#Safe at work

Le 26 avril dernier, alors qu’elle lançait simultanément une nouvelle campagne de sensibilisation, la Chambre des salariés (CSL) a présenté une note relative à la santé et la sécurité au travail lors d’une conférence de presse. Pointant du doigt les inégalités qui demeurent à cet égard entre les salariés et certaines insuffisances dans la protection de la santé physique et mentale sur le lieu de travail, elle a exposé ses revendications et proposé quelques remèdes qui permettraient de soigner un système jugé inadapté aux conditions et exigences actuelles. L’occasion également pour David Büchel, psychologue du travail et conseiller de la direction à la CSL, de revenir pour nous sur la démarche de prévention dans les entreprises avec des exemples concrets pour diminuer les risques au travail.

 

Un diagnostic qui donne lieu à de nombreuses revendications

Aujourd’hui, au Grand-Duché, le risque de dépression modérée ou élevée touche près d’un tiers des salariés, 35% des travailleurs se plaignent de douleurs régulières au dos ou de problèmes d’articulations et, malgré l’augmentation des demandes introduites, le taux de reconnaissance des maladies professionnelles est largement en dessous de la moyenne européenne (sur base des statistiques de 1960 à 2010, il s’élève à 26% contre 40% environ en Europe). Pour noircir le tableau, le pays, qui devrait disposer d’un médecin du travail pour 5.000 salariés en compte plutôt un pour 7.000. En cause, une législation qui manque d’ambition, une organisation des services de santé au travail inadaptée, une médecine du travail qui manque de moyens humains et financiers, une intensification du travail, un tableau des maladies professionnelles incomplet ou encore la sous-déclaration des cancers pour raisons professionnelles. En outre, il manque des données statistiques et des analyses plus détaillées sur les maladies professionnelles (nombre de cas déclarés et de cas reconnus) et les accidents du travail, et les chiffres et informations figurant dans les rapports annuels des services de santé au travail ne répondent pas à une norme uniforme. C’est ce que révèle la note intitulée «Améliorer la santé au travail au Luxembourg» rédigée par CSL.

Forcément, la liste des revendications est à l’image de celle des problèmes soulevés: longue. «La revendication prioritaire en la matière est bien entendu de donner à chaque salarié les moyens d’exercer son travail en toute sécurité et en bonne santé. Il y a beaucoup à faire pour y arriver: organiser une médecine du travail cohérente et unique qui prenne en charge les salariés en toute impartialité, faire de la prévention et renforcer le rôle des délégués à la sécurité dans les entreprises n’en sont que quelques exemples. La présente note sera envoyée au monde politique pour animer le débat sur ce sujet – qui évolue bien trop lentement – et pousser les représentants du gouvernement à changer de paradigme face à la politique de santé au travail», interpelle la présidente de la CSL, Nora Back.

 

Une campagne de sensibilisation pour prévenir les maux

Déclinée en cinq vidéos mettant en garde contre les risques les plus représentatifs (troubles musculosquelettiques, burn-out, mal-être, exposition à des substances dangereuses et accidents de travail), la nouvelle campagne de la CSL entend bien sensibiliser les salariés et le grand public à l’importance de la prévention des risques en termes de sécurité et de santé au travail. «Il existe en réalité trois niveaux de prévention. On entend par prévention primaire l’ensemble des actions qui ciblent les causes d’accidents et de mal-être au travail dans les organisations. Le niveau secondaire regroupe les actions destinées à éveiller la conscience des salariés, par exemple des formations ou des campagnes de sensibilisation. Le niveau tertiaire est celui de l’accompagnement des salariés en difficulté. Evidemment, nous privilégions toujours les deux premiers niveaux dans l’espoir de ne pas atteindre le troisième», précise David Büchel.

Agissant ici sur le second niveau de prévention, «la CSL espère que les salariés se poseront les bonnes questions et se renseigneront davantage sur les risques qu’ils encourent et les moyens de les prévenir. C’est une incitation à la prise de conscience», affirme Nora Back.

