Des producteurs, des travailleurs aux consommateurs

Comment le commerce équitable a oeuvré pour que les vagues du Covid ne submergent pas les acteurs du Sud ?

 

 

Bangladesh – mars 2020 : les usines de confection essuient des annulations de commandes pour plus de 2 milliards de dollars.

Iran /Chine – mars 2020 : ces deux pays cessent leurs importations de thé, laissant ainsi 50 millions de kilos de stocks.

Kenya/ Éthiopie – mars 2020 : les plantations de roses détruisent des lots entiers à la suite de la baisse drastique de la demande mondiale, soit une perte comprise entre 1,8 et 2,2 milliards d’euros. Près de 66 000 travailleurs sont impactés.

Inde – avril 2020 : les importateurs annulent leurs commandes. Les sucreries ne peuvent régler que 20 à 25 % des paiements aux producteurs.

Pérou – mai 2020 : le travail des producteurs de bananes est bouleversé par la raréfaction de la main d’oeuvre, l’obligation de respecter les distanciations sociales et l’augmentation des coûts de production causée notamment par les coûts de matériel de protection.

Pérou – mars-août 2020 : les mines d’or artisanales doivent rester fermées ce qui signifie pas de salaires pour les travailleurs.

Cambodge – avril 2021 : 784 000 personnes employées par l’industrie cambodgienne du textile, des chaussures et de la maroquinerie ont perdu 109 millions de dollars de salaires.

Comme ces exemples le montrent, la crise sanitaire et économique que nous traversons encore aujourd’hui a eu et continuera d’avoir des répercussions sur les plus vulnérables dont font partie les producteurs et travailleurs d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine et Caraïbes. Chaque pays et chaque filière subit la crise différemment mais les risques et certaines conséquences restent similaires. En premier lieu, un risque pour la santé des producteurs et travailleurs et de leur famille, directement lié à l’épidémie et à l’engorgement des structures de santé, peu robustes dans la plupart des quelques 70 pays producteurs avec lesquels travaille le mouvement Fairtrade. A cela s’ajoutent des conséquences économiques et de sécurité alimentaire liées au ralentissement de l’activité, aux manques logistiques dans les chaînes d’approvisionnement, à la hausse des coûts de production ( main d’oeuvre plus rare et plus chère, transport, protection anti-Covid) et donc à des pertes d’emploi ainsi qu’au défaut de remboursement des prêts bancaires par les producteurs, les coopératives et les plantations. Enfin, les risques de violation des droits humains se sont accrus : la baisse des exportations s’accompagne de licenciements et si les offres d’emploi se font rares, les travailleurs peuvent être enclins à accepter des rémunérations et des conditions de travail indécentes. L’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) estime que plus d’un milliard d’enfants n’ont pas pu aller à l’école pendant la pandémie, dont la majorité dans les pays producteurs. Même après la pandémie, il est probable que beaucoup d’entre eux ne retournent pas à l’école. En outre, la pauvreté, l’un des principaux facteurs de risque du travail des enfants, a augmenté dans le monde entier à cause du Covid. Selon le rapport de l’Organisation internationale du travail et de l’Unicef publié en juin 2021, le nombre d’enfants victimes du travail des enfants s’élève à 160 millions dans le monde. Ils avertissent que neuf millions d’enfants supplémentaires sont en danger à cause de la pandémie de COVID-19.

Si toutes les filières ont été touchées de plein fouet par la pandémie, deux filières ont été plus durement impactées, à savoir la filière des fleurs et la filière du thé. Les plantations n’ont malheureusement pas eu de ressources financières suffisantes pour garder et payer les travailleurs sans activité. Ces employés ne bénéficiaient d’aucune protection sociale ou revenu compensatoire en cas de perte d’emploi et se retrouvent donc en position de lutte de survie.

Au Sud : adaptabilité et résilience pour donner aux producteurs et aux travailleurs les moyens de résister
En mars 2020, le mouvement Fairtrade a décrété en urgence la possibilité pour les organisations de producteurs et de travailleurs d’utiliser la prime de développement Fairtrade pour des mesures immédiates permettant de protéger la sécurité et la santé des producteurs, travailleurs et de leurs communautés.
La prime a été utilisée par exemple pour financer des masques, des gants, des produits de nettoyage mais également pour acheter des semences et des produits de première nécessité. De plus, elle a permis aux organisations Fairtrade de payer une partie des salaires comme par exemple dans les mines d’or certifiées au Pérou où les salaires ont été payés pendant toute la durée du confinement.

