LAR prend un nouvel envol: histoire et avenir du transport aérien d’urgence

La nouvelle a ému des milliers de Luxembourgeois: René Closter, président et fondateur de Luxembourg Air Rescue (LAR), lève le pied et passe la main à Frank Halmes, son nouveau CEO. L’occasion pour lui de partager ses souvenirs, ses espoirs, et de revenir sur l’histoire hors du commun de cette association qui, en 33 ans, a effectué plus de 50.000 vols pour la vie. Interview.  

 

Pouvez-vous nous présenter Luxembourg Air Rescue et son histoire?

L’histoire de LAR est étroitement liée à celle d’un petit groupe d’amis, pompiers professionnels, qui, après un drame de trop en 1988, a décidé de créer un service de sauvetage aérien permettant d’atteindre rapidement tout lieu d’intervention. L’amitié qui unit ses fondateurs est le pilier de la réussite de l’association: c’était tout ce que nous avions au commencement. Les débuts étaient en effet désastreux: nous n’avions rien, ni argent, ni appareil, ni pilote. Pire encore: nous n’avons bénéficié d’aucun soutien politique ou médiatique. Mais nous ne nous sommes pas laissés intimider. J’ai hypothéqué ma maison et, grâce à cet argent, nous avons loué un hélicoptère avec pilote en Allemagne. Nous avons ensuite acheté une vieille tente de l’armée pour abriter l’appareil et une caravane en piteux état pour y installer nos bureaux. En 1991, après avoir exercé une pression politique sans relâche, LAR est enfin intégrée au système du SAMU et peut assurer des missions primaires. Avec du recul, je regrette un peu d’avoir joué au Don Quichotte plutôt qu’au Machiavel; cela a peut-être compliqué les choses. Ce qui nous a beaucoup aidé, en revanche, c’est le soutien de la population qui était très ouverte au changement dans le système des secours. À l’époque, pour obtenir l’aide du SAMU d’Ettelbruck à Troisvierges, où j’habitais, il fallait patienter 45 minutes. C’est pourquoi cette assistance venue du ciel a été extrêmement bien accueillie et même supportée financièrement par l’adhésion de nombreux citoyens.

Il n’y a ni frontières politiques ni frontières géographiques qui tiennent pour les secours aériens

Grâce à nos membres, nous pouvons désormais intervenir dans tout le pays endéans dix minutes maximum et avons élargi notre flotte et nos activités. Nous disposons désormais de six hélicoptères de sauvetage, dont trois sont opérationnels tous les jours pour des interventions d’urgence. Le premier, basé à l’aéroport, intervient à l’Est, l’Ouest, au Sud et au Centre du pays. Le second est basé à Ettelbruck et couvre le Nord. Un troisième hélicoptère réalise plus de 1.000 missions de sauvetage par an en Rhénanie-Palatinat et en Sarre. Je trouve assez extraordinaire qu’un petit pays comme le Luxembourg apporte une aide à son grand voisin. C’est la preuve, s’il en faut, qu’il n’y a ni frontières politiques ni frontières géographiques qui tiennent pour les secours aériens. En quelque sorte, nous avons créé notre propre petite Europe. J’aimerais la voir s’élargir à la France et à la Belgique où nous pourrions également intervenir très rapidement, mais tout cela est question de volonté politique et, en l’occurrence, cette politique est d’une pauvreté exécrable. D’un côté, je suis un Européen convaincu, mais de l’autre je suis un Européen frustré.

Un quatrième hélicoptère est actuellement opérationnel en Italie, à Lampedusa, pour y effectuer des vols de surveillance pour le gouvernement luxembourgeois dans le cadre des missions Frontex. Grâce à nos alertes, un grand nombre de personnes en détresse a ainsi pu être secouru par les bateaux de sauvetage des garde-côtes. Quant aux autres appareils, ils sont en attente soit pour relayer un hélicoptère en révision, soit pour compléter la flotte opérationnelle en cas de multiples interventions, de missions spéciales ou de missions d’envergure.

Au-delà de notre flotte héliportée, nous disposons de six avions sanitaires avec lesquels nous procédons à des rapatriements et à des transports intensifs depuis le monde entier, aussi bien pour nos membres que pour des clients internationaux. Nous sommes d’ailleurs les seuls au monde à proposer le transport de nouveau-nés en couveuses et, depuis des années, nous sommes les transporteurs d’organes exclusifs en France. Les missions de ce type sont prises en charge par notre filiale Luxembourg Air Ambulance.

 

Quels sont les liens qui unissent Luxembourg Air Ambulance à LAR?