Et que les employeurs se rassurent: si la campagne de sensibilisation repose sur l’adage «mieux vaut prévenir que guérir», c’est qu’investir dans la prévention est rentable pour les entreprises. Diverses études internationales prouvent en effet qu’un euro investi dans une politique de prévention en rapporte au minimum 2,5 à 4,8. Cela s’explique par l’évitement d’un certain nombre de situations négatives. «Grâce à une bonne politique de prévention, on évite des accidents, l’absentéisme, mais aussi le présentéisme des employés qui craignent de se mettre en maladie et qui sont finalement peu productifs. Enfin, on diminue le taux de renouvellement du personnel, lui aussi néfaste pour les compétences, l’attractivité et l’image d’une entreprise», explique David Büchel.

 

Piqûre de rappel: quelques bonnes pratiques

La CSL peaufine actuellement la nouvelle version de son «Guide pratique du délégué à la sécurité et à la santé» recelant de conseils adressés aux travailleurs désignés. Dans ces pages, elle revient notamment sur la méthode Kinney, un outil d’évaluation des risques d’accidents (R) selon laquelle ceux-ci sont le produit de la probabilité (P), de la fréquence d’exposition (F) et de l’effet produit (E). «Prenons l’exemple d’un agent d’entretien exposé au risque de chute de plain-pied sur un sol rendu glissant lors du nettoyage d’un bâtiment. La première action à entreprendre serait de lui fournir des chaussures antidérapantes, permettant ainsi de réduire la probabilité (P) de l’accident et, par conséquent, le risque. Prenons maintenant le cas d’un maçon. Son métier l’expose particulièrement à des chutes d’objets. En l’équipant d’un casque, on ne réduit ni la probabilité de l’accident (P) ni la fréquence d’exposition (F) mais bien l’effet produit (E). Enfin, en permettant à un agent administratif de télétravailler deux jours par semaine, on diminue le risque d’accident de trajet en jouant sur la fréquence d’exposition (F)», illustre David Büchel.

Quant aux risques psychosociaux, la démarche est plus complexe et nécessite, avant toute chose, de libérer la problématique des tabous qui l’entourent mais aussi une réelle volonté de la direction et du management de s’impliquer directement et honnêtement dans le processus. Une fois ces conditions réunies, la CSL préconise de suivre une démarche en cinq étapes. «La première consiste à mettre en place un comité de pilotage doté de moyens humains et financiers suffisants et d’inscrire la démarche dans le cadre d’un dialogue social avec les représentants des salariés. La deuxième étape, quant à elle, vise à évaluer l’ampleur du problème via l’analyse de certaines données administratives comme le taux d’absentéisme, le nombre d’accidents, d’incidents ou le turnover. Ensuite, il faut s’intéresser aux signaux individuels: les employés sont-ils démotivés, fatigués, cyniques? Y a-t-il de plus en plus de conflits? Pour aller dans le détail, il est recommandé de charger un expert de préparer un sondage sur les facteurs de risques psychosociaux», développe David Büchel. «Dans un troisième temps, je conseille de confier l’analyse des résultats et l’identification des problèmes concrets à un expert. Vient ensuite l’étape de l’élaboration des solutions. Si les problèmes sont multiples, il faudra établir une liste de priorités et les traiter dans cet ordre. Les mesures de prévention doivent être adaptées aux circonstances organisationnelles plutôt que d’utiliser des approches toutes faites. Il est important de garantir l’implication de tous les partenaires de l’organisation dans la mise en œuvre des solutions (les employés, les dirigeants, les syndicats, les gestionnaires,…). Enfin, la dernière phase consiste à mettre en place un plan d’action détaillé et à observer les réactions du personnel par rapport à celui-ci dans l’année qui suit. Un nouveau sondage permettra de déterminer, chiffres à l’appui, s’il y a eu amélioration ou non», poursuit-il.

Parfois, les solutions simples, même bien intentionnées, risquent de négliger les vrais problèmes, s’il y en a, et de donner au personnel l’impression qu’il n’est pas pris au sérieux, ce qui peut entraîner des frustrations. «Il n’y a pas toujours une solution simple à un problème complexe», rappelle David Büchel.

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