Les évolutions récentes sur le marché de l’immobilier résidentiel luxembourgeois
Les travaux de recherche du LISER, y inclus ceux menés au sein de l’Observatoire de l’Habitat en collaboration avec le ministère du Logement, cherchent à rendre les évolutions du marché immobilier luxembourgeois plus transparentes. Explications avec Julien Licheron et Antoine Paccoud du Département Développement Urbain et Mobilité au Luxembourg Institute of Socio-Economic Research (LISER).
En quoi consistent les activités de recherche du LISER dans le domaine du logement?
Le LISER est actif depuis de nombreuses années dans le domaine du logement. Le projet le plus connu en la matière étant l’Observatoire de l’Habitat, qui est un service du ministère du Logement dont les travaux sont réalisés en collaboration avec le LISER. Depuis sa création en 2003, l’Observatoire de l’Habitat a cherché à combler les lacunes statistiques identifiées, notamment dans le domaine des prix immobiliers, du foncier et des loyers, de la disponibilité des terrains à bâtir et de leur concentration, de la situation des ménages face au logement, etc. Cet Observatoire a été chargé de collecter et d’analyser, en collaboration avec d’autres services étatiques et communaux, les données relatives au marché du logement. Il diffuse régulièrement les résultats de ses travaux par l’intermédiaire de bulletins trimestriels, de notes et de rapports.
Les plus fortes hausses cumulées des prix des logements depuis 2010 dans l’UE
Le LISER a également étoffé son équipe de recherche sur le thème du logement au cours des dernières années. Ses travaux permettent ainsi d’alimenter l’Observatoire de l’Habitat pour mieux comprendre les grands enjeux sur le marché luxembourgeois: comment expliquer la hausse forte et régulière des prix de l’immobilier résidentiel observée depuis 2010? Quelles solutions sont envisageables pour mobiliser davantage le foncier constructible? Quels sont les impacts de la hausse des prix et des loyers sur les ménages résidents? Quels sont les mécanismes de production de logements au Luxembourg? Quelles pistes existent pour créer davantage de logements abordables?
Dans le même temps, les travaux de recherche du LISER se nourrissent des statistiques et analyses réalisées dans le cadre de l’Observatoire de l’Habitat, ainsi que des besoins identifiés par le ministère du Logement et les autres acteurs de ce marché. En matière de recherches sur le logement, les travaux du LISER sont donc complètement tournés vers les besoins de la société luxembourgeoise.
Comment expliquer la très forte hausse des prix des logements au cours des dernières années au Luxembourg? Cette hausse peut-elle durer sur le long terme?
La hausse des prix des logements est en effet soutenue depuis plusieurs décennies, et particulièrement depuis 2010. Entre 2010 et 2017, la hausse des prix était relativement régulière: environ +4,5% à +5% par an pour l’indice des prix de vente des appartements et des maisons fourni par le STATEC. En revanche, depuis mi-2017, cette hausse des prix s’est nettement accélérée, pour culminer au 1er trimestre 2021 avec une augmentation des prix de +17,0% sur douze mois. Au 2e trimestre 2021, la hausse des prix a légèrement décéléré, pour revenir à une hausse de +13,6% sur douze mois. La demande en logements reste toutefois forte sur le marché et une baisse des prix est peu probable. Un retour à une hausse des prix soutenue, mais plus proche des standards observés avant 2017 (proche de 4 à 5%), est donc tout à fait envisageable. Pour cela, il faudra que l’offre de logements augmente et réponde davantage aux besoins très importants en matière de logement au Luxembourg.
Comment expliquer que l’offre de logements peine à répondre à cette demande très forte?
Comme l’Observatoire de l’Habitat a pu le montrer, il existe des surfaces importantes de terrains libres dans les zones constructibles des communes, la difficulté étant de mobiliser ces ressources. Dans la dernière mise à jour réalisée en 2016, nous montrions ainsi que plus de 2.840 hectares de terrains sont libres de construction et déjà affectés à l’habitat dans les documents d’urbanisme (les fameux Plans d’Aménagement Général, PAG) des communes. Mais près de 90% des surfaces disponibles appartiennent à des propriétaires privés, majoritairement des particuliers. Les pouvoirs publics ont donc peu de marge de manœuvre pour augmenter rapidement et de manière significative l’offre de logements abordables. La détention de terrains constructibles est également très concentrée, avec un petit nombre de particuliers et d’entreprises qui ont de larges réserves de foncier. En l’absence d’impôt foncier conséquent, rien ne vient pénaliser la détention à long terme de terrains constructibles mais libres de constructions. Vu les accroissements significatifs du prix des terrains constructibles ces dernières années, les propriétaires de ce foncier ont peu d’intérêt à mettre rapidement en construction leurs terrains.
Le Luxembourg est-il une exception en matière de hausse des prix des logements en Europe?
Le Luxembourg est l’un des pays qui a connu les plus fortes hausses cumulées des prix des logements depuis 2010 dans l’Union européenne (+7,4% par an en moyenne entre le 1er trimestre 2010 et le 2e trimestre 2021). Mais la hausse des prix a été forte également dans d’autres pays, comme l’Autriche (+7,0 par an en moyenne sur la même période), la Suède (+6,0%) ou l’Allemagne (+5,9%). Et surtout, le Luxembourg ne fait plus exception depuis quelques mois, puisque de nombreux pays ont connu des hausses de prix supérieures à 10% sur les douze derniers mois. L’excédent d’épargne, les taux d’intérêt bas et la stabilité du marché immobilier résidentiel expliquent sans doute en grande partie ces hausses. Cette augmentation des prix est évidemment un enjeu majeur qui risque de freiner l’accès à la propriété et, plus généralement, de renchérir le coût du logement.
Quelles sont les conséquences de cette hausse des prix sur les ménages?
Une récente note publiée par l’Observatoire de l’Habitat [1] s’intéressait aux évolutions récentes des taux d’effort des ménages résidents, c’est-à-dire à la part de leur revenu disponible qu’ils consacraient aux dépenses liées au logement (incluant les charges). Cette étude mettait en évidence une hausse globale du taux d’effort moyen sur la période 2016-2019 quel que soit le statut d’occupation du logement, même si la hausse du taux d’effort était encore beaucoup plus soutenue pour les locataires. Ces derniers consacraient ainsi en moyenne 37,3% de leur revenu disponible aux dépenses de logement en 2019, contre 31,8% en 2016. Pour les accédants à la propriété, le niveau historiquement bas des taux d’intérêt et la possibilité d’allonger la durée des crédits a sans doute permis de limiter la hausse du taux d’effort. En revanche, les locataires n’ont eu aucune solution pour contrecarrer la hausse des loyers, même si cette augmentation a été en moyenne beaucoup moins forte que celle des prix de vente, tout en étant supérieure à l’évolution moyenne des revenus. Ces résultats mettent en évidence, de notre point de vue, la nécessité de développer des solutions alternatives de logement abordable.
[1] Observatoire de l’Habitat (2021): «Évolution du taux d’effort des ménages résidents du Luxembourg selon leur mode d’occupation et leur niveau de vie entre 2016 et 2019», Note n°27, Octobre 2021, disponible sur: https://logement.public.lu/fr/observatoire-habitat.html