Médecins et établissements hospitaliers, la vigilance s’impose quand leur responsabilité est recherchée

La pratique de la médecine n’est pas sans risque et quiconque l’exerce encourt celui de voir sa responsabilité mise en cause lorsqu’un de ses patients s’estime victime d’un préjudice. La société évoluant et la figure du médecin n’étant plus considérée comme aussi intouchable qu’elle put l’être, d’aucuns observent une forme de judiciarisation de l’activité médicale qui préoccupe les professionnels de santé. Voir sa responsabilité recherchée aujourd’hui, que cela implique-t-il? Sandrine Margetidis-Sigwalt, avocat à la Cour et Counsel chez Arendt & Medernach, fait un état des lieux en se référant à la jurisprudence luxembourgeoise et livre ses conseils. 

 

Comprendre le régime de responsabilité

Lorsqu’un patient est pris en charge par un professionnel de santé, s’établissent entre eux des rapports de nature contractuelle. On parle alors de contrat de soins, dont découlent les notions de responsabilité médicale et de droits des patients. Le professionnel de santé qui y contreviendrait pourrait voir sa responsabilité engagée. Si les soins sont prodigués dans un établissement hospitalier, le régime de responsabilité dépendra du fonctionnement de l’hôpital. S’il fonctionne selon un régime dit «ouvert», les médecins ne sont pas salariés de l’hôpital mais y exercent leur profession de manière libérale sur base d’un contrat d’agrément. À l’inverse, dans un établissement fonctionnant en régime dit «fermé», les médecins sont salariés de l’hôpital. Le contrat de soins est conclu, dans le premier cas, directement avec le praticien et, dans le second, avec l’établissement hospitalier. Une situation qui a une incidence sur tout le régime de responsabilité. «On pourrait penser à première vue que les établissements hospitaliers qui fonctionnent en régime ouvert bénéficient d’une certaine immunité en matière de délivrance des soins. Cela est vrai dans une certaine mesure alors que l’obligation de soins pèse en premier lieu sur le médecin. Ils sont en revanche liés à leurs patients par un contrat d’hospitalisation et les obligations qui en découlent ne sont pas anodines et ne se limitent pas à une prestation d’hébergement. Un arrêt récent de la Cour d’appel a ainsi rappelé que, bien que fonctionnant en régime ouvert, un établissement hospitalier avait une obligation de surveillance et de sécurité vis-à-vis de ses patients, notamment dans le cadre de la délivrance des soins. Il lui a en effet notamment été reproché de ne pas avoir mis à disposition d’un patient un médecin possédant les compétences suffisantes pour le prendre en charge. Il est donc clair que les hôpitaux – même en fonctionnant en régime ouvert – ne peuvent pas se désintéresser de l’obligation de soins des patients», clarifie Sandrine Margetidis-Sigwalt.

La responsabilité des médecins et celle des établissements hospitaliers sont très imbriquées

Inversement, on pourrait penser que les praticiens salariés exerçant dans un hôpital fonctionnant en régime fermé puissent bénéficier d’une sorte d’immunité civile puisque le contrat de soins y est conclu entre le patient et l’établissement. C’est une erreur, affirme Sandrine Margetidis-Sigwalt: «les juridictions luxembourgeoises n’ont jusqu’à présent pas retenu d’immunité civile au profit des médecins salariés. Au-delà de l’absence de la consécration par les juridictions luxembourgeoises du principe d’immunité civile du préposé développé en droit français, la liberté thérapeutique du médecin qui fait de lui un salarié un peu particulier n’étant pas dans un lien de subordination complet vis-à-vis de son employeur permet de justifier cette solution». 

«Ainsi, il faut avoir à l’esprit que la responsabilité des médecins et celle des établissements hospitaliers sont très imbriquées et que chacune des parties doit travailler de concert avec l’autre pour que les soins soient donnés dans les meilleures conditions possibles et éviter d’exposer l’une et l’autre à un risque de responsabilité. En effet, la responsabilité de l’un n’exclut absolument pas celle de l’autre», conseille Sandrine Margetidis-Sigwalt. 

 

Affronter le procès 

Cette responsabilité se trouve de plus en plus fréquemment recherchée. Les patients, parfois soutenus par des associations, ne craignent plus de se confronter à leur médecin, entraînant ainsi une certaine judiciarisation de l’activité médicale. 

Pour l’avocate, lorsque litige il y a et qu’un procès est engagé, tout l’enjeu pour le praticien dont la responsabilité est recherchée se joue lors de la phase d’expertise médicale durant laquelle un expert, en général un médecin de la même spécialité judiciairement nommé, est chargé d’apprécier l’intervention de son confrère et de déterminer s’il a agi ou non dans le respect des règles de l’art. C’est pourquoi la préparation de la phase d’expertise, petit procès dans le grand, est cruciale. «Le rôle de l’avocat est de préparer le médecin aux opérations d’expertise et de monter un dossier contenant toutes les pièces utiles à sa défense. À moins qu’on ne puisse prouver que l’expert a commis une erreur dans son appréciation de l’intervention médicale (en versant par exemple une contre-expertise unilatérale), les juridictions suivent généralement l’avis de l’expert judiciaire. D’où l’enjeu d’être bien accompagné dans la définition d’une stratégie de défense et d’une participation active dans les opérations d’expertise et la constitution d’un dossier solide. Bien sûr, d’autres éléments sont discutés lors du procès une fois la faute médicale établie, le lien causal entre la faute et le préjudice notamment. Si l’imputabilité du préjudice du patient à la faute médicale est retenue, démarrent alors les discussions sur le préjudice indemnisable, une étape du procès qui concerne moins le médecin que son assureur et qui peut parfois aboutir à un arrangement transactionnel», explique Sandrine Margetidis-Sigwalt. 

