L’union de la forêt et de la filière bois

Alors que l’humanité cherche urgemment à se construire un avenir soutenable, le bois, naturel et renouvelable, redevient matériau de prédilection. Comme s’il avait été tout à coup redécouvert, ce matériau millénaire est désormais associé à l’innovation et à la durabilité.  Pour le politique, l’heure est donc à la mise à jour d’une filière certes en pleine expansion, mais demeurée relativement traditionnelle. Avec l’initiative «Eist Holz», les produits issus des forêts luxembourgeoises se voient aujourd’hui offrir un coup de pouce bienvenu sur le marché régional. Explications avec Philippe Genot, Wood Cluster Manager chez Luxinnovation.

 

Le ministère de l’Économie et le ministère de l’Environnement, du Climat et du Développement durable ont présenté le visuel de promotion «Eist Holz» destiné à la filière bois. De quoi s’agit-il?

Chaque année, les forêts luxembourgeoises connaissent un accroissement de 750.000 m3 et quelque 500.000 m3 en sont extraits. En parallèle, le pays dispose d’une filière bois à laquelle sont liées plus de 1.200 entreprises. Dès la création du Wood Cluster de Luxinnovation, nous avons souligné la nécessité d’établir une chaine de valeur régionale et circulaire et, surtout, de la lier à la production de bois en forêt. De cette réflexion, menée conjointement avec les ministères de l’Économie et de l’Environnement, est née l’initiative «Eist Holz».

«Eist Holz», c’est un visuel sous lequel sont regroupés, d’un côté, tous les acteurs qui sont liés à la forêt et à la chaine de valeur du bois et, de l’autre côté, des outils qui en font une initiative concrète. Mais c’est aussi un message politique clair, émanant de plusieurs ministères, en faveur de plus de régionalité, de durabilité et de circularité.

 

Quels sont les outils qui doivent concrétiser cette volonté et que peuvent-ils apporter aux entreprises de la filière bois?

La première action qui a été présentée, le Klimabonus Bësch, concerne la gestion forestière. Il s’agit d’une prime destinée aux propriétaires privés qui mettent en œuvre une sylviculture proche de la nature. C’est une manière pour l’État de cofinancer les services rendus par la forêt, comme le filtrage de l’air et de l’eau ou encore le stockage de CO2. Le Luxembourg est assez précurseur à cet égard; peu de pays européens ont pris ce genre d’initiatives.

Le deuxième outil est le label «Holz von Hier» qui, en certifiant la provenance régionale du bois, doit inciter à réduire les distances de transport tout au long de la chaine de transformation. Toute entreprise qui peut démontrer que le bois qu’elle utilise pour fabriquer l’un ou l’autre de ses produits ne parcourt qu’entre 100 et 250 km avant transformation pourra faire labelliser ceux-ci. Le cadre dépasse donc le Grand-Duché et le label s’applique ainsi au bois issu de la Grande Région. Le Luxembourg n’a d’ailleurs rien inventé, puisque ce label existe depuis plusieurs années en Allemagne, en Autriche et en Italie. En l’introduisant, le gouvernement répond également à une attente des communes qui, régulièrement, souhaitent recourir à du bois régional pour leurs constructions, mais n’avaient jusqu’ici pas les moyens de retranscrire cette volonté dans leurs soumissions publiques. Ce sera désormais possible avec ce label «Holz von Hier» tout à fait conforme aux règles européennes en matière de marchés publics.

Le dernier outil qui doit encourager la création d’une chaine de valeur régionale est la plateforme «e-Holzhaff», un projet de Luxinnovation et du ministère de l’Économie. Il s’agit d’une plateforme digitale qui doit faciliter la mise en relation entre l’offre et la demande au sein de la filière bois et sur laquelle les entreprises locales pourront offrir des services de transformation du bois. L’objectif de ce projet est de donner plus de visibilité au marché, mais aussi de faciliter certaines transactions régionales. La plateforme, qui est toujours en cours de développement, sera lancée le 5 octobre lors du Wood Cluster Forum. C’est un outil très innovant pour cette filière qui est relativement traditionnelle et nous espérons qu’il encouragera ses entreprises à accroître leur digitalisation.

 

Malgré ces développements positifs, le secteur souffre actuellement de pénuries. À quoi sont-elles dues et quelles en sont les conséquences pour les entreprises?

Dans la filière bois, les effets de la pénurie se font ressentir depuis février-mars. La première explication à ce phénomène est directement liée à la pandémie: partout en Europe, les particuliers ont utilisé leur budget vacances pour réaliser des travaux de rénovation, ce qui fait que la demande en bois est restée forte malgré la crise. La deuxième a plutôt trait au marché mondial. Au mois de mars, les États-Unis (où jusqu’à 80% des maisons sont construites en bois dans certaines régions) ont connu une reprise économique très forte et donc une hausse de la demande. Or, les importations canadiennes étant fortement taxées, les entreprises américaines cherchent depuis lors à se fournir en Europe. En outre, ce contexte a contribué à l’émergence de ce que j’appellerais un «effet papier toilette»: craignant le manque, les consommateurs se sont mis à stocker le moindre morceau de bois. Par conséquent, il y a moins de matériaux en circulation et tout s’emballe. Actuellement, certains produits s’achètent entre 70 et 100% plus chers qu’auparavant quand d’autres sont tout simplement en rupture de stock. C’est le secteur de la construction, qui utilise d’énormes quantités de matériaux et fonctionne avec peu de stocks, qui est le plus affecté. Certaines entreprises ont d’ailleurs recours au chômage partiel.

Néanmoins, ces pénuries auront cela de positif qu’elles permettront sûrement de sensibiliser la filière à l’importance des chaines de valeur régionales qui sont plus stables, plus visibles et plus simples à gérer. En ce sens, cette crise pourrait être bénéfique aux initiatives que nous mettons en place. Nous sommes d’ailleurs assez persuadés que ce ne sera pas la dernière de la sorte et que construire des filières régionales fortes nous aidera à amortir les effets de difficultés futures.

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