Initier un cercle vertueux autour de la société numérique

«Partout où la numérisation apporte une valeur ajoutée évidente et augmente la qualité de vie, elle s’impose», rappelait encore le Premier ministre dans son dernier discours sur l’état de la Nation. Et force est de constater qu’elle s’impose à des pans toujours plus nombreux de notre quotidien. Le gouvernement luxembourgeois ambitionne d’ailleurs d’insuffler un nouvel élan à la transformation digitale du pays pour faire du Grand-Duché une des sociétés numériques les plus avancées au monde. Que revêt cette volonté? Éléments de réponse avec Brice Lecoustey, associé au sein du département Consulting, dédié aux institutions publiques, aux PME et aux multinationales chez EY Luxembourg.

 

Qu’entend-on par «société numérique»?

C’est un concept que j’appréhenderais d’abord sous l’angle du parcours citoyen. La société numérique doit permettre aux individus une expérience digitale et optimisée des services publics. Aujourd’hui, bien que certaines administrations aient encore des efforts à fournir, de plus en plus de démarches peuvent être effectuées numériquement, notamment via le portail myGuichet.lu sur lequel est d’ailleurs observé une augmentation du trafic depuis le début de la pandémie. Évidemment, pour qualifier une société de «numérique», bien d’autres services doivent être optimisés par la digitalisation. C’est le cas notamment de la mobilité, de la culture, des loisirs ou de l’économie. À l’heure actuelle, pas une seule entreprise, de la PME locale au groupe international en passant par la startup, ne peut pérenniser ou développer une activité sans inclure dans sa réflexion stratégique l’une ou l’autre technologie digitale. Pour parler de société numérique, il faut parvenir à intégrer toutes ces dimensions dans un cercle vertueux.

 

Quelles sont les technologies incontournables pour réussir la transformation digitale?

Le Luxembourg se doit de continuer à devenir une société numérique sans quoi il ne sera pas suffisamment attractif aux yeux des talents internationaux

Ce sont, en premier lieu, les technologies de type CRM (Customer Relationship Management), qu’on pourrait qualifier de «Citizen Relationship Management» dans le cas du secteur public. Il s’agit d’outils de mise en relation permettant d’améliorer le parcours citoyen ou client mais aussi le confort de travail des fonctionnaires ou des acteurs économiques. En deuxième lieu, ce sont les technologies d’intelligence artificielle, qui permettent d’optimiser et d’automatiser des tâches répétitives et manuelles à faible valeur ajoutée pour que les humains puissent se focaliser sur d’autres activités. La troisième technologie qui me semble incontournable est l’IoT (Internet of Things), qui sera elle-même supportée par la 5G. Les objets connectés pourront améliorer les parcours de consommation dans les centres urbains, optimiser la mobilité, certains processus logistiques ou encore l’exécution des services publics. Évidemment, la cybersécurité est un prérequis au développement de toutes ces technologies.

 

Quels sont les secteurs dans lesquels la transformation numérique est particulièrement critique?

Elle l’est pour tous, mais je mettrais l’accent sur les grands secteurs de l’économie luxembourgeoise.  Le secteur financier est une immense industrie de services qui repose sur des processus multiples, complexes et variés. C’est pourquoi l’utilisation transverse des données, la robotisation et l’automatisation des processus sont des fondamentaux à la pérennisation de la compétitivité de cette industrie. Il faut accélérer la mise en œuvre de ces technologies si nous voulons demeurer le leader mondial de l’asset servicing.

Dans un second temps, je pense au commerce, deuxième source de richesse du pays, dont la dynamique peut être optimisée par le numérique aussi bien au niveau de l’expérience client en milieu urbain qu’au niveau du commerce transfrontalier.

En troisième lieu, j’insisterais sur l’industrie. Tout l’enjeu du secteur sera de rendre nos usines fortement technologiques – par exemple en introduisant l’IoT dans les chaînes de production – et peu polluantes. Promouvoir l’industrie 4.0 dans le pays me paraît fondamental car le Luxembourg ne pourra pas fonder son développement uniquement sur une économie commerciale et de services.

 

Quels sont les atouts du Grand-Duché et les aspects à améliorer pour parvenir à l’émergence d’une société numérique?

Ses principaux atouts sont sa taille et son agilité. Paradoxalement, l’émergence de nouveaux business ou business models au Luxembourg se heurte à la taille du marché qui n’est pas toujours suffisante pour tirer des bénéfices. Si le Grand-Duché est un très bon marché test, tout nouveau produit ou service luxembourgeois doit finalement s’européaniser pour être rentable.

L’autre difficulté du pays, bien qu’elle ne soit pas spécifiquement luxembourgeoise, c’est l’attraction et la rétention des talents. Nous manquons aussi bien de profils capables d’implémenter les technologies du numérique que de personnalités qui comprennent comment transformer un métier, une activité ou une organisation, ce qui requiert des capacités créatives, humaines, organisationnelles, commerciales et financières. Le défi sera de former adéquatement les travailleurs.

Finalement, le dernier frein à l’émergence d’une société numérique avancée au Luxembourg est l’accès au capital. L’écosystème se retrouve face à une espèce de paradoxe entre la richesse du capitalisme national d’un côté et les importants besoins de financement de l’autre. Rediriger une partie de nos capitaux vers le développement d’activités numériques est fondamental si nous voulons voir davantage d’idées innovantes émerger.

 

Le ministère de la Digitalisation échange tout particulièrement avec le Canada, la Finlande, le Portugal et les Pays-Bas au sujet du gouvernement numérique. Qu’espère-t-il tirer de ce dialogue et pourquoi ces quatre États en particulier?

Pour grandir numériquement, le Luxembourg doit attirer des talents et des idées de l’étranger et, pour ce faire, mise tantôt sur des liens historiques, des affinités culturelles, diplomatiques ou des intérêts économiques. Le Portugal compte de nombreux parcs d’incubateurs et forme quantité d’excellents ingénieurs. Étant donné les liens étroits qui unissent les deux pays, il est simple pour un jeune Portugais de se projeter dans une carrière au Grand-Duché. C’est pourquoi le gouvernement établit des contacts avec ce pays. Au-delà des liens économiques qui rapprochent les membres du Benelux, les Pays-Bas sont un petit pays très agile, où les nouvelles technologies s’expriment dans le quotidien, notamment dans les services publics, et sur lequel le Luxembourg pourrait prendre exemple à divers égards. Il en va de même pour la Finlande. Quant au Canada, c’est un pays dans lequel l’écosystème des startups est très dynamique, notamment au Québec. Or, quand ces jeunes pousses veulent se déployer en Europe, elles se tournent vers la France pour des raisons de facilité liées à la langue. C’est là que le Luxembourg a une carte à jouer. Mieux se faire connaître au Canada et au Québec en particulier est fondamental pour attirer des acteurs de l’innovation au Grand-Duché.

Évidemment, pour s’assurer de la réussite d’une telle stratégie, le Luxembourg se doit de continuer à devenir une société numérique sans quoi il ne sera pas suffisamment attractif aux yeux des talents internationaux.

Lire sur le même sujet: