La construction à la croisée des chemins

Avec la double transition écologique et numérique en cours, les astres semblent alignés pour que la construction entre dans une nouvelle ère, s’accordent à dire les observateurs du secteur. Il est vrai que le bâtiment se détache peu à peu de son image traditionnelle et fait désormais figure de domaine d’activité stratégique, qui contribuera fortement à l’innovation technologique et à la transition climatique. Pour éclairer la prise de décision dans ce domaine, l’Observatoire du secteur européen de la construction analyse et réalise des évaluations comparatives du secteur. Laurent Probst, Partner, Government Digital Transformation & Innovation Leader, et Karim Karaki, Advisor chez PwC Luxembourg, creusent le sujet.

 

Qu’est-ce que l’Observatoire du secteur européen de la construction et comment PwC contribue-t-il à ses travaux?

KK: Cet observatoire a été créé en 2015 à l’initiative de COSME, le programme de l’UE pour la compétitivité des PME. Il a pour objectif d’identifier les tendances de la construction et de fournir des statistiques comparatives sur toutes les évolutions du secteur dans les 27 États membres de l’UE et au Royaume-Uni dans le but de tenir les parties prenantes et les décideurs européens informés des conditions du marché, de l’évolution des politiques et de leurs résultats.

LP: PwC dispose d’équipes spécialisées travaillant spécifiquement sur des projets européens depuis de nombreuses années. Celles-ci collaborent aux travaux de plusieurs observatoires, notamment à ceux de l’Observatoire des PME européennes depuis 2012. Lorsque la Commission a souhaité mettre en place un même outil dédié au secteur de la construction, nous avons présenté notre candidature et remporté le contrat qui, depuis lors, a été renouvelé.

 

L’Observatoire veillait notamment à la réalisation de la stratégie de l’Union européenne pour le secteur de la construction à l’horizon 2020. Quel bilan pourrait-on en dresser?

LP: Cette stratégie reposait sur différents piliers. Le premier comportait un volet «investissements» et un volet «digitalisation». Nous constatons que le volume d’investissements a très clairement augmenté sur les dix dernières années – largement encouragé par des mécanismes de support tels que des subsides ou des politiques fiscales avantageuses – mais que la profitabilité des entreprises reste globalement faible en raison de la fluctuation des coûts de la construction. Quant à la digitalisation du secteur, elle est encore relativement lente, pour des raisons essentiellement structurelles: les principaux processus de la construction conservant un caractère manuel, le niveau d’automatisation n’en est que très faible.

La construction se mue en secteur de pointe

La stratégie de la Commission comportait également un volet «compétences et qualifications». Il s’agit d’un enjeu majeur pour ce secteur qui attire peu de jeunes talents et qui souffre de filières de formation inadaptées aux nombreux nouveaux métiers du bâtiment qui ont émergé. Le défi est d’autant plus important que les gains de productivité concomitants à la digitalisation du secteur n’atteignent pas encore le niveau attendu pour permettre des économies de personnel.

L’utilisation des ressources et l’efficacité énergétique constituaient une autre priorité de la stratégie européenne. À cet égard, il est évident qu’il y a un avant et un après «Green Deal». La construction est un secteur stratégique du Pacte vert pour l’Europe et ses acteurs vont devoir accélérer rapidement leur transformation écologique pour affronter la vague de rénovations annoncée.

La stratégie portait également sur l’internationalisation des entreprises. Le bilan est plus contrasté à cet égard: le secteur étant composé à 99% de PME, il demeure très compliqué pour celles-ci d’accéder à des projets d’envergure par-delà les frontières du Vieux Continent. Pour ce faire, nos entreprises devraient faire preuve d’un savoir-faire reconnu mondialement, reconnaissance généralement hors de portée des PME.

 

Qu’en est-il de la poursuite des principaux objectifs?

KK: Aujourd’hui, comme cela transparaît dans le plan de relance pour l’Europe, c’est une double transition qui est recherchée par les décideurs politiques: l’une écologique, l’autre numérique, les deux allant de pair. La digitalisation n’est d’ailleurs plus un choix, c’est une nécessité. Malheureusement, la grande majorité des PME qui composent le secteur n’a pas les moyens financiers nécessaires pour entamer la transition. Les gouvernements et décideurs européens ont donc un réel rôle à jouer pour faciliter ce processus qui aura non seulement un impact sur la compétitivité du secteur mais aussi sur sa durabilité. La Commission européenne a d’ailleurs récemment publié une stratégie intitulée «Renovation wave» qui doit booster les investissements dans la rénovation et permettre d’augmenter l’efficacité énergétique du patrimoine bâti. En parallèle, elle a adopté de nouvelles règles pour la «préparation intelligente des bâtiments». De ce fait, elle vise à promouvoir une rénovation «digital-friendly», adaptée au numérique, permettant notamment la mesure de la consommation énergétique réelle.

 

À cet égard, comment se positionne le Luxembourg par rapport à ses voisins européens?

LP: Le Luxembourg, qui bénéficie d’un marché porteur et d’une demande très forte, se positionne parmi les bons élèves. Il compte de grands cabinets d’architectes, utilise des produits et matériaux de qualité et applique des standards élevés. De nombreux progrès ont été réalisés dans la numérisation, notamment avec l’émergence du BIM, mais aussi dans la réflexion sur l’optimisation énergétique des bâtiments. L’État s’est doté de structures d’innovation, avec Neobuild par exemple, de structures de formation également, via la Chambre des Métiers ou la Fédération des Artisans notamment. Il s’efforce donc réellement de supporter l’artisanat et l’industrie de la construction. Celle-ci souffre tout de même de l’augmentation des prix des matériaux et du coût de la main-d’œuvre, qui peuvent menacer sa profitabilité.

 

D’après les analyses que vous réalisez pour l’Observatoire, le secteur de la construction luxembourgeois souffre à la fois d’une pénurie de logements et de main-d’œuvre qualifiée…

KK: En effet, les marchés de l’immobilier et de la construction sont étroitement liés et, au Luxembourg, le premier est particulièrement cher. C’est un marché d’investisseurs plutôt que d’occupants. Bien que l’État tente de trouver des solutions à la problématique du logement abordable, sa capacité d’action est limitée par la trop faible proportion de terrains en main publique. En règle générale, un gouvernement peut recourir à trois types de solutions pour agir sur ce problème: les aides au logement, des règlements qui, idéalement, devraient tenir compte des intérêts de toutes les parties prenantes sur le marché du logement, et, enfin, la fiscalité qu’il peut rendre avantageuse pour les primo-accédants ou défavorable aux multipropriétaires. Pour l’instant, deux propositions de lois sont en discussion au Luxembourg: l’une porte sur les loyers et l’autre sur la gestion du foncier. Affaire à suivre…

LP: En ce qui concerne la pénurie de main-d’œuvre, une solution serait de mieux anticiper les besoins sur les cinq voire les dix prochaines années et de revaloriser certaines filières d’apprentissage. Nous devrions nous assurer que les métiers de la construction soient attractifs et adéquatement présentés dans l’enseignement mais aussi que le processus d’orientation dirige les jeunes vers la bonne profession. Les métiers du bâtiment sont aussi intéressants que variés et sont, je pense, en passe de connaître une véritable révolution. La construction se mue en secteur de pointe, qui va fortement contribuer à l’innovation technologique et à la transition climatique du pays. Si elle ne pâtissait pas de son image très traditionnelle, elle attirerait certainement de nombreux talents!

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