Une aventure urbaine sur les rails

André Von der Marck, directeur de Luxtram, n’a pas été choisi pour ce poste par hasard. Avec une expérience de 18 ans dans le développement du tram de Strasbourg et de 6 ans dans celui de Nice, il a fédéré ses équipes autour du projet fou de faire circuler ce mode de transport à travers la capitale luxembourgeoise, en quelques années à peine. Entre respect des délais et des budgets et haute qualité de service, retour sur une épopée qui transforme le paysage urbain depuis 2016 et qui n’a pas fini de nous faire voyager.

 

Genèse d’un projet de mobilité

Il est 8 heures du matin et le Kirchberg est en ébullition. Les rues fourmillent de costumes, tailleurs et talons hauts, rejoignant le centre névralgique de l’économie luxembourgeoise. Le dernier tram en provenance de la gare vient de s’arrêter à hauteur du terminal, à LuxExpo, et tous ses voyageurs marchent à présent vers leurs bureaux. Il semble tellement naturel d’assister à ce ballet aujourd’hui, qu’on en oublierait presque à quoi ressemblait ce paysage il y a quelques années.

Les origines de ce projet remontent à l’année 1987, lorsque le tram est évoqué pour la première fois comme une alternative sérieuse au tout-automobile. Après des années d’études et de réflexions sur le sujet, le GIE Luxtram est créé en 2007. Le vote d’une première loi de financement pour la première ligne, couvrant le secteur allant du Kirchberg à la gare, date quant à lui de 2014.

C’est à cette époque qu’André Von der Marck rejoint l’aventure. Tout va alors très vite: en 2015, Luxtram devient une société anonyme à deux actionnaires, l’État et la Ville de Luxembourg. Elle est chargée du développement du tramway de la capitale et de son exploitation. La même année, le dépôt relié aux rails a été créé au Kirchberg; c’est au départ de celui-ci que le premier tronçon pourra être construit. «Lors de nos analyses du trafic urbain, nous avons constaté qu’il y avait une forte demande entre la gare et le Kirchberg. C’est pourquoi nous avons commencé par cette section, avec un budget de 345 millions d’euros que nous avons respecté», se souvient le directeur. Dans un même temps, ce dernier a dû gérer la mise en place de la SA et la construction des rames de tramway. «En quelques mois, nous avons recruté des chauffeurs, créé un centre de formation agréé pour leur apprendre le métier, défini nos exigences – sans surprises très élevées – quant au design et à la technique des tramways, lancé un appel d’offres pour leur conception et confié cette tâche à la société CAF», énumère le directeur. Bénéficiant de son expérience, son équipe d’ingénieurs a ensuite pu s’atteler à la maîtrise d’ouvrage pour la pose des rails sur le premier tronçon.

À cette période également, le nouveau gouvernement et la Ville de Luxembourg prenaient la décision de prolonger ce premier axe vers l’aéroport et le Ban de Gasperich, encore en cours de développement. Le budget total de l’opération avait alors été élevé à 565 millions d’euros.

 

Développement en centre-Ville: le nerf de la guerre

C’est déjà en décembre 2017 que la première ligne est mise en service et voyage jusqu’au funiculaire du Pont Rouge. Sur sa lancée, plus rien ne semble arrêter le tram: «Nous avons ensuite construit le tronçon jusqu’à la place de l’Étoile, mis en service à l’été 2018, puis nous avons attaqué la partie la plus complexe, celle traversant la ville jusqu’à la gare». Ralenti par l’environnement contraignant que représente le centre-ville peuplé de riverains, touristes ou consommateurs aux déplacements multimodaux, le projet de mobilité doit à nouveau faire preuve de flexibilité pour résoudre une problématique essentielle: faire coexister son développement avec le respect de la vie quotidienne de la capitale. «Notre plus grand défi a été d’organiser les travaux et leur phasage de manière à ce que ceux qui habitent, travaillent, consomment à Luxembourg puissent vaquer à leurs occupations en subissant le moins de nuisances possibles», explique André Von der Marck.

Pendant ces deux années de chantier, Luxtram a redoublé d’efforts en matière de communication avec les riverains et les commerçants, allant même jusqu’à créer une équipe de médiateurs pour les premiers, et une convention comprenant des subventions pour les seconds. Par ailleurs, ce que beaucoup ignorent est que ces travaux ont également permis à la Ville de remettre à neuf tous les réseaux électriques, d’évacuation des eaux et de fibre optique. À la fin du chantier, c’est toute une partie de la capitale qui a vu son quotidien grandement amélioré par l’ensemble de ces infrastructures.

