L’accroissement des compétences digitales lors du confinement du printemps 2020

Cet article rédigé par Laetitia Hauret, Ludivine Martin et Nicolas Poussing, chercheurs au Luxembourg Institute of Socio-Economic Research (LISER), s’inscrit dans le cadre des études menées par le LISER sur la digitalisation du marché du travail et ses conséquences sur les employés. En s’appuyant sur les résultats obtenus d’un projet financé par le Fonds National de la Recherche Luxembourg (DIGITUP), il s’intéresse à l’évolution des compétences digitales des travailleurs pendant le confinement du printemps 2020[1].

Nicolas Poussing
Ludivine Martin
Laetitia Hauret

 

 

 

 

 

 

Alors que les compétences digitales sont de plus en plus recherchées par les entreprises, de nombreux travailleurs occupaient, avant la pandémie, des postes pour lesquels leurs compétences ne coïncidaient pas avec les besoins de leur emploi[2]. L’usage accru des outils digitaux, engendré par la généralisation du télétravail pendant le confinement, a-t-il permis de changer la situation en améliorant les compétences digitales des travailleurs? C’est ce que nous avons cherché à savoir. Pour cela, nous avons mobilisé les données de l’enquête «Survey on the Covid-19 Socio-Economic Impacts in Luxembourg (SEI)»[3], menée auprès de frontaliers et résidents qui ont télétravaillé pendant le confinement du printemps 2020.

 

Des différences selon le genre, l’âge et le niveau de diplôme apparaissent

Notre étude montre que 31% des personnes en télétravail déclarent avoir vu leurs compétences digitales augmenter pendant le confinement. Selon nos analyses, cet accroissement des compétences digitales n’a pas touché de la même manière tous les groupes de télétravailleurs. Ainsi, les femmes, les télétravailleurs de 50 ans et plus et ceux ayant un niveau d’éducation élevé (au minimum un diplôme de Master) ont vu davantage leurs compétences digitales augmenter que les autres.

 

Les formations et l’usage des outils digitaux ont permis d’accroître les compétences digitales des télétravailleurs mais des différences apparaissent selon le groupe de télétravailleurs

Notre analyse montre que le fait d’avoir suivi une ou plusieurs formation(s), quels que soient le sujet et la durée, et d’avoir eu recours plus intensément à des outils digitaux déjà utilisés avant le confinement est lié positivement à l’accroissement des compétences digitales. La découverte de nouveaux outils digitaux a également été bénéfique. Cependant, au-delà d’un certain nombre d’outils découverts, ce bénéfice se dissipe.

Ces résultats globaux cachent, toutefois, des différences selon le groupe sociodémographique étudié (voir tableau). Ainsi, si le fait d’avoir suivi une formation a permis d’accroître les compétences digitales des hommes, des femmes, des moins de 50 ans et des moins diplômés, cela n’a pas été le cas pour les télétravailleurs âgés de 50 ans et plus et les plus diplômés. Pour les seniors, il est généralement estimé que la capacité d’apprentissage diminue avec l’âge ce qui peut expliquer pourquoi ils n’ont pas tiré pleinement profit des formations. Le recours important au cours en ligne (Massive Open Online Course-MOOC) par les travailleurs hautement qualifiés avant le confinement peut probablement expliquer pourquoi les formations pendant le confinement n’ont pas eu d’effet supplémentaire sur l’accroissement de leurs compétences digitales. La découverte d’outils digitaux lors du confinement a été bénéfique à tous les sous-groupes à l’exception des 50 ans et plus. Pour les femmes, la découverte des outils digitaux a permis d’accroître leurs compétences digitales. En revanche, pour les autres sous-groupes, nous observons que l’acquisition de compétences digitales augmente jusqu’à un certain nombre d’outils découverts puis elle diminue (relation en U-inversé).

 

Lien entre les facteurs facilitateurs et l’accroissement des compétences digitales par groupe sociodémographique

Être un homme Être une femme Être âgé de moins de 50 ans Être âgé de 50 ans ou plus Niveau de diplôme inférieur au Master Niveau de diplôme supérieur ou égal au Master
S’être formé + + + ns + ns
Nb. d’outils digitaux

découverts

Ո + Ո ns Ո Ո
Nb. d’outils digitaux plus fréquemment utilisés Ո + + ns Ո + si 3 outils ou plus

Source: Enquête SEI, module «home office», LISER et Université du Luxembourg, 2020, calculs: LISER.

Champ: télétravailleurs résidents ou frontaliers. Guide de lecture: Un signe positif montre une relation positive, après prise en compte des caractéristiques des télétravailleurs et de leur environnement de travail, entre le facteur facilitateur étudié et la probabilité d’avoir vu ses compétences digitales croître. Ո indique une relation non linéaire. ns indique une absence de relation.

 

Enseignements pour un environnement de travail hybride

Avant 2020, le manque de temps apparaissait comme l’un des principaux obstacles à l’amélioration des compétences digitales des résidents du Luxembourg[4]. Lors du confinement, la nécessité d’utiliser les outils digitaux pour poursuivre ses activités a aisément participé à lever ce frein. Avec la pandémie de Covid-19 et le recours complet au télétravail, le fait que d’autres employés adoptent également ces outils et que ceux-ci peuvent améliorer l’expérience du télétravail ont facilité l’utilisation des outils digitaux[5].

Même avec le large retour des employés au bureau, le télétravail et le recours accru aux outils digitaux ne sont pas amenés à disparaitre[6]. Dans le contexte de travail hybride, qui mêle travail en distanciel et en présentiel, il paraît nécessaire de veiller à ce que tous les salariés puissent utiliser efficacement les outils digitaux. Les entreprises doivent ainsi être des acteurs essentiels de l’inclusion numérique via les formations qu’elles offrent à leurs salariés.

_____________________

[1] Projet «Digital Up-skilling in a telework environment» (COVID-19/2020-1/14736055/DIGITUP/Martin). Un article de recherche sera prochainement disponible sur le site web du LISER.

[2] Hauret L. et Marguerit D. 2020. L’inadéquation des compétences au Luxembourg: un employé sur deux concerné. Les rapports du LISER.

[3] Données issues de la première vague de l’enquête «Survey on the COVID-19 Socio-Economic Impacts in Luxembourg (SEI)», module «Télétravail», conduit par le LISER et Université du Luxembourg. Pour de plus amples informations, voir Dijst M. (ed.) 2021. SEI Socio-Economic Impacts of COVID-19: Collecting the Data. LISER Report.

[4] Eurobaromètre 92.4, décembre 2019.

[5]  Martin L., Fuhrer C. and Hauret L. 2021. Digitally transformed home office impacts on job satisfaction, job stress and job productivity. COVID-19 findings, Plos One 22(3).

[6] Alipour J.V., Langer C. and O’Kane L. 2021. «Is working from home here to stay? A look at 35 Million job ads.» CESifo Forum 22(6): 41–46.

Lire sur le même sujet: