De Washington à Luxembourg, quand les pouvoirs publics s’emparent des droits des femmes

Washington, le 24 juin 2022, à la Cour suprême. Les juges révoquent l’arrêt fédéral «Roe v. Wade» qui garantit le droit à l’avortement aux États-Unis depuis 1973. Chaque État y est désormais libre d’interdire ou d’autoriser l’IVG, et certains se sont déjà empressés d’en priver les femmes. Une victoire pour la droite religieuse – rendue possible par la nomination de juges opposés à l’avortement par Donald Trump –; une décision dévastatrice pour les nièces de l’oncle Sam.

Luxembourg, le 28 juin 2022, à la Chambre des Députés. Les membres du Parlement, à 56 voix contre 4, adoptent une résolution condamnant «toute initiative visant à interdire, à criminaliser ou à limiter l’accès à un avortement légal et sûr» déposée par la députée Carole Hartmann (DP). Somme toute symbolique (elle n’empêche pas d’éventuelles modifications de la loi sur l’avortement), elle répond à l’interpellation du Planning familial et de la plateforme Journée internationale des femmes (JIF) ainsi qu’aux angoisses de celles et ceux qui ont manifesté à leur appel devant l’ambassade des États-Unis. Les deux organisations militent, entre autres, pour inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution. Une façon, en quelque sorte, de le graver dans le marbre: à l’inverse d’une loi ordinaire qui peut être modifiée à la majorité simple, la révision de la loi fondamentale requiert une majorité de deux tiers et, obligatoirement, deux votes. La revendication semble tomber à pic puisqu’une réforme de la Constitution est justement en cours! Mais voilà, pour Mars Di Bartolomeo (LSAP), président de la commission parlementaire des institutions et de la révision constitutionnelle, il n’est pas question d’inscrire ce droit dans la Constitution «à la va-vite», ni de retarder la procédure actuelle. Si le processus entamé, rappelons-le, en… 2005 ne saurait souffrir d’un peu plus de retard, qui sait quand la prochaine occasion se présentera?

Strasbourg, le 7 juillet 2022, au Parlement européen. Ce que le Luxembourg ne fera probablement pas, l’Europe le fera-t-elle? Dans une résolution adoptée à 324 voix pour, 155 contre et 38 absentions, les eurodéputés demandent que le droit à l’avortement soit inscrit dans la Charte européenne des droits fondamentaux. Adoptée en décembre 2000, elle se voit conférer une valeur contraignante par le traité de Lisbonne, entré en vigueur le 1er décembre 2009. Inscrire le droit à l’IVG dans cette charte contraindrait donc les États membres à la légaliser et à supprimer les entraves à sa pratique. Mais toute révision de ladite charte nécessite l’unanimité, et les 27 semblent divisés sur le sujet. Les eurodéputés se disent d’ailleurs préoccupés «par une possible augmentation des financements à destination de groupes anti-genre et anti-choix dans le monde, y compris en Europe».

En contrevenant à la «règle du précédent», un pilier du droit, la Cour suprême américaine entame une marche régressive, à contre-courant de la tendance progressiste du quart de siècle passé. «Plus de 50 pays qui étaient dotés de lois restrictives ont assoupli leur législation sur l’avortement ces 25 dernières années», a rappelé la haute-commissaire de l’ONU aux droits de l’Homme, Michelle Bachelet. Espérons que cette décision qu’elle qualifie de «coup terrible porté aux droits humains des femmes et à l’égalité des genres» ne crée elle-même un précédent. Espérons que ce recul majeur aux États-Unis nous donne le courage de graver ce droit dans le marbre en Europe. Espérons qu’outre-Atlantique, Joe Biden, très critiqué par les démocrates pour sa défense du droit à l’avortement jugée trop timide, parvienne, avec sa marge de manœuvre somme toute limitée, à essuyer les larmes de la statue de la Liberté!

Par Adeline Jacob

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