En parallèle, le mouvement Fairtrade a lancé deux fonds de soutien aux producteurs et travailleurs du Sud d’un montant de plus de 15 millions d’euros. Le « Fairtrade Producer Relief Fund » permet aux organisations de faire face aux besoins élémentaires de leurs membres. Le « Fairtrade Producer Resilience Fund » a été mis en place pour répondre aux besoins à long terme des organisations Fairtrade qui planifient l’après Covid. Qu’il s’agisse de la reprise économique, d’investissements technologiques, du financement de programmes de sensibilisation pour limiter les risques de violation des droits humains, de renforcement des finances pour prévenir les risques, ce fond permet aux acteurs du commerce équitable de sécuriser et renforcer les chaînes d’approvisionnement. Afin de répondre au plus près aux besoins sur le terrain, ces fonds sont gérés par les réseaux de producteurs eux-mêmes, guidés par leurs connaissances et expériences des dynamiques locales.
A côté de ces mesures, les réseaux des organisations Fairtrade, les coopératives et les plantations ont réalisé un formidable travail pour s’adapter au plus vite et surtout pour trouver des solutions « de survie » pour leurs membres. Il fallait repenser le marché en s’introduisant sur les marchés locaux pour écouler les aliments périssables, adapter les activités pour assurer la sécurité en développant par exemple des activités locales génératrices de revenus et garantir l’accès aux soins.

Au Luxembourg : réactivité et créativité pour garder le lien avec les partenaires et les consommateurs
Avec l’arrivée du Covid, les interrogations se sont également multipliées au Luxembourg : comment fonctionneront les chaînes d’approvisionnement ? Est-ce que les partenaires Fairtrade maintiendront leur engagement ? Quels allaient être les choix des consommateurs ?

Comme partout, il a fallu être réactif et créatif. L’équipe de l’ONG Fairtrade Lëtzebuerg a fait preuve de réactivité et de créativité pour s’adapter le plus rapidement possible à la situation. Dès la fin de mars 2020, elle a réorienté quelques-unes des actions et campagnes prévues pour 2020. L’équipe a développé tout un programme « Fairtrade Doheem » afin de rester en contact le plus proche possible avec le consommateur et ses différents partenaires. La pandémie a bouleversé les méthodes de travail également au niveau de l’éducation avec les jeunes. Seulement 65 activités (149 en 2019) en présentiel ont pu être menées dans les classes. En réponse aux limitations engendrées par la crise sanitaire, toute une gamme de matériel en ligne a été aussi développée. Des jeux pour petits et grands ainsi que des activités à réaliser chez soi comme un « escape game » ont été élaborés. Deux actions « Spécial Covid-19 » ont été mises en place, avec notamment une récolte de fonds via une plateforme de crowdfunding pour deux partenaires, au Nicaragua et en Côte d’Ivoire. Enfin, tout au long de l’année, le lien avec le grand public a été également conservé grâce à une offre de webinaires thématiques mais aussi grâce à une nouveauté pour le Luxembourg qui a remporté un vif succès : le lancement de « Fairtrade TV » avec une dégustation de chocolat Fairtrade en live streaming. Pour l’ensemble de ces activités digitales proposées au grand public, un moment de partage avec les partenaires du Sud a été créé. Enfin, une communication régulière via notre site internet a été mise en place avec nos différents publics, détaillant la situation des producteurs et travailleurs au Sud face à l’épidémie et mettant en lumière le formidable travail des organisations Fairtrade pour lutter contre l’épidémie.
De plus, les partenaires ont contribué à relayer notre message et mis en place des actions de sensibilisation dans la mesure du possible, comme par exemple dans certaines communes Fairtrade Gemeng ou encore dans quelques lycées Fairtrade School. Les partenaires commerciaux ont quant à eux continué à mettre en avant les produits Fairtrade davantage encore en fin d’année où une demande accrue pour des produits équitables et locaux s’est faite ressentir. L’ONG Fairtrade Lëtzebuerg salue l’engagement de ces partenaires et les remercie pour le soutien apporté tout au long de l’année.

