«Shecession»: les plans de relance sont-ils assez féministes?

Mi-août, le ministère de l’Égalité entre les femmes et les hommes et le LISER ont publié une note intitulée «Emploi et temps de travail des femmes et des hommes pendant la pandémie». Cette note, la première d’une série consacrée aux disparités de genre durant la crise, dévoile des signes de «shecession» au Luxembourg. Inventé tout récemment par les économistes, ce terme – contraction du pronom «she» (elle, en anglais) et du nom «recession» – désigne une forme de récession qui toucherait principalement les femmes.

S’il a fallu mettre un mot sur ces maux, c’est que la plupart des récessions modernes ont eu une incidence bien plus grande sur l’emploi des hommes que sur celui des femmes… jusqu’à aujourd’hui. Selon la note publiée par le LISER, «pour la première fois, les femmes étaient beaucoup plus susceptibles que les hommes d’être licenciées, mises au chômage partiel ou de voir leur temps de travail réduit». Diverses raisons à cela. Non seulement, les femmes sont surreprésentées dans les secteurs les plus touchés par la crise, mais elles étaient aussi proportionnellement plus nombreuses que les hommes à bénéficier de régimes de travail à temps partiel alors que les entreprises ont davantage protégé les salariés détenant un CDI. Moins nombreuses à occuper des postes de direction et à pouvoir télétravailler, elles avaient encore plus de «chances» d’être licenciées ou mises au chômage partiel. Enfin, la fermeture des écoles a obligé certains parents à réduire leur temps de travail ou à prendre congé pour raisons familiales. Et par «certains parents», il faut entendre «une majorité de femmes».

La pandémie a donc cruellement rappelé à quel point le système économique patriarcal dans lequel nous vivons est pénalisant pour les femmes et les mères en particulier. Et même si l’éloignement temporaire de la vie active peut être vu comme un «moindre mal», il engendre souvent une perte de compétences qui peut nuire à une carrière à plus long terme (exclusion de ces femmes des secteurs stratégiques et maintien de celles-ci dans des emplois sous-qualifiés et moins bien rétribués), renforce les stéréotypes de genres et laisse un goût amer de retour en arrière. Mais les conséquences économiques d’une récession de femmes ne touchent pas que la moitié de l’humanité. L’attachement de la main-d’œuvre féminine au marché du travail étant historiquement plus faible que celui des hommes, une «shecession» risque, en détendant encore ce lien, d’entraîner un déclin de la main-d’œuvre globale bien plus persistant que lors d’une «mancession».

Maintenant que le mal est fait, les gouvernements ont-ils d’autre choix que de préparer des plans de relance résolument féministes? La question est rhétorique et pourtant, dans la plupart des États, le «deuxième sexe», première victime de la récession, est le grand oublié des plans de relance. Au Luxembourg, contrairement à ce qui a pu être observé dans le reste de l’Europe occidentale, c’est plutôt l’emploi des hommes qui a été le plus durement touché durant les premiers mois de la pandémie. En revanche, la reprise a été plus rapide pour eux que pour les femmes qui connaissaient en avril un taux de chômage plus élevé que leurs homologues masculins selon la note publiée par le LISER. La relance post-pandémie serait-elle donc sexiste? La prise en compte de la dimension genrée dans le plan de relance luxembourgeois semble manifeste au premier abord: «il s’agit en effet d’une occasion unique pour reconstruire de manière plus inclusive, en garantissant la participation des femmes à l’économie et en s’attaquant aux inégalités de revenus», formule-t-il. Au-delà de l’intention générale certes louable, aucune indication détaillée sur la façon dont le gouvernement entend «libérer le potentiel économique et entrepreneurial des femmes». La prise en compte des sexospécificités disparaît tout bonnement dans la description des réformes. Aucun moyen d’estimer comment les investissements prévus pourraient remédier à la légère, mais réelle, «shecession» qui se dessine au Luxembourg.

Si certaines récessions ont permis de faire avancer l’égalité hommes-femmes, faisons au moins en sorte que celle-ci ne soit pas synonyme de recul en la matière!

 

Par Adeline Jacob

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