Citoyenne du monde
«Il faut toujours être honnête et considérer les personnes comme nous souhaiterions être considérés nous-mêmes». Et si c’était cela l’objectif premier de la politique? Cette déclaration de Yuriko Backes prend tout son sens au regard de sa carrière qui l’a menée du pays du soleil levant jusqu’au ministère des Finances. Sa fibre pour les relations internationales est née à des milliers de kilomètres de la «Gëlle Fra». Née au Japon, Yuriko Backes puise son énergie et ses convictions dans une enfance bercée par la culture nippone, l’ouverture d’esprit, la diversité et un attachement très fort pour le Luxembourg.
Un rôle d’ambassadrice… malgré elle
L’association de son nom et de son prénom étonne parfois. Ensemble, ils résument à eux seuls les origines et l’ouverture d’esprit et culturelle de Yuriko Backes. «Mes parents sont Luxembourgeois, mais je suis née à Kobe, au Japon. C’est pourquoi ils ont décidé de me donner un prénom japonais. J’ai ensuite déménagé en Allemagne, j’y suis restée sept ans en raison du travail de mon père, avant de retourner à Kobe». C’est au pays du soleil levant que l’actuelle ministre des Finances passe la majeure partie de son enfance et de son adolescence. C’est aussi dans ce pays et à cet âge que s’est révélé un goût prononcé, toutes proportions gardées, pour la diplomatie et les relations internationales. «Que ce soit à l’école ou dans la vie de tous les jours, j’ai toujours parlé de mon pays, le Luxembourg. En quelque sorte, j’étais une porte-parole et une mini-ambassadrice du Grand-Duché», sourit-elle. En grandissant au Japon, en étudiant au sein d’écoles internationales et en arborant un t-shirt à l’effigie du Grand-Duché, l’enfant qu’elle était se trouve très vite en contact avec une grande diversité de nationalités, de langues et de cultures. «J’adore le Japon, je parle la langue dans le cadre d’un usage quotidien. J’ai également beaucoup aimé le contexte multiculturel dans lequel j’ai étudié. La tolérance s’acquiert par l’appréciation d’autres cultures. Le monde a besoin de cette diversité et, personnellement, l’espace et le contexte dans lesquels j’ai grandi m’ont permis de forger mes convictions d’aujourd’hui mais aussi ma manière de voir et concevoir les choses au quotidien», explique-t-elle.
Une envie: devenir interprète
Cette curiosité pour le monde qui l’entoure lui donne envie, très tôt, de se lancer dans une carrière d’interprète. «De par mon vécu, je voulais faciliter la communication et les interactions entre les personnes d’horizons différents. Cette idée m’est restée un temps en tête, mais j’ai vite évolué car mon rêve était finalement d’étudier à la London School of Economics and Political Science et de devenir diplomate». Après avoir obtenu son Bachelor en 1992, Yuriko Backes poursuit ses études universitaires à la School of Oriental and African Studies, toujours dans la capitale anglaise, et sort diplômée d’un master en études japonaises l’année suivante. La native de Kobe obtient un deuxième master en études européennes politiques et administratives du Collège d’Europe à Bruges en 1994.
J’étais une porte-parole et une mini-ambassadrice du Grand-Duché
Yuriko Backes débute sa carrière professionnelle la même année, à 24 ans seulement, en tant que chargée de mission au ministère luxembourgeois des Affaires étrangères. Cette première activité confirme sa passion et son attrait pour la fonction publique et la diplomatie. «J’ai occupé plusieurs postes, dont un à la représentation permanente du Luxembourg auprès des Nations unies à New-York, un autre auprès de l’Union de l’Europe occidentale à Bruxelles. Plus tard, j’étais en poste à la Représentation auprès de l’Union européenne à Bruxelles et à l’ambassade du Luxembourg à Tokyo. On m’a ensuite rappelée dans mon pays pour devenir directrice adjointe à la direction des relations économiques internationales et des affaires européennes», précise-t-elle.
Une vie de famille au cœur du monde diplomatique
Dans ce cadre, elle travaille aux côtés du Premier ministre de l’époque, Jean-Claude Juncker. Nous sommes en 2010 et ce dernier lui propose alors de devenir sa prochaine conseillère diplomatique. «C’était un moment spécial et surtout un grand honneur. Je ne m’y attendais pas du tout. J’ai des enfants et je me demandais si ce travail pouvait être compatible avec une vie de famille. J’en ai longuement discuté avec mes proches. Mon mari m’a soutenue et même encouragée à accepter la proposition de Jean-Claude Juncker», explique Yuriko Backes. En 2013, Xavier Bettel devient Premier ministre et souhaite travailler dans la continuité. «C’est avec grand plaisir que j’ai accepté d’être sa conseillère à ses débuts en tant que Premier ministre. J’ai passé six années à ce poste et je ne regrette en rien cette expérience, même si je n’ai pas vu mes enfants aussi souvent que je l’aurais souhaité. Ils ont surtout connu une mère qui aime son travail et qui se donne à 100% dans ses activités au quotidien. Néanmoins, j’ai tout fait pour ne jamais manquer un match de football de mes enfants par exemple», avoue-t-elle le sourire aux lèvres.
