Solidarité à géométrie variable

Jeudi 24 février 2022. Il est tôt lorsque les Luxembourgeois apprennent que l’invasion russe en Ukraine, alors crainte depuis quelques jours, est devenue réalité. Rapidement, les élans de solidarité émergent. Mais comment aider efficacement? Au plus proche des citoyens désireux de soutenir le peuple ukrainien: les communes. 

Quatre jours après l’agression militaire russe, le SYVICOL, Syndicat des Villes & Communes Luxembourgeoises, affirme son soutien à l’Ukraine et invite toutes les communes du pays à afficher leur solidarité en hissant le drapeau de l’offensé et en illuminant les bâtiments publics à ses couleurs. Au-delà du geste symbolique, il les encourage également à «se mobiliser pour accueillir des demandeurs de protection internationale», notamment en dressant un inventaire des possibilités d’hébergement, et les exhorte à «soutenir financièrement les ONG venant en aide aux réfugiés». Depuis, les administrations communales sont nombreuses à avoir répondu à l’appel. Aux quatre coins du pays, pour répondre au besoin des citoyens de se sentir utiles, des collectes ont été organisées afin de venir en aide aux Ukrainiens restés sur place ou réfugiés dans les pays voisins. Produits d’hygiène, vêtements, médicaments, de nombreuses communes ont recueilli les dons de leurs habitants. D’autres ont soutenu financièrement des associations mobilisées pour porter secours au peuple victime de l’invasion russe. Plus encore, certaines ont mis à disposition des réfugiés des logements par dizaines. Tout est mis en œuvre pour faciliter les démarches d’une population ayant déjà trop souffert. 

L’élan est beau. Mais, qu’on veuille la voir ou non, il y a une ombre au tableau. Des voix s’élèvent pour dénoncer les inégalités de traitement – flagrantes, il faut l’avouer – entre les réfugiés qui fuient la guerre depuis l’Ukraine… et ceux qui tentent d’échapper à toutes les autres. Quelle différence entre les missiles qui s’abattent sur Kharkiv et les bombes qui explosent à Alep? A priori, aucune. Pourtant, ceux qui les fuient sont tantôt accueillis à bras ouverts, tantôt repoussés aux frontières. L’élan particulier qui s’observe au niveau local depuis fin février est le reflet d’un phénomène plus large et est facilité par une «permissivité» venue d’en haut. Pour la première fois, l’Union européenne a activé sa directive dite de «protection temporaire», un dispositif «pour faire face à un afflux massif (…) de ressortissants étrangers qui ne peuvent rentrer dans leur pays d’origine» et qui permet immédiatement (mais temporairement) à ses bénéficiaires «d’exercer une activité salariée ou non salariée; d’accéder à un enseignement pour adultes, à la formation professionnelle et d’acquérir une expérience professionnelle; d’accéder à un logement approprié; de recevoir une aide sociale et financière ainsi que des soins médicaux». Créée en 2001, après le conflit en ex-Yougoslavie, elle n’a jamais été mise en œuvre alors que les «occasions» n’ont pas manqué. Les associations de la société civile, comme Amnesty International, si elles saluent l’activation de la directive de protection temporaire, déplorent «l’application variable du droit international en fonction des intérêts géopolitiques des États», voire de discriminations raciales. Tous sont d’accord: il ne s’agit pas de traiter les Ukrainiens comme les réfugiés qui sont venus frapper aux portes de l’Europe avant eux, mais bien d’accueillir toute personne fuyant son pays d’origine en raison d’une guerre ou de violations des droits de l’homme comme le sont actuellement ceux qui nous viennent de Kiev, de Kharkiv ou de Marioupol.

Puisse cette injustice – difficilement admissible car contraire aux valeurs de l’Union européenne, mais pourtant bien réelle – nous ouvrir les yeux. Puisse la mise en œuvre de la protection temporaire devenir la norme plutôt que l’exception. 

 

Par Adeline Jacob

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