Bus, train, vélo: nouvel arsenal de guerre?

«Fight Putin, ride a bike» («Combattez Poutine, faites du vélo»). Ce slogan devenu viral sur les réseaux sociaux après les premiers coups de feu en Ukraine joue sur la proximité entre écologie politique et pacifisme, à moins qu’il ne reflète plutôt l’émergence d’une écologie de guerre, comme le suggère le philosophe Pierre Charbonnier. Si le premier courant a des accointances avec le second, la conjoncture actuelle lui confère une tendance plus belliqueuse, consentie parce qu’elle se nourrit de la doctrine de la guerre juste: combattre le régime de Vladimir Poutine à coup de sanctions économiques et de sobriété énergétique apparaît justifiable… voire indispensable! En effet, le nerf de la guerre, aujourd’hui, c’est l’énergie. Non seulement elle soutient les manœuvres militaires, mais elle entretient la dépendance européenne aux combustibles fossiles russes. Brandir l’arme de la sobriété permet tout à la fois de sanctionner l’offenseur de l’Ukraine, de se défaire de cette dépendance néfaste d’un point de vue géostratégique et d’accélérer la transition énergétique. Ralliant différents intérêts, cette écologie de guerre naissante remporte par conséquent une large adhésion.

Mais gare au retour de flamme. Six mois après le début des hostilités, enfourcher son vélo plutôt que prendre le volant n’est plus un acte engagé, mais une nécessité économique pour ceux que les sanctions ont fait basculer dans la précarité. Il se pourrait que la bataille énergétique inflige autant de blessures à l’Europe elle-même qu’à sa cible. En s’y livrant, elle s’est exposée aux représailles d’un de ses fournisseurs principaux et a consenti à un sacrifice économique qui, au fil des jours, pèse de plus en plus lourd sur les ménages. En effet, sur le champ de bataille de la sobriété, monsieur et madame Tout-le-monde se retrouvent au front.

Afin de soulager leurs citoyens, certains États ont pris des mesures pour réduire la part de la mobilité dans le budget des ménages et préserver ce qu’il reste de leur pouvoir d’achat. Le principe du «ticket climat» a désormais le vent en poupe: inspirée par sa voisine autrichienne, l’Allemagne a économisé 1,8 million de tonnes de CO2 sur les trois derniers mois grâce à un billet mensuel à prix mini (9 euros) permettant d’emprunter tous les transports en commun en illimité. Pour contrer l’inflation, l’Espagne vient de leur emboîter le pas: entre le 1er septembre et le 31 décembre 2022, elle rendra certains tickets gratuits. Des mesures qui permettent à ces États d’épauler leurs citoyens à plus d’un titre: en soulageant leur portefeuille d’un côté et en leur ôtant une part de la trop lourde responsabilité qui pèse sur leurs épaules en matière de transition écologique de l’autre. En effet, lorsqu’il est question de mobilité durable, la responsabilité de la réduction des émissions est largement et insidieusement transférée de ceux qui ont un réel pouvoir à des individus renvoyés à des alternatives inadaptées à la plupart d’entre eux. Comme le martèlent les scientifiques à qui veut l’entendre, atteindre l’idéal de mobilité verte – pas celui vendu par l’industrie automobile, mais celui qui respecte les objectifs de réduction auxquels nous n’avons pas d’autre choix que de nous tenir – nécessite une réorganisation profonde voire douloureuse de nos espaces et de nos modes de vie; responsabilité qui n’est plus individuelle mais politique. Même au Luxembourg, qui n’a pourtant rien à apprendre du «ticket climat» et où les avancées facilitant l’émergence d’une mobilité verte sont réelles, certains projets, comme l’extension de l’autoroute A3 ou le développement de nouveaux quartiers dépendants à l’automobile, révèlent que le chemin est encore long.

Aussi cruel que cela puisse paraître, la guerre qui oppose la Russie et l’Ukraine pourra peut-être, selon certains observateurs, mobiliser des sphères d’influence restées sourdes à la question environnementale. Fallait-il une guerre pour assister au réveil de certains? Il est tellement regrettable que les seuls arguments des écologistes n’aient pas suffi!

 

Par Adeline Jacob

 

Sources:
Pierre Charbonnier, «La naissance de l’écologie de guerre», https://legrandcontinent.eu/fr/2022/03/18/la-naissance-de-lecologie-de-guerre/.
Cyrille Médard de Chardon, Camille Perchoux and Veronique Van Acker (LISER), «Green Mobility is a policy choice», Lëtzebuerger Gemengen, n°251, septembre 2022, p. 18-19.

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