Quel avenir pour la biométhanisation?

La biométhanisation serait-elle démodée et pourquoi? C’est la question que se pose Xavier Maka, directeur de Naturgas Kielen, face au revirement de stratégie qui semble s’opérer au ministère de l’Énergie. Un changement de cap qui, s’il est mal appréhendé, pourrait mettre en péril la survie de l’installation qui, en dix ans, a injecté 182 GWh de gaz vert dans le réseau luxembourgeois. Interview aux allures de plaidoyer.  

 

Il y a quelques mois, le ministère de l’Énergie a présenté les résultats d’une étude commandée à l’IFEU (Institut für Energie- und Umweltforschung Heidelberg) et sur laquelle il entend baser sa future stratégie relative à la biométhanisation. Comment accueillez-vous les recommandations de cette étude?

L’étude en question dresse un état des lieux de la biométhanisation au Luxembourg et adresse sur cette base des recommandations au ministère de l’Énergie. Celui-ci, dans sa formation actuelle, n’est plus particulièrement un ardent défenseur de la biométhanisation. Loin de la rejeter, il n’en fait en tout cas pas une priorité comme a pu le faire le gouvernement en fonction à l’époque où l’installation de Naturgas Kielen a été pensée. Il semblerait donc qu’au fil du temps et des évolutions technologiques, la biométhanisation soit finalement passée de mode. C’est pourquoi le ministère entend recibler sa stratégie et redéfinir sur quels types d’intrants elle doit s’appliquer. En l’occurrence, il s’intéresse particulièrement aux effluents agricoles, à savoir le fumier et le lisier. Produits à hauteur de deux millions de tonnes par an au Luxembourg, ils présentent le double avantage, lorsqu’ils sont biométhanisés, de générer du gaz vert mais aussi de ressortir sous forme de digestat, un engrais de qualité supérieure qui diminue le risque de pollution des sols et des nappes phréatiques et contribue à la réduction des émissions d’ammoniac. Voilà pourquoi le ministère envisage même – bien que rien ne soit encore décidé – d’offrir des avantages aux agriculteurs qui valoriseraient ainsi leurs effluents agricoles.

Cette stratégie donne l’impression que le gouvernement n’entend plus capitaliser sur les autres déchets organiques issus, par exemple, de la grande distribution, des collectivités, des poubelles individuelles ou encore de l’industrie agroalimentaire. C’est là que le bât blesse car les effluents agricoles en question sont peu méthanogènes comparés à ces autres biodéchets. Certes, si l’on se positionne à l’échelle nationale, les deux millions de tonnes d’effluents agricoles produits chaque année pourraient suffire à injecter sur le réseau une quantité de biométhane qui permettrait de respecter certains engagements en termes de proportion de gaz vert. Mais, pour une installation comme Naturgas Kielen, conçue pour biométhaniser d’autres types de déchets, c’est la mort assurée. La centrale est en effet alimentée par 20% de biodéchets et 80% de matières à caractère agricole. Ces dernières comprennent donc le fumier et le lisier mais aussi des produits issus de cultures énergétiques, comme le maïs, le sorgo ou l’orge, qui ont un pouvoir méthanogène élevé. Si nous venions à n’alimenter Naturgas Kielen – une unité qui n’est déjà pas rentable aujourd’hui – que par des effluents agricoles comme le recommande le ministère de l’Énergie, la quantité de biométhane produite diminuerait considérablement et nous ne pourrions plus couvrir tous nos frais. Seule une modification de sa configuration actuelle ou un nouveau business model pourrait alors la sauver. C’est pourquoi l’approche du ministère de l’Énergie n’est pas raisonnable selon moi.

 

Quand vous avez pris la direction de Naturgas Kielen, votre objectif était justement de repenser ce modèle d’affaires…

Effectivement, c’est l’objectif que je m’étais fixé. Mais, lorsque je suis arrivé, je ne connaissais l’état de l’entreprise que par ses bilans, pas tellement par sa trésorerie ou situation historique. Or, le problème de Naturgas Kielen, c’est l’investissement de départ qui a été beaucoup trop important par rapport à la valeur ajoutée que la société peut générer. Puisque le prix du biométhane a été établi à neuf centimes le kWh par le règlement grand-ducal du 15 décembre 2011 relatif à la production, la rémunération et la commercialisation de biogaz, nous connaissions le chiffre d’affaires de la société dès le départ (pour autant que l’installation tourne parfaitement toute l’année) et pouvions savoir que l’amortissement de l’investissement n’était pas viable. C’est ce que j’ai appris à mes dépens en arrivant ici. Je pensais pouvoir redresser la situation mais le dernier trimestre 2020 m’a clairement démontré que, même en atteignant quasiment nos maximums de production en recourant à des plantes énergétiques, nous n’arrivions pas à équilibrer le budget. Au-delà des frais fixes élevés, nous devons payer certains des intrants à fort pouvoir méthanogène qui ne sont pas considérés comme des déchets mais plutôt comme des sous-produits. Or, pour qu’une installation fasse vraiment sens, elle devrait plutôt être rétribuée pour capter les déchets (ou ces sous-produits) et les valoriser sous forme de gaz. La logistique représente également un coût important. Puisque nous ne sommes pas intégrés à la chaine des déchets, celle-ci doit être assurée par un prestataire externe, typiquement les collecteurs de déchets. Le modèle d’affaires doit changer si nous voulons surmonter ces obstacles.

 

Dernièrement, vous étudiiez la possibilité d’utiliser de l’hydrogène vert pour amplifier la production de biométhane de votre installation. Ce projet a-t-il une chance de voir le jour?

La réflexion avance. L’idée de départ était de valoriser la grande quantité de CO2 produite lors du processus de biométhanisation. En effet, plutôt que de le neutraliser, il est possible de le transformer en méthane en l’associant à de l’hydrogène dans un bioréacteur. Ce processus permettrait de booster la production d’une unité de biométhanisation et d’augmenter sa capacité de 25 à 30%. Évidemment, pour que le procédé fasse sens, il faudrait recourir à de l’hydrogène vert. Or, aujourd’hui, celui-ci est majoritairement gris car issu de la gazéification du charbon. Nous avons donc entamé certaines discussions avec le LIST pour étudier la faisabilité de cette réaction dans un bioréacteur mais aussi rechercher des procédés de production d’hydrogène vert. À l’heure actuelle, nous n’en sommes qu’à l’étape des études de faisabilité et de rentabilité.

 

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