Le Luxembourg garde le cap équitable malgré certaines préoccupations

Le marché des produits Fairtrade a été en partie épargné par la crise, avec une croissance du chiffre d’affaires généré par les ventes de tous les produits Fairtrade des différents partenaires de l’ONG et lequel se chiffre à 24,38 millions d’euros, soit une augmentation de +11,58 % par rapport à 2019. Les consommateurs du Luxembourg ont dépensé en moyenne 39 € pour des produits portant le label Fairtrade. Ce qui place le Luxembourg parmi les meilleurs consommateurs de produits Fairtrade dans le monde, à savoir en 6e position derrière le trio de tête Suisse (99 €), Irlande (79 €) et Suède (46 €). A la fin de l’année 2020, le marché Fairtrade comptait un total de 2 919 produits Fairtrade enregistrés sur le marché au Luxembourg, soit une croissance de 9,50 % avec 253 nouveaux produits certifiés Fairtrade. Ces produits se retrouvent dans plus de 400 points de vente ; de la petite épicerie locale au grand supermarché, en passant par les lieux de vente pionniers, à savoir les Boutiques du Monde. De plus en plus de produits sont désormais en vente directe sur les sites internet des partenaires mais aussi sur des plateformes luxembourgeoises de e-commerce. Cette tendance positive en faveur du commerce équitable démontre à la fois l’exigence croissante du consommateur pour des produits plus éthiques et l’engagement grandissant des partenaires luxembourgeois, qui augmentent la disponibilité et l’accessibilité des produits Fairtrade sur leurs étagères.
Préoccupation majeure pour la championne des années précédentes
Le commerce équitable n’a pas entièrement échappé aux conséquences désastreuses de la pandémie, notamment à cause de l’arrêt de plusieurs circuits de consommation hors domicile tels que les cantines scolaires ou la restauration collective dans les entreprises. La filière de la banane équitable a été fortement touchée avec une baisse de 10 % par rapport à 2019 et une part de marché qui recule de presque 6 points. Situation d’autant plus préoccupante que le marché de la banane conventionnelle a quant à lui augmenté de 4,2 % en 2020. Certes, la fermeture des structures scolaires et restaurants collectifs ont impacté ces chiffres, néanmoins il faudra relancer un travail de sensibilisation au niveau du consommateur final mais également des points de vente afin qu’une banane sans violation des droits humains et sans pesticides s’ancre définitivement dans le quotidien de chacun.
Il semblerait que même en télétravail, on boit du café ! Malgré l’importante baisse de la consommation hors domicile (-30 %), le produit pionnier du commerce équitable, à savoir le café, maintient son niveau de 2019 avec 421 tonnes de café Fairtrade vendues, soit – 0,94% et une part de marché de 10,34 %.

La vie en rose
Une filière qui a été énormément impactée par la pandémie dans les pays producteurs mais a reçu le soutien des consommateurs au Luxembourg. Désormais 1 rose sur 2 vendues au Luxembourg est issue de plantations certifiées Fairtrade. Avec 1 388 539 tiges de roses vendues en 2020, il s’agit désormais de la première filière Fairtrade au Luxembourg avec 50 % de part de marché. Cette croissance est en partie réalisée par un acteur qui ne propose que des roses Fairtrade à sa clientèle depuis 2018 et aussi à l’élargissement de la gamme proposée par un autre acteur luxembourgeois.

Douceurs chocolatées contre le blues
Le confinement et cette période difficile semblent avoir motivé le consommateur à manger davantage de produits chocolatés Fairtrade. Le marché du cacao Fairtrade a connu une progression de +12 % entre 2019 et 2020, néanmoins avec une part de marché qui reste encore faible à 4,34%. La marque belge Galler a effectué un full switch en optant exclusivement pour du cacao Fairtrade dans toutes ses gammes. Cette marque a été malheureusement fortement touchée par les intempéries en juillet et toute la chocolaterie a été détruite. Il faut donc espérer qu’elle trouve les moyens de se reconstruire et de continuer son engagement vis-à-vis des producteurs de cacao Fairtrade.

