Regards croisés sur la dématérialisation des services de santé

L’Agence eSanté a fortement contribué au développement de la stratégie nationale eSanté du Grand-Duché; une stratégie déjà bien ancrée dans le pays et que bon nombre d’acteurs doivent embrasser rapidement. Pour les y aider, les cabinets de conseil proposent un accompagnement à la mise en œuvre intelligente des processus et outils innovants inhérents à la dématérialisation des activités du secteur. Hervé Barge et Pierre-Jean Forrer, respectivement directeur général de l’Agence eSanté et Principal, Government and Public Sector Leader chez EY Luxembourg, nous dévoilent leurs visions complémentaires des enjeux et défis qui entourent la numérisation du secteur de la santé. 

 

Qu’entend-on par «eSanté» et quels en sont les enjeux? 

HB: L’eSanté désigne la dématérialisation de divers services, outils et processus dans le secteur de la santé. Elle doit permettre d’améliorer la qualité de prise en charge des patients et d’éviter la survenue d’évènements indésirables par une meilleure coordination des soins. 

PJF: Accompagner la digitalisation du parcours du patient est un véritable enjeu de société. En tant que cabinet de conseil, nous considérons ce processus comme l’expression d’une certaine vision qui se décline en de nombreux projets et dont la mise en œuvre nécessite des moyens budgétaires et humains importants. Bien qu’une étape ait été franchie au Luxembourg avec la généralisation du dossier de soins partagé (DSP), la dématérialisation doit être de mise tout au long du parcours du patient pour que le service qui lui est rendu soit fluide, efficace et qualitatif. 

 

Parlez-nous de l’Agence eSanté et des services qu’elle rend au Luxembourg… 

HB: L’Agence eSanté est un groupement d’intérêt économique dont la mission principale est de mettre en place une plateforme d’échange et de partage de données visant l’amélioration de la prise en charge coordonnée des patients. Son service principal est le dossier de soins partagé dont la généralisation a commencé en janvier 2020. En l’espace de deux ans, il a hébergé quelque six millions de documents tels que des résultats d’analyses, des comptes-rendus d’imagerie, des résumés patient et des résumés de prestations. Nous devons également à l’Agence le lancement du carnet de vaccination électronique et de la e-prescription, deux projets en phase de généralisation. En parallèle, elle fixe un cadre national d’interopérabilité technique et sémantique permettant à différents systèmes d’interagir sans heurts et élabore des feuilles de route et des agendas qui contribuent à la stratégie eSanté du Luxembourg. 

 

Quel rôle les sociétés de conseil peuvent-elles jouer dans la eSanté? 

Accompagner la digitalisation du parcours du patient est un véritable enjeu de société

PJF: Aujourd’hui, le patient est réellement placé au cœur du système de santé luxembourgeois. Ce «patient centeredness», en plus de défier les bases légales actuelles, implique la mise en œuvre de nombreux projets. C’est dans ce cadre que des entreprises comme la nôtre ont un rôle à jouer. Chez EY, nous accompagnons les divers acteurs de l’écosystème de la santé dans la mise en œuvre intelligente des processus, des solutions techniques et des innovations nécessaires pour soutenir cette évolution, aussi bien au travers d’expertises ponctuelles que par un accompagnement à la conduite du changement. L’eSanté est une infrastructure technique et technologique très forte qui se doit de reposer sur des solutions réfléchies et bien cadrées. C’est pourquoi nous nous engageons pour que nos consultants partagent leurs connaissances et compétences avec leurs clients et puissent être force de proposition à l’avenir. 

 

De vos points de vue respectifs, quels sont les défis qui demeurent en matière d’eSanté? 

PJF: Il y a encore énormément de travaux à mener sur toute la chaîne de l’eSanté, à commencer par la refonte de la base légale qui permettra de déterminer le périmètre des initiatives à mettre en œuvre et, ensuite, d’envisager plus précisément les projets qui ouvriront la voie à de nouvelles solutions technologiques. Une infrastructure technique et technologique forte, protégée et innovante se doit d’être dans l’ADN des moyens mis en œuvre pour ce secteur. 

HB: Je distingue trois défis principaux. Le premier tient à la souveraineté nationale en matière de données. L’inconvénient du Luxembourg est peut-être sa petite taille qui l’expose au risque de voir ses données traitées par de grands acteurs étrangers. Aujourd’hui, fort heureusement, nous avons posé la souveraineté nationale des données de santé comme préambule à notre stratégie eSanté. D’une part grâce à un hébergement des données par une structure luxembourgeoise régulièrement reconnue pour le sérieux de son travail, la firme EBRC, et d’autre part, par un partenariat avec POST Luxembourg visant à associer nos expertises complémentaires et nos data scientists pour le développement du projet Data-Lake DSP, nous pouvons être certains que nos données médicales demeurent bien au Grand-Duché. Les deuxième et troisième défis sont la conduite du changement et le changement de culture. Certains praticiens préfèrent encore le fax, un outil très peu sécurisé, au DSP. Ce changement de paradigme prendra peut-être encore un an ou deux, le temps que chaque professionnel de santé bascule dans le champ de la modernité. Bien sûr, la pandémie a engendré une véritable prise de conscience de l’intérêt de la dématérialisation, que ce soit au niveau national ou européen. C’est bien la première fois que s’est mise en place, dans un délai aussi court, une sorte d’Europe de la santé en matière d’échange de données grâce à des documents dématérialisés. Mais cette accélération rapide nécessite encore une vigilance accrue quant à la sécurité des données.

 

Comment envisagez-vous l’avenir de l’eSanté?

HB: L’eSanté est arrivée à maturité en termes de compréhension. L’idée, désormais, est de rendre les systèmes intelligents. Le traitement des images médicales par l’intelligence artificielle ou encore les «smart DSP» sont autant de solutions qui permettront au système de soins d’être plus efficace et d’évoluer vers une médecine de plus en plus personnalisée.

PJF: En matière de numérisation des services de santé, le Luxembourg est plutôt bien classé au sein de l’Union européenne, en atteste la réussite statistique du DSP. Il faut évidemment poursuivre les investissements pour que la digitalisation du parcours patient supporte un travail plus efficace des praticiens et, in fine, améliore le service rendu au patient. C’est justement en devenant propriétaire de ses données, de ses analyses, des comptes-rendus de ses différents actes médicaux que celui-ci pourra bénéficier d’un tel service de qualité. En parallèle, toute analyse qui pourra émerger du lac de données issu de l’infrastructure eSanté éclairera l’administration quant aux besoins des patients et des praticiens et lui permettra de répartir ses moyens pertinemment. 

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