 par Pauline Paquet
Photo: ©Luxinnovation/Sophie Margue

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