Se sentir bien avec du coton Fairtrade
La vente de produits textiles avec du coton Fairtrade a explosé en 2020 avec une croissance de 282 % et un chiffre d’affaires de 1,65 millions d’euros. Cette croissance a été générée en partie par des actions ponctuelles et promotionnelles de partenaires proposant sur une durée limitée des accessoires en coton Fairtrade comme notamment les masques, des glacières ou encore des serviettes de bains Fairtrade. Est-ce que cette fulgurante ascension sera maintenue ou bien s’agira-t-il juste d’une croissance éphémère ? Nous notons que le consommateur est prêt à choisir ces produits dès que l’offre existe. Cela pourra donc peut-être motiver les points de vente à élargir de manière durable leur gamme en produits textiles certifiés Fairtrade. Les acteurs économiques doivent prendre leur responsabilité au niveau de leur offre afin de renforcer une production de textile responsable.

Jus, riz, sucre : tendances à la baisse
A côté des filières phares abordées ci-dessus, nous notons des baisses pour trois produits bien présents dans la restauration collective. Au niveau de la consommation de jus de fruits Fairtrade, nous constatons une baisse de 25 %. Certaines références de jus d’orange Fairtrade bien présentes dans la restauration ont même connu une baisse allant jusqu’à 85 % du chiffre d’affaires. Le riz quant à lui décroit de 6 % et le sucre de 3,70 % entre 2019 et 2020.
La tendance « Think global, produce local » s’affirme en 2020. Désormais, 367 produits Fairtrade sont vendus sous une marque luxembourgeoise, soit une augmentation de 9,23 % par rapport à 2019, ce qui équivaut à environ 30 produits. Aujourd’hui, nous comptons 28 acteurs luxembourgeois qui sont autorisés à transformer et/ou vendre un produit sous leur propre marque avec le label Fairtrade. Le champion parmi les produits « made in Luxembourg » : le café Fairtrade torréfié et vendu par les partenaires locaux représente 42 % du marché du café équitable consommé au Luxembourg.

Ancrer dans le futur
Le commerce équitable a été la bouée de sauvetage de milliers de producteurs et de travailleurs pendant l’année pandémique 2020. Le mouvement Fairtrade a été soutenu par d’innombrables consommateurs et partenaires. Si nous voulons tirer quelque chose de positif de la crise du Covid-19, il est temps d’agir et de tracer les lignes d’un meilleur avenir pour tous. Continuer à consommer aveuglement au détriment des familles des producteurs et travailleurs en Afrique, Asie, Amérique latine et Caraïbes n’est pas un modèle durable. Faisons donc en sorte que ce modèle change de cap. Des revenus équitables pour tous, les respect des droits humains, la préservation de l’environnement ainsi qu’un engagement sur le long terme des entreprises pour le développement et un cadre politique encourageant ces entreprises et sanctionnant celles qui construisent leur modèle économique sur le non-respect des droits humains et de l’environnement sont les pierres angulaires d’une mondialisation porteuse d’avenir.
Le mouvement international Fairtrade est cogéré à parité par 28 organisations nationales dans les pays consommateurs d’une part et 3 réseaux de producteurs d’autre part, représentant plus de 1 822 organisations. Par le biais de leurs représentants, plus de 1,8 million de producteurs et travailleurs en Afrique, Asie, Amérique latine et Caraïbes participent activement au mouvement Fairtrade. Ils détiennent la moitié des voix et sont présents dans tous les organes et comités de décision importants. Disponible pour les consommateurs de 145 pays partout dans le monde, le label Fairtrade permet ainsi à 1,8 million de petits producteurs et travailleurs de 72 pays, unis au sein de 1 822 organisations à travers le monde, de vivre dignement de leur travail. Grâce à la représentation démocratique de leurs intérêts, aux conditions commerciales plus justes, aux soutiens financiers, au meilleur accès aux marchés et aux offres de formation, ils peuvent améliorer leur existence et celle de leur communauté d’une manière durable.

 

 

Communiqué par Fairtrade Lëtzebuerg

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