Luxembourg Air Ambulance est une société anonyme qui n’a d’autre actionnaire que l’asbl, à laquelle elle appartient à 100%. Il y a trois raisons qui ont poussé l’association à créer cette société. La première est financière. Un hélicoptère comme les nôtres coûte neuf millions d’euros et une heure de vol 4.000 euros. Il est évident que nous ne pouvons pas survivre avec les seules cotisations de nos membres. Il fallait à LAR d’autres sources de revenus et nous avons donc créé une société qui nous permettait d’exercer des activités commerciales. Ainsi, en transportant des organes, en effectuant des rapatriements pour des sociétés d’assurance ou en assurant le pilotage et la maintenance des hélicoptères de la police, nous engrangeons des bénéfices que nous utilisons pour améliorer le service de secours héliporté au Luxembourg. La deuxième raison qui nous a poussés à créer Luxembourg Air Ambulance est plutôt fiscale: une société de ce type nous permet de récupérer la TVA sur les pièces de rechange que nous achetons chaque année et dont les coûts se chiffrent en millions. Enfin, et c’est la raison la plus importante, nous avons fondé cette société pour devenir détenteurs d’un certificat de transporteur aérien, un agrément qui ne peut être délivré à une asbl.

 

LAR s’est considérablement développée ces dernières années et s’est particulièrement illustrée durant la pandémie. Qu’est-ce qui a changé depuis?

«Never let a good crisis go to waste», a dit un jour Winston Churchill. C’est ce que nous avons fait: nous avons analysé la situation et avons pris la décision de réajuster notre stratégie quant à notre flotte d’avions. Nos Learjets ont une autonomie de quelque 4.000 kilomètres. Au-delà de cette distance, il faut les ravitailler. Or, au plus fort de la crise, 80% des aéroports étaient fermés et nous ne pouvions plus atterrir nulle part pour ce faire. Nous nous sommes donc rapidement aperçus que notre flotte ne répondait plus aux exigences Covid et post-Covid. C’est pourquoi nous avons décidé de vendre au moins deux de nos Learjets pour acheter un Challenger, un grand avion qui nous permettra de parcourir 8.000 kilomètres sans ravitaillement. En outre, cet avion disposera d’une chambre séparée pour permettre à deux équipes de se relayer: lorsque l’une d’elle sera aux commandes, l’autre sera au repos et vice-versa. Les patients gravement malades n’auront plus à attendre douze heures que l’équipage se repose avant d’être rapatriés d’un pays lointain. Cela améliorera grandement la qualité de nos services.

 

Quel est le souvenir le plus marquant que vous ayez de ces 33 dernières années?

J’ai effectué 14.000 missions dans ma vie; les moments marquants sont innombrables. Il faut dire que chaque mission est différente: vous pouvez intervenir pour un suicide un matin et pour une naissance l’après-midi. Si je devais en épingler une, ce serait notre mission humanitaire au Cachemire (Pakistan), suite au tremblement de terre de 2005. C’est la mission la plus longue de l’histoire de LAR: trois mois très stressants durant lesquels nous avons sauvé de nombreuses vies et survolé les vallées de l’Himalaya dans des conditions assez dangereuses. Alors que nous intervenions à proximité de la frontière indienne, une zone géopolitiquement sensible, nous nous sommes un jour accidentellement posés de l’autre côté. Un officier indien est venu à notre rencontre et nous a dit en anglais: «Bienvenue en Inde. Pour votre information: la prochaine fois, je devrai vous abattre». Lorsque le ministère des Affaires étrangères m’a appelé pour me proposer de prolonger notre mission de trois mois, j’ai longtemps réfléchi puis fini par refuser. J’avais l’intuition que les choses devenaient trop dangereuses et l’avenir m’a donné raison. Pas plus tard que trois semaines après notre départ, l’hôtel dans lequel nous avions séjourné à Islamabad a fait l’objet d’un bombardement et a été complètement détruit, faisant de nombreuses victimes.

 

Quelle est votre plus grande réussite?

Je pense avoir prouvé que l’on peut réussir à construire quelque chose de significatif au Luxembourg, même quand on vient comme moi d’un milieu modeste. Que vous aimiez ou non Luxembourg Air Rescue, que vous aimiez ou non René Closter, ce que personne ne peut contester, ce sont les centaines, voire les milliers de personnes qui sont encore en vie aujourd’hui parce que nous étions là pour elles.

 

Vous venez de céder la direction de LAR à Frank Halmes, mais restez président de l’association. À ce titre, quelles sont les responsabilités que vous continuez d’assumer et comment envisagez-vous l’avenir de LAR?

En tant que président, je reste responsable de la stratégie, du marketing et des relations publiques. Et, que Frank Halmes le veuille ou non (rires), je le guiderai et le conseillerai dans son rôle de CEO. Cette organisation était et restera toute ma vie. Je souhaite que ceux qui la composent continuent de se battre, prennent les bonnes décisions et recrutent des candidats prêts à s’investir pleinement. De mon côté, je n’ai jamais eu peur et ai toujours considéré que l’impossible n’existait pas. J’espère que cet état d’esprit va perdurer dans l’organisation.

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