Changeant l’ambiance des lieux qu’elle traverse, une quinzaine de trams a remplacé quelque 140 bus

Aussi laborieuse qu’a été cette période, le directeur en garde un bon souvenir: «Nous avons continué à garantir l’accessibilité des riverains et commerçants aux bâtiments, ainsi que leur mobilité grâce au maintien des lignes de bus. Nous avons réaménagé les routes de façade à façade ainsi que les trottoirs, créé des pistes cyclables, recalibré les voiries ou refait leurs fondations, planté des arbres,… Nous sommes allés bien plus loin que la simple construction d’un tram!». Et le bénéficie de la capitale en termes d’image est également conséquent: elle jouit à présent d’un mode de transport contemporain et performant, avec une bonne capacité et une belle vitesse commerciale ainsi qu’un design s’intégrant parfaitement à la modernité de son quartier des affaires. Changeant l’ambiance des lieux qu’elle traverse, une quinzaine de trams a par exemple remplacé quelque 140 bus sur l’avenue de la Liberté, rendant ainsi l’atmosphère plus silencieuse et surtout plus propre. Avec une moyenne de 60.000 usagers par jour voyageant le long de ses 8 km de ligne, s’arrêtant à ses 15 stations ou profitant de ses 5 pôles d’échange, le succès du tram est incontestable.

 

Gérer le quotidien d’un chantier

Le tram est un projet complexe, qui comporte son lot de difficultés quotidiennes… et le Covid-19 était sans doute la plus imprévisible d’entre elles. En tant que service essentiel à la population, le tram n’a cessé de rouler, à chaque étape de la pandémie. Nécessitant une grande réactivité de la part des équipes, toute une organisation a dû être déployée du jour au lendemain pour garantir la sécurité des passagers et des chauffeurs. Contre 35.000 usagers quotidiens en 2019, seuls 2.000 d’entre eux ont continué à prendre le tram lors du premier confinement. Ce nombre a ensuite fluctué en fonction de l’évolution de la situation sanitaire et des mesures prises en conséquence par le gouvernement. Mais dès décembre 2020, suite à la mise en service du tronçon rejoignant la gare, les voyageurs ont été de plus en plus nombreux, jusqu’à 50.000 par jour à la fin du printemps, avec un pic à 62.000 lors d’une journée particulièrement chargée du mois de juillet. Luxtram ambitionne même d’atteindre les 80.000 passagers quotidiens, à l’ouverture du tronçon vers Bonnevoie en septembre 2022.

Si la problématique de l’acquisition des terrains à la Cloche d’Or a fait parler d’elle, elle n’inquiète pourtant pas André Von der Marck: «Le tronçon de la rue des Scillas à Howald a fait l’objet de plans alternatifs prévoyant la possibilité que l’Administration des ponts et chaussées ne puisse pas acquérir les terrains pour permettre un passage du tram sur deux voies. Dans tous les cas, le projet aboutira, la question est de savoir sous quelle forme!».

 

Travaux en cours et perspective d’évolution

Les travaux sur le tronçon qui reliera le quartier de Bonnevoie ont démarré au mois d’avril dernier. Pour la première fois, Luxtram a décidé de faire appel à un prestataire unique pour la conception et la réalisation de l’ensemble du chantier: «Nous voulions expérimenter ce mode de marché public sur ce tronçon relativement simple à exécuter d’un point de vue technique, afin que nos ingénieurs responsables de la maîtrise d’ouvrage se familiarisent également avec ce type de construction clé en main. Ainsi, nos équipes pourront désormais choisir la bonne manière de construire les différentes extensions que nous réaliserons».

Un autre chantier démarrera par ailleurs au mois de novembre pour l’édification d’un pont derrière le dépôt, qui permettra au tram de rejoindre l’aéroport au premier semestre 2024. En 2022, les travaux se poursuivront également au sud de la ville pour connecter le quartier de Bonnevoie au Ban de Gasperich, puis au stade, avec une mise en service estimée à la fin de l’année 2023.

Le ministre de la Mobilité et des Travaux publics François Bausch a par ailleurs annoncé un projet de tram à voie rapide entre Esch-sur-Alzette et Luxembourg-Ville. Luxtram collaborera dans ce cadre avec l’Administration des ponts et chaussées pour organiser les voiries, puis assurera le rôle de maître d’ouvrage et exploitera ce nouveau tram. Son directeur commente: «Nous avons déjà prouvé l’efficacité de notre couple dans la maîtrise d’ouvrage. Nous avons pris l’habitude de coordonner nos efforts et nos plannings et la conduite des travaux du tramway jusqu’à aujourd’hui le montre bien».

D’autres projets d’extension sont en cours de prévision, notamment vers Hollerich, vers la route d’Arlon ou encore vers le boulevard Konrad Adenauer au Kirchberg, où deux nouveaux quartiers doivent être aménagés par le Fonds Kirchberg. «Là où en 2016, nous rattrapions un retard accumulé dans le transport public, nous sommes aujourd’hui en position d’anticiper et d’accompagner le développement de quartiers en pleine expansion!», conclut André Von der Marck.