Administrations et administrés: pourquoi maintenir le dialogue?

Par deux fois en moins de deux semaines, la Cour administrative a constaté une certaine déshumanisation des relations entre les administrations luxembourgeoises et leurs administrés; état de fait qui peut être imputé à la transition numérique – encore renforcée ces deux dernières années par la pandémie – et qui l’a amenée à insister sur le respect rigoureux des dispositions de la procédure administrative non contentieuse (PANC). Gilles Dauphin et Martial Barbian, Counsels dans la pratique Administrative Law, Property, Construction & Environment chez Arendt & Medernach, décryptent la jurisprudence récente en la matière, sur base d’un arrêt de la Cour administrative du 3 mai 2022 (n° 46817C du rôle) et d’un arrêt du 12 mai 2022 (n° 46929C du rôle), et attirent l’attention des administrations relevant de l’État et des communes sur l’importance du respect de cette procédure.

 

De la déshumanisation des rapports entre administrations et administrés

La procédure administrative non contentieuse et les relations entre l’administration et l’administré en la matière sont réglées depuis la fin des années 1970 par les dispositions de la loi du 1er décembre 1978 réglant la procédure administrative non contentieuse et de son règlement grand-ducal d’exécution du 8 juin 1979. Elles garantissent les droits des administrés et instaurent un principe d’équilibre dans leurs relations avec les administrations. Elles s’appliquent à toutes les décisions administratives individuelles ne faisant pas l’objet d’une procédure spéciale présentant au moins des garanties équivalentes pour l’administré. «L’entrée en vigueur de ces dispositions a été considérée comme une révolution à l’époque, dans la mesure où elle a bouleversé les habitudes séculaires de l’administration, la faisant basculer de la «puissance publique» vers le «service public»», souligne Gilles Dauphin.

Dans l’arrêt précité du 12 mai 2022 relatif à un recours en matière de permis de construire, la Cour administrative note qu’une «tendance à l’anonymisation, à une certaine déshumanisation et à des pratiques administratives préférant de statuer ex cathedra, c’est-à-dire à partir de son bureau sans consultation préalable des administrés intéressés, a pris tendance à se propager de plus en plus». C’est pourquoi elle a jugé opportun de rappeler «le nécessaire respect des garanties des droits de l’administré sur base» des dispositions légales et réglementaires énoncées ci-dessus.

Dans les deux litiges en question, l’un concernant un permis de construire et l’autre des amendes administratives, la Cour administrative a ainsi mis le doigt sur la distance qui a pu dans la pratique s’instaurer, au gré des évolutions technologiques, entre l’administration et l’administré alors que la PANC vise précisément à aménager la participation de ce dernier à la prise de décision administrative. La Cour administrative réaffirme ainsi l’importance du respect de ces garanties procédurales dans un État de droit.

La PANC accorde des garanties procédurales aux administrés et son respect permet de prémunir l’administration contre certains recours contentieux

Rappelons que l’article 5 du règlement grand-ducal d’exécution du 8 juin 1979 permet, grâce à une publicité donnée préalablement à la prise d’une décision administrative, à une tierce personne susceptible d’être concernée par celle-ci, de participer au processus décisionnel en faisant valoir ses observations avant toute prise de décision. L’article 9 de ce même règlement grand-ducal accorde pour sa part la possibilité à un administré, qui serait concerné par une prise de décision en dehors de toute initiative de sa part, de faire valoir ses observations au préalable ainsi que, s’il le demande, d’être entendu en personne par l’administration se proposant de prendre ladite décision. Dans le cadre de l’arrêt précité du 3 mai 2022, la Cour administrative a annulé des décisions ayant infligé des amendes administratives, au motif que l’administration concernée avait omis de spécifier à l’administré qu’il avait la possibilité de demander d’être entendu en personne préalablement à la prise de ces décisions. Par cet arrêt, «elle affirme la nécessité d’une application stricte des dispositions de cet article», indique Martial Barbian.

«Ainsi, la Cour met véritablement l’accent sur le dialogue qui doit pouvoir s’instaurer entre les parties, sur le contact humain qui ne saurait être remplacé par de simples échanges d’e-mails. Il est important que les administrations, communales ou étatiques, aient conscience que la Cour administrative apprécie avec rigueur l’application de toutes les dispositions de la PANC, et des articles 5 et 9 en particulier», estime Gilles Dauphin.

 

De l’intérêt de respecter la loi pour les deux parties

Au regard des enseignements de ces arrêts, il semble utile que les administrations revoient leurs procédures internes. «La gestion des demandes et le processus parcouru par celles-ci mériteraient d’être revus et adaptés si nécessaire. De même, les administrations devraient s’assurer que leurs courriers types mentionnent avec précision les droits des administrés», conseille Gilles Dauphin. Au-delà de remplir ainsi leurs obligations légales, les administrations œuvrent aussi dans le sens d’une certaine acceptation de leurs décisions par les administrés concernés: «Une décision administrative bien comprise par l’administré et à laquelle il a pu participer a davantage de chances d’être acceptée. C’est pourquoi la PANC ne doit pas seulement être considérée comme un catalogue de règles et de droits accordés à l’administré; les mécanismes de dialogue qu’elle prévoit doivent être envisagés comme permettant à l’administration de prendre ses décisions en connaissance de cause, après que chaque personne intéressée par celles-ci ait pu faire valoir ses objections et observations à un stade préalable. Elle offre ainsi une certaine protection à l’administration en ce sens qu’elle la prémunit contre certains recours contentieux qui pourraient être intentés en cas d’incompréhension des administrés», précise Martial Barbian.

Étant dans l’intérêt tant de l’administré que de l’administration, ces textes de la fin des années 1970 «excellent par un libellé général et impersonnel qui, au fil des décennies, n’a point perdu de son actualité» note la Cour administrative.

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