La préparation du procès sera très différente selon que l’obligation à charge du prestataire de soins est une obligation de moyens ou de résultat, ce qui a toute son importance sur la charge de la preuve. L’obligation de soins est généralement considérée comme une obligation du premier type. Si le patient estime que son médecin y a failli, il lui revient de prouver que manquement il y a eu. Or, la tâche n’étant pas aisée, la tendance jurisprudentielle actuelle est de retenir de plus en plus fréquemment que l’obligation à charge du praticien porte sur l’engagement à un résultat. La charge de la preuve s’en trouve renversée et il appartient alors au médecin ou à l’établissement hospitalier de faire la preuve qu’il n’a pas pu obtenir le résultat escompté et ceci en raison d’un cas de force majeure. «Par exemple, un arrêt de la Cour de cassation de 2013 a fait de l’obligation de sécurité en matière d’infections nosocomiales une obligation de résultat pesant sur l’établissement hospitalier et les médecins pratiquant une intervention. Il faut être très imaginatif pour prouver qu’un cas de force majeure ait pu entraîner une infection nosocomiale! L’unique moyen de voir écarter sa responsabilité en la matière reste alors de disqualifier l’infection comme étant nosocomiale en démontrant que le patient a été infecté en dehors de l’hôpital ou du cabinet médical. Cette modification du régime de responsabilité en matière d’infections nosocomiales préoccupe beaucoup les professionnels de santé et leurs assureurs», confie Sandrine Margetidis-Sigwalt. 

 

Appréhender les griefs potentiels 

Dans bon nombre de ces procès, un manquement à l’obligation d’information – accessoire au contrat de soins – se trouve au cœur du litige. Une tendance qui révèle l’incompréhension qui peut régner entre les médecins et leurs patients. Un professionnel de santé doit s’assurer de donner à son patient l’information dont il dispose sur son état de santé, sur sa pathologie et les différents traitements possibles afin de s’assurer de recueillir un consentement libre et éclairé du patient au traitement auquel il se soumettra. Le contenu de cette information est prévu de manière détaillée par la loi de 2014 sur les droits et obligations des patients. «À l’origine, il s’agissait d’une obligation de moyens. Il revenait donc au patient de prouver que le médecin avait manqué à cette obligation et qu’il n’avait pas reçu toutes les informations nécessaires pour faire un choix libre et éclairé. À nouveau, un glissement s’est opéré pour considérer cette obligation comme étant de résultat. Si les décisions judiciaires à cet égard peuvent être plus ou moins sévères, les juridictions luxembourgeoises restent conscientes que les soignants ne sont pas des juristes soucieux de se ménager la preuve de l’exécution de leurs obligations et considèrent qu’elles peuvent se fier à un faisceau d’indices. Nous conseillons toujours aux médecins de bien tenir leur dossier médical et en particulier leur journal de consultations, et d’y renseigner avec précision les informations qui ont été transmises au patient lors de chaque consultation, car les éléments inscrits au dossier médical tiennent lieu de présomption que l’obligation a bien été remplie». 

Le rôle de l’avocat est de préparer le médecin aux opérations d’expertise et de monter un dossier contenant toutes les pièces utiles à sa défense

D’aucuns remarqueront également que les préjudices indemnisés dans ce domaine suivent les évolutions sociétales. «Un couple ayant donné naissance à un enfant qui souffrait de certaines malformations qui auraient dû être diagnostiquées à l’échographie a récemment été indemnisé de leur préjudice moral du fait de l’impréparation à la naissance d’un enfant handicapé. Si la Cour d’appel n’est pas allée jusqu’à indemniser le couple pour sa perte de chance de pouvoir recourir à une interruption volontaire de grossesse (en l’absence de preuve que ce dernier aurait été susceptible de faire un tel choix s’il avait eu connaissance de la malformation en cours de grossesse), elle a admis l’indemnisation du  choc psychologique engendré par cette naissance au regard du manquement à l’obligation d’information par les praticiens ayant suivi la grossesse», relève Sandrine Margetidis-Sigwalt. 

Si la judiciarisation de l’activité médicale inquiète, à juste titre, les professionnels de santé, il y a dans une étude comme Arendt & Merdernach des avocats qui «savent les défendre et les accompagner dans ce parcours judiciaire», rassure Sandrine Margetidis-Sigwalt. L’étude organise d’ailleurs des séminaires et conférences pour les informer et répondre à leurs interrogations. Prochain rendez-vous en date: Arendt Case Law Forum du 1er juin qui abordera les décisions judiciaires.  

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