Protection de la vie privée: une nouvelle proposition de la Commission européenne met le feu aux poudres

C’est une proposition de la Commission européenne pleine de bonnes intentions qui, depuis près de deux semaines, soulève une armée de boucliers dans l’écosystème numérique… Ce 11 mai 2022, l’exécutif européen a annoncé avoir adopté une nouvelle stratégie pour un internet mieux adapté aux enfants. Obligé de constater que la façon dont les moins de 18 ans utilisent les technologies numériques a radicalement changé ces dix dernières années, il entend bien les prémunir contre les dangers de l’exposition à la désinformation, le cyberharcèlement et les contenus préjudiciables et illicites. 

«Ton monde numérique est sûr. Tu ne vois que des choses adaptées à ton âge. Les choses que tu vois ou fais en ligne ne te font pas te sentir bizarre, triste ou mal à l’aise. Tu es protégé contre la cyber intimidation, la haine et le mal»: ce sont quelques-unes des promesses faites aux enfants. Encore que, pour les tenir, la Commission doit réussir à rallier les entreprises technologiques à sa cause. Bien que celle-ci soit noble, il n’est pas certain qu’elle y parvienne. Et pour cause: cette stratégie a été adoptée en même temps qu’une proposition de législation visant à protéger les mineurs contre les abus sexuels qui a suscité des réactions plutôt virulentes. Celle-ci obligerait les fournisseurs de certains services à «détecter, signaler et retirer les matériels relatifs aux abus sexuels commis sur des enfants dans le cadre de leurs services».

S’il n’est pas permis de douter de la fin… certains s’interrogent sur les moyens. Bien que la Commission souligne que «les fournisseurs devront déployer des technologies qui soient les moins intrusives au regard de la vie privée», plusieurs d’entre eux estiment que cette dernière serait menacée. Si le texte ne précise pas comment s’appliquerait cette «obligation de détection ciblée», ONG, entreprises et experts de la cybersécurité montent au créneau pour défendre le principe de «chiffrement de bout en bout» mis à mal. Cette technologie qui, sur des messageries bien connues, empêche tout tiers (y compris le fournisseur du service de communication) de lire les messages échangés entre un émetteur et son destinataire serait selon eux incompatible avec les exigences de la Commission. Quelques-uns ont déjà signé une déclaration commune de la Global Encryption Coalition sur «les dangers» de la proposition. «L’abus sexuel d’enfants est un crime grave auquel les États membres et les autres pays du monde doivent s’attaquer. Nous craignons toutefois que l’approche adoptée par la Commission dans cette proposition de règlement n’ait des effets dévastateurs sur la sécurité des communications et sur la vie privée des utilisateurs», avancent ses signataires. L’adoption de la nouvelle proposition européenne contraindrait en effet les plateformes technologiques à une surveillance de masse des messages. Une situation qui porterait atteinte à certains droits fondamentaux. Car c’est bien de cela qu’il s’agit: faire prévaloir la lutte contre les abus sexuels sur les enfants sur le droit au respect de la vie privée et familiale, du domicile et de la correspondance. Les plus inquiets dénoncent une ignorance voire une certaine folie. Certains observateurs craignent que la Commission n’ouvre la boîte de Pandore et que la surveillance s’élargisse, comme si un Big Brother européen menaçait d’émerger. Qu’ils se rassurent: un long parcours législatif attend cette proposition qui fera certainement ressortir ses exigences contradictoires.

Quand on sait que 85 millions de photos et de vidéos représentant des abus sexuels sur mineurs ont été signalés à l’échelle mondiale pour la seule année 2021, soit une augmentation de 64% par rapport à l’année précédente selon la fondation Internet Watch, impossible pour autant de ne pas appeler de ses vœux l’introduction de mesures fortes. À la Commission de tenir les promesses faites aux enfants sans qu’elles n’entrent en concurrence avec d’autres droits fondamentaux, il en va de la démocratie européenne. 

 

Par Adeline Jacob

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