Going, going, gone!

Du bois à l’acier en passant par le pétrole, l’offre en matériaux de construction peine à satisfaire la demande mondiale actuelle. Pire, elle s’est même soldée dernièrement par une explosion des prix généralisée et un manque de visibilité pour des sociétés de plus en plus inquiètes des retards et des chantiers en «stand-by». Le Luxembourg n’est pas épargné par ce marasme, synonyme d’inflation XXL à moyen et long termes dans des secteurs primordiaux de l’économie.

 

Un secteur en état d’urgence…

À l’instar de nombreux constructeurs automobiles en proie à des difficultés grandissantes de production faute de caoutchouc nécessaire à la fabrication des pneus, les principaux acteurs du BTP commencent eux aussi à souffrir sérieusement. Victimes de leur renchérissement et des retards de livraison, les matériaux de construction se raréfient depuis déjà plusieurs semaines au Luxembourg comme chez ses voisins. Qu’il s’agisse de bois, cuivre, sable, fer, acier et autres, la pénurie mondiale de matières premières, bel et bien réelle, fait trembler le secteur du bâtiment luxembourgeois.Une rupture de stock s’annonce déjà pour les panneaux de construction dont il faut réserver le matériel à l’avance pour une livraison en temps voulu. Se fournir à court terme est devenu quasiment impossible et les réserves des revendeurs se vident. Idem pour tous les matériaux de construction à base de pétrole (membranes d’étanchéité, isolants, silicone, etc.) et de métal (matériel de fixation, sous-construction, entre autres); les délais d’approvisionnement s’étirent désormais sur plusieurs semaines, voire des mois. L’ombre d’un arrêt forcé plane sur les chantiers, notamment pour le parachèvement (toitures et pose de tuyaux), accusant des retards de trois à quatre mois, y compris chez certains particuliers devant faire restaurer leur habitation (sols, portes et plafonds). Avec des augmentations de prix de base fulgurantes, cette crise conjoncturelle a vu les tarifs s’envoler; résultat: + 70% pour l’acier, 20% pour le cuivre et 40% pour le plastique [1].

En outre, la réouverture des magasins, des bars et des restaurants en terrasses a également vu la demande exponentielle de palettes exploser. Celles-ci étant devenues une denrée rare, leur prix, corrélé à celui du bois et des clous, grimpe à toute vitesse provoquant la crainte d’une pénurie chez les industriels et les spécialistes de la logistique. Ce phénomène mondial (environ 5 milliards de palettes utilisées dans le monde dont 90% en bois) est symptomatique. Avec un cours passé de dix dollars il y a un an à plus de quinze aujourd’hui, ce dernier pourrait continuer de monter. Sur la même période, le bois utilisé est passé de 530 à 635 dollars par 300 mètres carrés de planches [2]. De plus, à une augmentation de plus d’un tiers du prix des clous s’est greffé un manque de main-d’œuvre dû à la pénibilité du travail dans ce secteur. Certes, les palettes en plastique demeurent une alternative mais elles coûtent trois fois plus.

Selon la Chambre des Métiers grand-ducale, 29% des entreprises de construction locales sont touchées par la hausse des coûts de l’acier, 27% pour le bois, 22% pour les matières d’isolation et 21% pour d’autres matériaux. La Chambre et le groupement des entrepreneurs attend désormais du gouvernement une extension des délais pour les travaux publics afin d’éviter des pénalités de retard. Par ailleurs, en raison de cette pénurie inédite généralisée, le Comité de conjoncture a décidé d’accorder des mesures exceptionnelles de chômage partiel aux entreprises concernées, notamment de la mi-mai à juin de cette année, moyennant certaines conditions. Plus de 4.000 entreprises et plus de 30.000 salariés sont concernés par cette décision.

 

La loi des plus forts

En anticipant la reprise de leurs marchés respectifs, la Chine et les États-Unis ont su prendre le contre-pied de l’expectative post-pandémie ayant perduré sur le Vieux Continent, faisant bondir par la même occasion la demande mondiale de matières aussi essentielles que le bois, l’acier ou encore le cuivre. S’en est suivie une hausse drastique des prix causée par le principe de l’offre et de la demande. Le même phénomène a touché le pétrole et ses produits dérivés en plastique (tuyaux, gaines de câbles, etc.). Ensuite, l’effet domino a fait le reste sur l’ensemble du cycle, entraînant une pénurie qui présage un ajustement général par des hausses de prix.

S’agissant des États-Unis, une autre explication selon laquelle le bois, par exemple, aurait pâti a posteriori des taxes instaurées par les autorités fin 2017 sur les importations canadiennes semble légitimer l’incitation des entreprises américaines à venir se fournir en Europe, quitte à offrir le triple du prix (au grand dam de la concurrence locale). Ceci étant, du bois de menuiserie importé au Grand-Duché principalement du nord de l’Europe (de Norvège, Suède ou parfois d’Allemagne) a également vu ses prix augmenter de 30%.

Quant à la Chine et la puissance d’achat que représente son industrie gigantesque, celle-ci demeure malgré tout le plus gros client de tous les producteurs de matières premières, réduisant à peau de chagrin les restes disponibles pour les autres. En vérité, en raflant la production, la Chine organise simplement ses achats collectifs et emmagasine massivement pour mieux anticiper les risques de pénurie et pérenniser l’approvisionnement et le fonctionnement de ses industries; de quoi absorber par anticipation une future inflation au détriment de la concurrence et d’asseoir sa suprématie.

Au demeurant, la Russie et sa multitude de richesses naturelles apparaît comme un partenaire potentiel et idéal de secours en cas de resserrement du marché des matières premières, mais quid des différends à son égard? Il semble nécessaire de s’interroger de façon pertinente sur la précarité de l’économie européenne dont fait partie le Luxembourg face à des partenaires et concurrents mondiaux toujours plus aguerris et voraces.

 

Par Dominique Coutant

 


[1] Déclaration de Pol Faber, secrétaire général du Groupement des entrepreneurs; et RTL 5 minutes (AFP), du 15 avril 2021.

[2] Pascal Samama, BFM économie, 19 mai 2021.

 

 

Par Dominique Coutant

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