Attirer des talents passe par la formation et la reconversion

De plus en plus d’entreprises font face à un manque d’employés qualifiés et ce phénomène ne date malheureusement pas d’hier. La crise sanitaire a cependant rebattu les cartes et a eu un impact significatif sur la manière dont les salariés perçoivent leur travail. Beaucoup d’entre eux ont profité du confinement et du télétravail pour s’investir dans la formation et la reconversion professionnelle. Face à cette nouvelle tendance, comment les entreprises doivent-elles se positionner pour attirer et surtout fidéliser leurs collaborateurs? Le point avec Arthur Meulman, CEO de jobs.lu. 

 

Quelles sont les catégories professionnelles les plus touchées par le manque de profils qualifiés?

Partout dans le monde, les recruteurs font face à une pénurie de talents et celle-ci va s’accentuer dans les années à venir. D’ici à 2030, plus de 85 millions d’emplois qualifiés seront non pourvus, ce qui représentera un manque à gagner annuel de quelques 7.300 milliards d’euros! Le récent sondage que nous avons effectué sur la plateforme LinkedIn confirme cette tendance. À la question de savoir si vous avez déjà commencé à ressentir un manque significatif de profils qualifiés dans votre processus de recrutement, près de 82% des votants ont répondu par l’affirmative.

Donner la possibilité à ses collaborateurs d’exercer un nouveau métier est une démarche où tout le monde est gagnant

Cette pénurie de talents concerne toutes les catégories professionnelles, aussi bien dans le secteur tertiaire que secondaire, et est bien souvent antérieure à la crise sanitaire actuelle. Dès 2019, la Chambre des Métiers avait déjà tiré la sonnette d’alarme en publiant une enquête selon laquelle l’artisanat luxembourgeois serait en manque de 10.000 salariés. La même année, l’Association des Médecins et Médecins-Dentistes du Luxembourg prévenait que le nombre insuffisant de médecins par rapport à la population allait s’accroître dans les années à venir et pourrait aboutir à une catastrophe sanitaire à l’horizon 2030.

En réalité, aucun secteur d’activité n’est épargné par ce phénomène. Je pense même que celui-ci s’accélérera une fois que la crise sanitaire sera derrière nous. Dans des moments d’incertitude comme celui que nous connaissons actuellement, de nombreux salariés font preuve d’un certain attentisme.

 

D’autres, au contraire, ont tiré parti de cette pandémie pour s’interroger sur leur avenir professionnel et se sont reconvertis…

C’est exact. Pour de nombreux salariés issus des secteurs les plus touchés par la crise comme la restauration et les transports routiers, la crise a agi comme un déclic. Ils se sont reconvertis, ont changé de métier et se sont rendu compte que leurs nouvelles conditions de travail leur offraient une meilleure qualité de vie avec moins de stress, des horaires moins difficiles et la possibilité de passer le week-end en famille. Depuis le déconfinement et la reprise, ces secteurs manquent cruellement de bras et peinent à reconstituer des équipes stables et expérimentées.

Cela étant, cette volonté de reconversion ne s’applique pas seulement à ces catégories de travailleurs. D’après l’étude menée dans 192 pays en 2020 par The Network, le Boston Consulting Group et jobs.lu pour la partie luxembourgeoise, 39% des personnes interrogées au Luxembourg consacrent du temps à la formation professionnelle continue et 66% d’entre elles envisagent de se reconvertir dans des métiers considérés moins risqués comme l’informatique, le numérique, la consultance, le marketing et les ressources humaines.

 

D’après de nombreuses études, les gros employeurs ont plus de mal à recruter et à retenir les talents que les PME, les TPE ou les startups. Comment expliquez-vous cette différence?

C’est essentiellement dû à un manque de dialogue. Dans une startup, celui-ci s’instaure presque naturellement parce que la hiérarchie est plutôt horizontale et la distance entre le dirigeant et ses collaborateurs très ténue. Par contre, dans les grosses entreprises, il y a souvent une dichotomie importante entre ce que veut le sommet et ce que souhaite la base. Les retours d’expérience des collaborateurs sont trop souvent négligés par les dirigeants. Les supérieurs hiérarchiques devraient davantage parler avec les membres de leurs équipes, leur poser des questions sur les compétences qu’ils souhaitent acquérir ou développer et leur proposer des formations ad hoc. Dans bien des cas, les managers hésitent à investir dans des formations parce qu’ils craignent un investissement à perte, les collaborateurs donnant leur démission au bout de quelques années. Je pense que c’est une erreur. Investir dans des formations, c’est donner l’occasion  à ses collaborateurs d’améliorer leurs compétences, d’endosser de plus grandes responsabilités et de faire progresser l’entreprise tout entière. De plus, le code du travail au Luxembourg autorise l’entreprise à exiger le remboursement de tout ou partie des frais de formation professionnelle continue en cas de résiliation du contrat de travail par le salarié ou son licenciement pour faute grave dans un délai de trois ans.

 

Que doivent faire les entreprises qui veulent fidéliser leurs collaborateurs?

Outre les formations professionnelles continues que j’ai évoquées précédemment, les reconversions internes – surtout dans les grandes entreprises – sont un autre facteur de fidélisation. Donner la possibilité à ses collaborateurs d’acquérir de nouvelles compétences et d’exercer un nouveau métier est une démarche où tout le monde est gagnant. Le salarié est assuré de conserver son emploi au sein de l’entreprise, continue de bénéficier de ses avantages acquis et se sent en confiance parce qu’il est accompagné dans son projet de reconversion. L’entreprise capitalise sur la formation interne – nettement moins coûteuse en temps et en argent –, remotive ses troupes et se prépare à mieux affronter les défis qui l’attendent dans un monde du travail de plus en plus mouvant et imprévisible.

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