En 2016, elle accepte un nouveau défi et devient Représentante de la Commission européenne au Luxembourg. «Je suis d’avis qu’il ne faut pas s’éterniser dans un job mais accepter de nouveaux challenges. Je n’ai pas cherché, on est venu vers moi pour relever ce défi. En tant qu’Européenne convaincue, j’ai toujours souhaité agir en faveur de l’Europe, continuer à la bâtir, à l’améliorer, à la rendre plus accessible et plus proche des citoyens».
Une première femme à trois postes différents
Yuriko Backes est ensuite approchée pour devenir Maréchale de la Cour en 2020. «J’ai pris la fonction après la publication du rapport Waringo. Je n’étais pas impliquée dans sa rédaction. Mon objectif était de continuer à travailler pour développer une monarchie constitutionnelle luxembourgeoise moderne et irréprochable. Je suis convaincue que ce système convient à notre pays». Un an et demi plus tard, en janvier 2022, Yuriko Backes apprend que Pierre Gramegna, ministre des Finances, quitte ses fonctions. «On m’a contactée pour prendre la relève alors que je n’étais pas forcément prédestinée à cette position. J’ai finalement accepté ce challenge complexe, qui l’est devenu encore plus vu la panoplie de dossiers budgétaires et financiers sur lesquels nous travaillons à l’heure où la conjoncture internationale est très tendue», révèle-t-elle. La guerre en Europe, l’inflation qui ne cesse de progresser, la décroissance sont autant de paramètres à prendre en compte alors qu’«il est devenu plus que nécessaire de soutenir les ménages et les entreprises qui souffrent». La ministre des Finances reste optimiste malgré les multiples crises auxquelles le monde est confronté. Dans l’Histoire, les crises, qu’elles soient économiques, pandémiques ou migratoires, ont toujours existé. «Le Mécanisme Européen de Stabilité a par exemple été instauré après la dernière crise financière justement pour préserver la stabilité financière de la zone euro. De la crise de 2008, nous avons aussi appris qu’il ne faut pas seulement miser sur l’austérité, mais effectuer les bons investissements, comme NextGenerationEU par exemple. Ces 800 milliards d’euros soutiennent les réformes dans les États au niveau des transitions vertes et digitales».
Mes enfants ont surtout vu une mère qui aime son travail et qui se donne à 100% dans ses activités au quotidien
Yuriko Backes est la première femme à occuper ces trois derniers postes. Son expérience à l’étranger en tant que diplomate l’aide à être à l’écoute, à analyser, à mieux décider et à mieux communiquer. «J’ai été bien accueillie par les autres ministres des Finances et par les collaborateurs au sein de mon propre ministère. Aujourd’hui, même si la parité n’est pas encore atteinte, des femmes se trouvent de plus en plus à la tête de ministères ou d’institutions en Europe. Je ne vois pas cela comme un désavantage, bien au contraire», explique-t-elle.
«Travailler dans le présent»
Pour répondre à tous les défis du quotidien Yuriko Backes «travaille dans le présent, mais toujours avec une vision de l’intérêt du pays à long terme. Je n’hésite pas non plus à communiquer sur les réseaux sociaux à propos des nombreuses activités qui remplissent mes journées. Une communication honnête et transparente est très importante à mes yeux lorsque l’on occupe de telles fonctions. À noter aussi qu’un nouveau code de déontologie, qui est à respecter scrupuleusement, est entré en vigueur au Luxembourg en mars dernier».
Selon elle, le respect et l’honnêteté sont primordiaux, tant dans la sphère privée que professionnelle. «Nous vivons dans un monde où tout est constamment critiqué. L’aspect négatif sera forcément mis en évidence alors que les points positifs – qui peuvent être plus nombreux – seront oubliés. La situation n’est pas facile mais le gouvernement a pris beaucoup d’initiatives ces dernières années. Nous soutenons ceux qui en ont le plus besoin. Nous connaissons les craintes et les problèmes de nos citoyens. Être à l’écoute et faire bouger les choses dans la bonne direction fait partie de la «job description» d’un Homme politique… ou plutôt d’une femme ou d’un homme politique», corrige Yuriko Backes.
L’ancienne diplomate ne compte pas ses heures de travail, mais alors, que fait-elle durant son temps libre? «Je dors!», plaisante-t-elle. «Plus sérieusement, lorsque j’en ai l’occasion, je fais du yoga et du pilate et je joue la guitare. J’adore cuisiner car cela diminue mon stress. J’aime également faire du vélo en famille, voyager et lire un bon livre sur une plage. C’est dans ces moments-là que j’arrive vraiment à déconnecter!».
Par Pierre Birck